La 12e législature aura été qualifiée à tort ou à raison de la plus nulle, dans l’histoire parlementaire du Sénégal. Les députés qui la composaient essentiellement ont été cités dans toutes sortes de magouilles financières, de tripatouillages textuels, de pratiques peu recommandables qui détonnent avec le contenu de l’article 100 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale : « Le député, élu du peuple, est un représentant qualifié de la Nation qui a des obligations de rigueur morale, d’intégrité, de droiture et de dignité qui doivent se refléter dans son comportement et sa vie de tous les jours. » Les bordées d’insanités entre les députés Aïssatou Diouf et Me El Hadji Diouf surnagent encore dans nos mémoires. La 12e législature a été vassalisée et manipulée par l’Exécutif là où les Sénégalais s’attendaient à une rupture de taille, à une révolution parlementaire qui accoucherait d’un nouveau type de député.
Opposant, le candidat Macky Sall s’était engagé à réformer le mode d’élection des députés parce que celui de l’époque (et qui est toujours actuel) favorisait ceux que l’on appelle les députés du président. Ce qui est une insulte institutionnelle si l’on sait qu’en République, la séparation des pouvoirs est un principe sacro-saint pour vivifier la démocratie. Mettre les députés de son choix sur les listes nationale et départementale génère des représentants de la Nation qui n’ont aucune légitimité populaire. Aujourd’hui la majorité des députés qui peuplent l’Assemblée nationale ne seraient pas élus s’ils s’étaient présentés dans un scrutin uninominal à un ou deux tours. Par conséquent, si certains députés s’enorgueillissent ostensiblement à se réclamer députés du président comme le clamait insolemment le maire Moussa Sy du temps du régime de Wade, c’est parce qu’ils pensent à juste raison que c’est le président Macky Sall qui leur permet de bénéficier de tous les passe-droits dont ils jouissent aujourd’hui. Et il ne faut jamais s’attendre à ce que ces députés godillots votent contre ou remettent en cause un projet de loi. En dépit des nouveaux pouvoirs acquis lors du référendum de mars 2016 notamment en matière de contrôle et d’évaluation des politiques publiques, les députés de la mouvance présidentielle, comme les prisonniers de la caverne de Platon qui préféraient l’obscurité à la lumière, s’agenouillent sans vergogne devant le chef de l’Exécutif et se soumettent à ses desiderata. Et cette soumission aveugle au pontife du palais leur confère une immunité voire une impunité. Cela est attesté par cette 13e législature pour laquelle on ne parvient pas à trouver un qualificatif péjoratif approprié.
Cette 13e législature a avalisé les ignominies du parrainage pour éliminer des candidats à la présidentielle de 2019, livré à l’échafaud le député Khalifa Sall et balisé à la justice le terrain de la mise à mort politique du leader de Taxawu Senegaal et de Karim Wade. Cette 13e législature est celle du refus de payer les impôts, de trafic des faux billets, et de trafic sur les passeports diplomatiques et tutti quanti. Seydina Fall alias Boughazelli mêlé à un trafic de faux billets plastronne aujourd’hui après avoir bénéficié indûment d’une liberté provisoire pour de pseudo-raisons médicales.
Depuis le 6 septembre dernier, date à laquelle un sieur du nom d’El Hadji Diadji Condé a été appréhendé par les agents de la Dic, l’institution parlementaire est éclaboussée par une histoire de trafic de passeports diplomatiques avec l’implication de deux députés de Bennoo Bokk Yaakaar. L’interrogatoire de Condé a révélé que les députés El Hadji Mamadou Sall, Boubacar Biaye sont mouillées jusqu’aux épaulettes dans un trafic de passeports diplomatiques. La saisie de 8 titres de voyage établis en leurs noms, la découverte de 14 certificats de mariage portant les noms du trio avec d’autres femmes, de 9 autorisations parentales, de 7 contrats de travail, de 20 photocopies de cartes nationales d’identité montre l’ampleur de ce trafic de documents de voyage. À ces documents frauduleux s’ajoutent 7 relevés de comptes CBAO et Ecobank, 19 extraits de naissance portant les cachets des centres d’état-civil de Kédougou, Pikine et Médina Gounass et enfin 13 relevés d’indemnités parlementaires.
Une telle découverte étonnante et détonante suffit pour qu’une procédure judiciaire soit enclenchée pour apporter la lumière sur cette affaire qui mouille deux députés apéristes et souille la deuxième institution du pays. Mais au vu des atermoiements et des louvoiements, il appert de plus en plus clairement que le régime de Macky Sall représente une menace non seulement pour la justice sociale et l’équité, mais également pour le respect de la démocratie et de ses institutions. Dans l’affaire Kilifeu et Simon, le procureur a transmis avec célérité l’affaire au juge d’instruction qui, à la fin de ses auditions, a placé en détention les rappeurs de Y en a marre. Mais ces deux activistes accusés de trafic de migrant doivent pouffer de rire puisque l’Assemblée nationale est devenue un véritable capharnaüm de trafic de migrants, de faux, de magouilles fiscales, de surfacturation et de partage de fonds politiques.
Depuis plus de trois semaines que cette affaire a été soulevée, le ministère public n’a pas encore réagi pour enclencher une quelconque procédure judiciaire à l’encontre de ces deux voyous parlementaires. Seul, Condé a été entendu et écroué par le juge du deuxième cabinet pour « association de malfaiteurs, escroquerie, blanchiments de capitaux, faux et usage de faux sur des documents administratifs et faux en écritures publiques authentifiées ». Pendant ce temps, ses complices parlementaires se pavanent sans être inquiétés. Aujourd’hui, le procureur refuse d’enclencher des poursuites parce que cette affaire ne touche pas seulement Condé et ses complices de l’Assemblée, mais étend ses tentacules jusqu’à la présidence de la République et le ministère des Affaires étrangères où l’on signe ce document de voyage dont l’attribution est régie par un texte. Le malaise s’est installé au sein de la mouvance présidentielle et cette dernière se trouve dans un dilemme cornélien, car livrer les deux députés à la justice revient à remonter jusqu’à la 12e législature où ledit trafic de passeports diplomatiques a commencé. Et des pontes de la République insoupçonnés mêlés à ce trafic pourraient tomber.
Aujourd’hui, le sentiment le mieux partagé est que cette affaire finira en eau de boudin et que quelques lampistes seront apparemment « sanctionnés » pour calmer l’exaspération populaire.
Le passeport diplomatique sénégalais n’a plus aucun prestige, aucune valeur dans l’espace européen et américain. Le président Macky Sall qui, dès les premières lueurs de la deuxième alternance, avait enjoint son ministère des Affaires étrangères de remettre de l’ordre dans la délivrance de ce sésame dont l’attribution est soumise une réglementation rigoureuse est l’un des premiers à la fouler au pied. N’est-ce pas lui qui a attribué le passeport diplomatique à l’obscur homme d’affaires malien Seydou Kane arrêté le mercredi 18 novembre 2015 et placé en garde à vue à Nanterre en France malgré son document de voyage par les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCLIF) ? Certains disent que l’attribution du sésame à cet affairiste Malien établi au Gabon n’était qu’une forme de pretium doloris à l’assistance financière consistante dont Macky Sall a bénéficié de sa part quand il allait à la quête de la présidence de la République.
Lors de la première alternance, tous les soutiens politiques de Wade en disposaient. En 2002, 200 cent passeports avaient été livrés à un marabout aujourd’hui décédé qui, en retour, lui apportait son soutien politique. Pourtant deux ans auparavant, le ministre des Affaires étrangères Cheikh Tidiane Gadio avait réussi à mettre la main sur 3 000 passeports diplomatiques mis en vente sous le régime de Diouf. Le crépuscule du règne socialiste est aussi entaché par la délivrance outrancière de passeports diplomatiques à des Chinois sous le prétexte qu’ils voulaient, avec la crainte du passage de la rétrocession de Hong-kong à la Chine le 1er juillet 1997, investir au Sénégal. Entre le 31 juillet 1998 et début octobre, le long des berges de la Seine à Paris, les corps de deux jeunes Chinoises (une mère et sa fille), froidement exécutées, sont découverts par des promeneurs. Elles détenaient toutes les deux des passeports diplomatiques de notre pays. Ces Chinoises seraient victimes d’un règlement de compte de certains caïds de la mafia chinoise en possession eux aussi de passeports diplomatiques sénégalais.
Le président Macky Sall, lors du Conseil des ministres du 17 avril 2019, avait demandé à son ministre des Affaires étrangères, Amadou Bâ, de mettre de l’ordre dans la pagaille observée dans la délivrance des passeports diplomatiques. Mais l’implication de deux députés de la mouvance présidentielle dans le trafic de ces documents de voyage montre que l’injonction présidentielle n’était que tape-à-l’œil. Et au rythme où vont les choses, les Sénégalais doivent déchanter parce qu’Aymérou Gning et ses collègues de Bennoo, en dépit de leurs rodomontades, ne courront pas le risque de donner un coup de pied dans la fourmilière en livrant les députés passeurs à la justice.