Dans une des émissions «Guis-Guis» qui passent à Sen/Tv et que je suis régulièrement, l’acteur principal dont je tairai le nom s’apitoyait pour le président de la République en ces termes : «Pauvre Macky Sall !» Et il précisait aussitôt qu’il avait pitié du chef de l’Etat pour la simple raison qu’il a une «jeunesse paresseuse».
L’oisiveté n’est-elle pas la mère des vices ? Tout part de là ! Ces manifestations sont multiples et multiformes, et les qualificatifs dès lors ne manquent pas : «jeunesse paresseuse», «jeunesse malsaine», «jeunesse inadaptée», «jeunesse frustrée»… et les noms d’oiseau ne se tarissent pas. Il n’est pas facile de percevoir le pourquoi d’un tel phénomène. Soyons francs ! Lequel d’entre nous n’a jamais d’angoisse devant l’avenir, ni de frisson, sinon devant l’inconnu ?
Les psychanalystes, j’imagine, expliqueraient cela mieux que moi. Mais tentons tout de même de comprendre ! On peut le prévenir, ce phénomène, sous l’angle des inadaptés sociaux qui se caractérisent par l’impossibilité dans laquelle se trouvent ces jeunes, de faire face normalement aux problèmes qui se posent à eux.
Devant les difficultés de la vie, ils se montrent paresseux – Cf. propos de l’acteur principal de «Guis-Guis» – apathiques, dépourvus de volonté, prêts à chercher certaines consolations dans la mythomanie, les fugues et les débordements sexuels, y compris bien sûr l’homosexualité. Pour ce dernier travers, l’apologie menée par les réseaux sociaux et certaines séries télévisées qui le rendent fascinant et captant oriente le comportement de la jeunesse qui singe ses «héros» de la vie courante. Sans doute, le problème de l’adolescence a toujours attiré l’attention et inspiré des inquiétudes, car elle a toujours été un tournant dangereux.
Mais de nos jours, le problème se pose différemment, le comportement actuel des jeunes n’étant plus ce qu’il était il y a cinquante ou cent ans. «Les jeunes, disent certains experts de L’Unesco qui ont sondé la question, ne semblent pas seulement franchir une phase comme à toutes les époques, ils paraissent installés dans un état.» On peut donc dire que s’ils ont beaucoup changé par rapport à ceux d’autrefois, ce doit être parce que le temps présent est très différent des époques antérieures. Il est facile de le constater. La jeunesse d’aujourd’hui souffre de diverses circonstances que l’on ignorait au siècle dernier.
La promiscuité urbaine, l’absence d’air pur, les nourritures dévitalisées, les intoxications pharmaceutiques, les logements trop étroits – Dakar notamment – le bruit et autres nuisances, la tension nerveuse doivent nécessairement fabriquer des êtres ne ressemblant guère à ceux des générations précédentes. Cette atmosphère entraîne naturellement une agitation inhabituelle, de l’insomnie, une sorte d’amertume et une incapacité toujours croissante de goûter le calme et la paix intérieurs. A cela s’ajoutent d’autres causes qui ont pour noms : alcoolisme, trouble psychique, inconduite et désaccord chez les parents, influences néfastes de la rue, les lectures immorales, les dancings, le cinéma, les séries télévisées, la perversité de certains milieux constituent autant de facteurs pour lesquels nos jeunes se trouvent désemparés en face de cette variété aussi abondante de difficultés et d’anomalies.
De tous temps, les jeunes gens et les jeunes filles ont dû s’adapter au milieu social dans lequel, comme adultes, ils étaient appelés à se vendre utiles et à travailler. Cette adaptation devient de plus en plus difficile.
L’affaiblissement des notions de justice, de devoir, d’honnêteté, de ridicule si souvent jetées sur les vertus les plus respectables – fulla ak faida, jomm – le relâchement des mœurs affiché sans vergogne – homosexualité – les complications croissantes de l’existence, les compétitions en vue d’obtenir toujours plus d’argent, de notoriété ou de pouvoir ont relégué à l’arrière-plan la notion de devoir de la société d’aujourd’hui envers ceux qui forment la société de demain.
Pis encore, l’abaissement du niveau intellectuel général, entraîné par ces divers facteurs, l’aboutissement progressif qui résulte de l’usage des boissons alcooliques, le manque d’intérêt de la plupart des familles pour l’éducation véritable des enfants, le rôle des soucis que l’on cherche à neutraliser par des amusements plus stupéfiants encore que stupides sont en train de faire une génération de révoltés – véritable bombe à retardement – de fugueurs, de désespérés, de «débrouillards» dans le mauvais sens du mot, bref, des gens qui seront demain des éléments difficiles à contenir, des semeurs de désordre, des exemples néfastes pour ceux qui les suivent. Il s’agit là d’une véritable crise du bien social qui se manifeste par la montée des incivilités, des actes de délinquance et du sentiment d’insécurité.
C’est ce que Sébastien Roché appelle «la société incivile» – Cf. Sébastien Roché, La société incivile, qu’est-ce que l’insécurité ? Paris, seuil, 1996, page 47 et qu’il définit comme «rupture de l’ordre en public, dans la vie de tous les jours, de ce que les gens ordinaires considèrent comme la loi». Roché cite pêle-mêle les «dégradations, bruits, odeurs, vitres brisées, impolitesses, insultes, actes de vandalisme, sacs arrachés, voitures caillassées, pneus brûlés» bref, des actes manifestant une véritable «crise des mécanismes sociaux d’apprentissage du contrôle de soi et du respect naturel», une «crise du lien civil». Les spasmes sociaux du mois de mars dernier en sont une illustration parfaite. C’est très grave, car il s’agit ni plus ni moins d’une régression du processus de civilisation qui se manifeste par des manquements systématiques au «code des relations entre les personnes». Elle constitue une menace, génératrice d’un sentiment d’insécurité, «pour soi, pour le corps propre, mais aussi pour le corps social».
Bref, un danger social et un risque personnel qui met en cause les règles même de la vie sociétaire en jetant le doute sur la possibilité du bien social. Loin de moi la pensée de loger tous les jeunes à la même enseigne et de les envelopper tous dans un même jugement. Il y a beaucoup de braves jeunes gens, beaucoup de jeunes filles honnêtes, beaucoup d’adolescents qui ont le sens du devoir et qui recherchent un idéal. Nous en rencontrons constamment qui aiment ce qui est juste et vrai, qui sont disposés à sacrifier leurs aises, leurs goûts et leurs ambitions lorsqu’il s’agit de répondre à un appel en faveur d’une tâche noble et généreuse. Le constat est clair : cet état d’esprit se perd et qu’il faut faire quelque chose. Mais quoi faire ?
Bien des solutions peuvent être tentées : Prévention par l’éducation familiale, dépistage précoce, rééducation compréhensive, amélioration du terrain organique par les hormones – voir spécialistes – les vitamines, l’hygiène physique et mentale, création de services spécialisés en cas de présence de jeunes inadaptés sociaux etc.
Dans tous les cas, je ne pense pas que notre jeunesse soit «malsaine» comme le faisait entendre, en 1988, le Président Diouf, quand il a essuyé à Thiès des jets de pierres au cours d’un meeting. C’est une jeunesse plutôt désemparée. Que de parents «vivent leur vie» et ne pensent qu’à eux, qu’à leur plaisir, qu’aux droits de leur propre corps et de leur propre personne, rejettent dans un oubli tragique le droit de leurs enfants à vivre, eux aussi, pleinement, dans la tendresse, la sécurité, la stabilité dont ils ont besoin !
De ce point de vue, le Dr Edouard Pichon déclare : «Pour qu’un enfant se développe normalement au point de vue physique, intellectuel, mental, caractériel et affectif, il faut qu’il soit issu d’un couple légitime, uni par un solide amour et formant devant lui un bloc indissoluble qui l’accompagne jusqu’à son âge adulte.» Cela suffirait pour expliquer bien des écarts de conduite de notre jeunesse actuelle, puisque des quantités de familles de nos jours sont bien loin de réaliser ces conditions de vie et cet idéal.
En somme, nos enfants ont besoin de savoir que la société dans laquelle ils vont jouer leur rôle est malheureuse plus encore que blâmable, qu’elle est plus sotte et plus vaine que vraiment méchante et qu’il faut voler à son secours. Si nos jeunes comprennent cela, ils s’adapteront fort bien à la société actuelle, non pour la suivre et l’imiter, pas davantage pour la fustiger de leur mépris, mais pour l’aider et y jouer le rôle de flambeaux, éclairant chaque jour un peu plus le chemin menant vers le progrès, au grand bénéfice de notre cher Sénégal. Jeunesse malsaine, non ! Jeunesse désemparée, Oui !
Yakhaya DIOUF
Inspecteur de l’Enseignement Élémentaire à la retraite