Au Sénégal, la question du Patrimoine est, au Sénégal, régie par la loi 71-12 du 25 Janvier 1971, fixant le régime des sites et monuments historiques, des fouilles et découvertes. Cette loi d’un autre siècle est aujourd’hui vieille de 50 ans; elle a donc gagné ses galons lui permettant d’être classée aux archives législatives.
Rarement une loi, qui plus est d’essence coloniale, n’aura connu une telle longévité sous nos cieux. Loi d’essence coloniale, disons-nous, car le législateur français avait rédigé́ un texte applicable dans les territoires relevant du Ministère de la France d’Outre-Mer et ayant pour objet la protection des monuments naturels, des sites et des monuments de caractère historique, scientifique, artistique ou pittoresque, le classement des objets historiques, scientifiques ou ethnographiques et la réglementation des fouilles. Il s’agit de la Loi N” 56-1106 du 3 novembre 1956, promulguée à Madagascar par l’Arrêté́ 2714-AP/4 du 29 novembre 1956, L’examen comparatif de la loi sénégalaise de 1971 et celle coloniale de 1956 montre en fait que cette dernière offrait plus de protection que la loi du Sénégal indépendant.
En effet, alors que loi de 1971 se limite à quatre domaines que sont les sites et monuments historiques, et les fouilles et découvertes, celle de l’époque coloniale ajoutait à cette liste les monuments naturels et les monuments “de caractère scientifique, artistiques ou ethnographiques” ainsi que “le classement des objets historiques”, toutes catégories absentes de l’actuelle législation sénégalaise. Mais qu’entend- on par Patrimoine? Ce concept peut d’emblée intimider, car appartenant au vocabulaire des riches, mais il devient plus accessible dès qu’on le traduit en Anglais: Cultural Heritage, c’est assurément plus cool. Selon la définition de l’UNESCO, « Le patrimoine est l’héritage du passé dont nous profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir. Nos patrimoines culturel et naturel sont deux sources irremplaçables de vie et d’inspiration.”
50 ans après son adoption, que retenir de la loi d’essence colonialiste qui jusqu’á nos jours régit le Patrimoine au Sénégal?
En réalité c’est quelque peu hasardeux d’affirmer que cette loi régit le Patrimoine du Sénégal. D’ailleurs son intitulé indique clairement qu’elle n’en a pas la prétention, précisant sans ambages qu’elle fixe “le régime des sites et monuments historiques, et les fouilles et découvertes”. Couvrant quatre domaines, cette loi omet d’importants pans du Patrimoine, notamment les archives écrites, visuelles et sonores, les photographies, les peintures et sculptures, le règne botanique, zoologiques, la technologie, les manuscrits religieux et profanes, etc….La liste s’allonge de jour en jour, avec l’avancée fulgurante des technologies du 21e siècle…
D’ailleurs, au moment où sont écrites ces lignes, des juristes pointus cogitent sur la création d’un Patrimoine Spatial de l’Humanité, voire d’ un Patrimoine Spatial Culturel.. D’où l’inconvénient de fixer et figer dans le temps ce concept organique de Patrimoine, qui n’est pas simplement historique, mais aussi contemporain; qui n’est pas que matériel, mais également immatériel et humain. Loi désuète ou obsolète, la loi sénégalaise de 1971 est d’ailleurs fréquemment violée en toute impunité. Un exemple récent et choquant, parmi tant d’autres: le déclassement au profit d’une société privée, suivi de la démolition de l’Immeuble Brière de l’Isle, un joyau architectural du Dakar moderniste, classé comme Monument Historique; ou l’érection d’un immeuble grand standing de plus de dix étages, sur les ruines d’une villa de fonctions ministérielle, datant de l’époque de la Fédération du Mali , également classée, Et l’on se demande pourquoi et comment, en un temps record, un promoteur immobilier peut surmonter tous les obstacles administratifs de la demande de déclassement, de l’avis de la Commission Supérieure des Monuments Historiques, de l’arrêté ministériel de déclassement, de l’autorisation de démolition et de l’autorisation de construire?
Et c’est en vain que l’œil curieux du public cherchera des réponses, alors même que celles-ci doivent obligatoirement figurer sur le panneau de chantier, en application des dispositions du Code de Construction. C’est une erreur de considérer la notion de Patrimoine comme un concept abstrait arrimé au passé et à la mémoire, même si cela est nécessaire à la formation d’une conscience historique, notion si chère au Professeur Cheikh Anta Diop, un Patrimoine en lui-même, lui qui, avec W.E.B Dubois, fut désigné par ses pairs comme l’auteur ayant le plus influencé la Pensée Nègre du 20e siècle, lors du Premier Festival Mondial des arts Nègres tenu à Dakar en 1966. Certes des rues et bâtiments universitaires portent son nom. Mais un Sénégalais aura plus de chance d’être expose à ses travaux et enseignements dans les universités d’Amérique ou des Caraïbes. Que d’avantages pour le rayonnement scientifique international du Sénégal, aurait constitué l’érection d’un grand centre d’Egyptologie basé sur les enseignements du savant de Cheytu!
Le Maestro Tambour Major Doudou NDiaye Rose ne fut-il pas, de son vivant, élevé au rang de Patrimoine Vivant de l’Humanité par l’UNESCO? Curieusement son propre pays n’a pas intégré pas cette catégorie dans sa législation nationale! La richesse de sa vie et de son œuvre constitue sans nul doute un Patrimoine historique, artistique et scientifique tels qu’une plaque en son nom, quoique appréciable, ne saurait suffire.
L’Académie de Tambours et Percussions Africains qu’il il souhaitait lui survivre eût été un bon legs pour les générations futures, du monde entier. Au-delà de la reconnaissance honorifique, découlant d’un classement, un Patrimoine exige plusieurs choses, et implique plusieurs secteurs de manière transversale. En effet le classement d’un bien culturel au patrimoine requiert que des moyens consistants soient mobilisés pour sa préservation, sa conservation, sa restauration, son enseignement, sa promotion nationale et internationale. Une fois ces moyens mis en œuvre, et avec une gestion éthique, les retours sur investissements seraient considérables sur les plans non seulement mémoriel et historique, mais aussi sur les plans économique, social, diplomatique, culturel et scientifique.
En conséquence, une politique intelligente du patrimoine est pourvoyeuse d’emplois, car impliquant plusieurs professions dont les archéologues, les architectes, les douaniers, les guides, les centres de formation, les conservateurs de musées et de sites, les marchands, les collectionneurs, les transporteurs, les assureurs, les imprimeurs, etc…Avec les nouvelles technologies, avec en vue l’implication des jeunes, le Patrimoine est une ressource et une source de créativités (jeux video, 3D Printing, films, littérature, etc) Mais à quoi bon une nouvelle législation si l’existante est constamment violée en toute impunité?
La nouvelle législation qui remplacera celle de 1971 devrait être précédée d’enquêtes et d’études sur les causes et conséquences des abus et de l’impunité de l’ancien système, afin de prévoir les dispositions idoines à même de la rendre applicable. En ces temps de globalisation, de l’ère de l’Intelligence Artificielle et de la Réalité Augmentée, les enjeux du Patrimoine de l’Afrique, berceau de l’humanité et des civilisations, sont critiques. Un pays comme le Sénégal, qui, malgré sa petite taille et sa pauvreté, abrite pas moins de 7 sites classés au Patrimoine Mondial de l’Humanité a une carte importante à jouer, encore faudrait-il qu’il se dote d’une législation moderne, sous la forme d’un Code du Patrimoine, et se mette en conformité avec les exigences technologiques du 21e siècle, et avec les législations internationales, notamment la Convention UNIDROIT qui permet à ses Etats membres de réclamer la restitution automatique des biens culturels illicitement volés ou exportés vers tout Etat membre, au besoin par la voie judiciaire.
L’adhésion a cette convention permettrait au Sénégal de se passer des messes Macroniennes qui n’ont produit qu’un sabre, fût-il celui de l’illustre Elhadj Omar, car l’essentiel du butin provenant des colonies n’a toujours pas été répertorié, encore moins restitué. Le Sénégal pourrait même être plus ambitieux et plus innovateur, en engageant le chantier d’un Code de la Culture, lequel, non seulement organiserait le Patrimoine, mais inclurerait aussi les Industries Culturelles, le Statut des Créateurs, les Droits d’Auteur, etc… Les mines et puits de pétrole ne sont pas plus importants que le Patrimoine.