Le Doing business vient d’être supprimé par la Banque Mondiale. La direction de cette institution de Bretton Woods justifie sa décision par la « manipulation des données des éditions de 2018 et 2019, confirmée par les audits et les enquêtes menés par des organismes et cabinets indépendants ». Des pays ont été cités comme bénéficiaires indus, tel la Chine.
A la différence du Sénégal, pays demandeur de capitaux, la Chine (exportatrice de capitaux, en particulier vers l’Afrique) use du Doing business comme stratégie d’attraction des entreprises étrangères dans le but d’acquérir les technologies de pointe des pays occidentaux, qui concentrent l’essentiel des brevets industriels du monde. Aux accusations de nature politique faites au Doing Business se surajoute la critique selon laquelle ce programme pousserait les pays africains à alléger leur réglementation afin de favoriser l’implantation des multinationales au détriment de l’entreprise locale. Avec cette mesure de suppression, c’est toute une stratégie d’attraction de l’investissement extérieur prônée par la Banque Mondiale qui vient d’être remise en question. L’abandon de cet indicateur d’attractivité serait-il un obstacle au développement de flux extérieurs de capitaux en direction de notre pays ? La réponse est négative à notre avis.
La tyrannie du Doing Business dans les réformes relatives à l’environnement des entreprises n’aura pas « accouché » d’une croissance à deux chiffres des pays d’Asie basée sur l’industrie et les services. Par ailleurs, la question de sa prise en compte exclusive par les investisseurs comme critère de décision n’est pas établie. Lorsque les investisseurs européens veulent investir dans l’or du Sénégal ou le fer de Guinée, ils sont peu regardants sur les critères de facilitation de création d’entreprises, d’accès au crédit ou de soubresauts politiques.
Par exemple, il n’est pas rare de noter la présence d’entreprises minières dans des régions à hauts risques sécuritaires d’Afrique Centrale. Ces considérations seront plutôt appréhendées par ces dernières comme des contraintes auxquelles il conviendrait de trouver les solutions adéquates. Ce qui serait plus déterminant pour l’investisseur, c’est beaucoup moins l’avis des agences de notation sur le risque que l’anticipation qu’il fait de la rapidité du retour sur investissements, tel qu’il apparaît dans ses business models et business plans.
Les investisseurs connaissent parfaitement les secteurs dans lesquels ils évoluent. Le Sénégal a figuré dans passé pas très éloigné (2013/2014), au rang des 10 pays les plus réformateurs du monde selon la Banque Mondiale. Seulement voilà, malgré ce satisfecit et en dépit des efforts entrepris, il n’y a pas été constaté un flux additionnel substantiel de capitaux destinés à l’investissement. En termes de flux financiers reçus annuellement, les montants d’IDE sont généralement inférieurs en valeur aux transferts des Sénégalais émigrés, même si la destination de ces fonds va généralement vers la consommation et peu à l’investissement.
Le rapport flux de capitaux reçus au titre de l’IDE sur les Besoins en Investissements globaux du pays est infime. Au Sénégal, ce sont les ressources financières publiques qui ont été à l’origine de la réalisation d’infrastructures depuis 20 ans. Les IDE sont encore peu significatifs dans l’investissement global à l’échelle du pays, encore moins dans le secteur industriel. Les besoins de ressources financières du plan de relance 2021/2023 du Sénégal ont été estimés à 22,4 milliards d’euros, soit 14.693 milliards de FCFA, alors que les IDE au Sénégal se sont élevés à 1,5 milliard $US en 2020 soit environ 840 milliards de FCFA.
En réalité, le Doing business, via ses réformes, a accentué l’ouverture de notre économie, sans contrepartie au plan de la maîtrise de la technologie, de la participation de nos PME aux activités générées par ces flux de capitaux et au développement de l’emploi. Ainsi, malgré la croissance générée par ces investissements, les transferts internes se résument à la fiscalité, souvent minorée par les avantages accordés en vertu des dispositions favorables des codes d’investissements.
Au regard du peu d’emplois créés, on peut affirmer sans risque d’être contredit que les IDE sont, jusque-là, allés vers des secteurs intensifs en capitaux et dont les profils de postes d’emploi sont d’un niveau de technicité hors de portée de notre main d’œuvre locale. Il est également notoire que les flux d’IDE ne se sont pas orientés vers les projets mis en avant dans nos plans de développement nationaux, tendant à la transformation de nos matières premières. In fine, on peut retenir que le Doing Business, qui a fait l’objet de tant d’attentions et entraîné des changements dans la réglementation dans le sens d’une plus grande ouverture aux capitaux étrangers à la recherche de profits rapides, n’aura que faiblement influé sur nos ambitions d’émergence qui supposent la diversification agricole, la densification du tissu industriel, l’exportation de biens et de produits à forte valeur ajoutée et l’initiation d’un cercle vertueux de croissance endogène profitable au développement du Sénégal pour le bien être des Sénégalais. Le bien être ! On en est loin, hélas. Il est même significatif, voire alarmant, que le débat économique actuel soit centré ces temps-ci sur l’augmentation ou la diminution de la pauvreté. Nous avions déjà eu un avant-goût de la détérioration des conditions sociales lorsque les programmes d’ajustement structurels ont été accompagnés de sous programmes de lutte contre la pauvreté, alors que nous pensions être installés dans une trajectoire d’enrichissement national avec l’ouverture de notre économie à l’international.
Au final, près de 40 après, nous en sommes à débattre du niveau de pauvreté de notre pays en termes d’avancement ou de recul. La conclusion qui s’impose, quel que soit le niveau de pauvreté, est que le Sénégal a été et est demeuré un pays pauvre au gré des politiques économiques menées jusque-là. Autant le Doing business a pu aider à infléchir une réglementation bloquante pour le business de nos PME (création d’entreprise en 20 j), autant on aura eu tendance à l’assimiler comme le moyen le plus sûr d’attirer les flux de capitaux internationaux, à la condition d’opérer des réformes suggérées. Il aurait été bénéfique au processus d’industrialisation que ces flux s’orientent également vers la fabrication de produits destinés au marché intérieur, en substitution aux importations, en association avec le secteur privé local. Cela demanderait évidemment une politique de promotion et de protection des entreprises locales. Une politique industrielle « souveraine » devrait, à notre sens, aller dans cette direction.