Les élections locales arrivent, et dans la multitude d’offres politiques, celle de la gauche reste absente. Elle s’est fondue dans des coalitions ou s’est évaporée dans un appareil populiste aux relents identitaires. La gauche s’est ensevelie et refuse de penser les dynamiques actuelles pour y puiser les ressorts d’une renaissance, alors que l’époque n’a jamais été aussi favorable à ses idées. Dans ce marasme idéel, Babacar Diop des Fds fait exception, même s’il sait mes réserves sur ce que je pense être ses impasses tactiques.
Le constat de Babacar Diop sur l’état de la gauche est limpide. Sa proposition d’une nouvelle gauche démocratique, écologique, internationaliste est juste, afin de construire ce qu’il appelle «le socialisme du 21ème siècle» appelé à «démocratiser», «démarchandiser», «écologiser» et «unir» les progressistes africains autour d’un nouveau socle théorique et politique. Il trace une ligne, pense les dynamiques, pose des mots intelligents sur l’état de notre société et propose des pistes de solution sur les impasses actuelles du capitalisme. Ils sont malheureusement trop peu comme lui à réfléchir, tellement le niveau de la classe politique s’est effondré en 40 ans.
En annonçant sa volonté de bâtir un parti plus fort que le Ps, Babacar Diop assume son ambition d’un sorpasso à la sénégalaise. Le sorpasso a été théorisé par le parti Podemos il y a quelques années, comme volonté de dépasser en suffrages le Parti socialiste espagnol, pilier historique de la gauche, afin de devenir la nouvelle force centrale du mouvement progressiste du pays. L’état de notre gauche est désespérant, alors qu’entre les libéraux et les conservateurs existe une ligne de crête à emprunter pour faire renaître un espoir nourri par une volonté de conquête du pouvoir.
Entre l’inertie politique d’un côté et les outrances et les propos conspirationnistes qui enveloppent mal une vacuité idéelle de l’autre, un espace existe pour construire un grand mouvement de gauche capable de prendre le pouvoir, de gouverner et de changer la vie des gens. La gauche sénégalaise n’a pas actualisé sa pensée critique et ne s’est pas adaptée à la réalité post-1989. Elle est dans une paresse intellectuelle que les appels réguliers à l’unité ne soignent pas.
Dans L’Idéologie allemande, Marx et Engels considèrent le communisme comme «le mouvement réel qui abolit l’état actuel». Le travail de construction d’une nouvelle force hégémonique nécessite d’en finir avec les concepts du passé. Un mouvement conceptuel est nécessaire pour dépoussiérer les idées et nourrir une volonté de bâtir une force capable de gouverner. C’est une erreur de s’enfermer dans des logiques d’appareil qui éloignent le courant progressiste des citoyens comme c’en est une de se donner pieds et poings liés à une force politique qui symbolise ce que notre pays peut offrir de pire en 60 ans.
L’horizon de la gauche ne peut être l’inféodation aux libéraux partisans du post-politique ni le compagnonnage avec des conspirationnistes, des fossoyeurs de la république et des partisans du populisme autoritaire le plus abject. Il n’honore pas la gauche de faire la courte échelle à ceux qui pensent la nation non pas comme construction civico-politique, mais l’appréhendent comme socle d’une identité fermée en stigmatisant les étrangers, rompant avec notre tradition d’accueil et d’ouverture. Daniel Bensaïd disait que «Quand les lignes stratégiques se brouillent ou s’effacent, il faut en revenir à l’essentiel : ce qui rend inacceptable le monde tel qu’il va et interdit de se résigner à la force aveugle des choses». L’essentiel pour la gauche, ma famille intellectuelle, est de bâtir de nouveaux consensus entre progressistes pour gouverner et être aux côtés de ceux qui souffrent. Un espace entre les mâchoires des libéraux et des fachos existe. Il serait important d’y insérer une nouvelle force hégémonique qui irait des socio-démocrates aux marxistes, pour éviter aux citoyens de n‘avoir comme recours que les populistes autoritaires qui remplissent le mot Patrie d’un signifiant réactionnaire.
Cette force hégémonique aura à bâtir de nouveaux communs au service des opprimés, des jeunes, des femmes, des classes moyennes, des ouvriers, des paysans, des diplômés et des intellectuels précaires.
Ce travail est long et coûteux, mais il n’incombe qu’à la gauche de panser les maux de ceux qui souffrent, car elle s’est donné, depuis deux siècles, pour exigence d’être le camp de l’humanisme.