«Plus aucun Français n’ira mourir dans des guerres qui ne sont pas les nôtres ! » C’est l’engagement solennel et public que Marine le Pen entend respecter si elle est élue à la tête de la France. Les Maliens et les Nigériens sont prévenus ! On aimerait tant ne jamais parler de Marine le Pen, ni de Éric Zemmour, ne serait-ce que pour ne pas leur faire une publicité gratuite qui s’ajouterait à celle, frénétique, que leur font les médias français
Mais, voilà l’un et l’autre ne parlent que de nous, les Africains, les Arabes, les Musulmans, les immigrés, et il faut bien que, de temps en temps, nous nous fassions violence en parlant d’eux. Non pour répondre à leurs discours haineux, mais dans le seul but d’éclairer les Français, de leur faire comprendre que sous les prétentions d’érudition de l’un et les logorrhées répétitives de l’autre, se cache une profonde inculture historique.
Observons d’abord que Marine le Pen n’a pas été bien inspirée en tenant son discours au moment même où le gouvernement français commémorait la journée d’hommage aux Harkis dont tous les malheurs viennent précisément du fait qu’ils avaient choisi de servir son pays contre les intérêts de leur peuple. Notons par ailleurs que si ses propos visaient la présence de troupes françaises dans le Sahel, le premier à lui servir, indirectement, une réponse est le Premier ministre australien. Réagissant aux accusations des dirigeants français outrés par son comportement dans l’affaire des sous-marins, ce dernier les a invités à ne pas oublier qu’à deux reprises des soldats australiens étaient venus au secours de la France et étaient morts dans des guerres qui n’étaient pas vraiment les leurs.
Les chefs d’ Etat africains sont plus timorés ou plus pudiques, car , nous ressortissants de l’ancien empire colonial français, qu’avons nous fait, pendant tout un siècle, que d’aller mourir pour la France dans des guerres qui n’étaient pas les nôtres ? En ne remontant pas plus loin que la fin du XIXe siècle, on peut rappeler que le corps expéditionnaire qui avait mission de défendre l’honneur de la France à Fachoda, dans le haut Nil, en septembre 1898, était composé, à 90%,de Tirailleurs sénégalais, recrutés de force à travers toute l’Afrique occidentale. Ils étaient pourtant tous prêts à mourir pour la France, sans trop savoir pourquoi, derrière leur chef blanc, mais c’est la France qui préféra capituler devant la menace anglaise et renoncer à son rêve d’un empire colonial qui irait de Dakar à Djibouti.
Nos grands-pères étaient 200.000 à combattre dans les troupes françaises pendant la première guerre mondiale, une guerre qui non seulement n’était pas la leur, mais qui n’était que le résultat d’une querelle d’egos entre puissances européennes. Ils s’appelaient toujours Tirailleurs sénégalais, ils étaient toujours « sujets » français, ils étaient la Force Noire, et ils laisseront des morts aussi bien à Douaumont en France que dans les Dardanelles ou en Syrie. Nos grands-pères n’avaient pas fini de panser leurs plaies que nos pères s’en allaient à leur tour prendre part à une autre guerre, qui n’était toujours pas la leur, la deuxième guerre mondiale, avant d’être mobilisés pour d’autres guerres, en Indochine ou en Algérie, et cette fois ils se battaient même contre leurs propres intérêts.
Marine Le Pen, sûrement, et Zemmour, le monsieur « je sais tout », probablement, ignorent sans doute que l’un des premiers résistants à l’occupation allemande est un immigré africain. Il s’appelait Mamadou Hadi Bah (appelons le Maurice, pour ne pas « insulter » la France), s’était engagé volontairement dans le corps des Tirailleurs, et était membre du premier maquis créé dans les Vosges. Les Allemands, qui l’avaient surnommé le Terroriste Noir, réussiront à le capturer grâce à une trahison, le tortureront avant de l’exécuter sans qu’il ait livré les noms de ses camarades de maquis… Bref, pendant plusieurs générations, notre destin nous a conduits à mourir dans des guerres qui n’étaient pas les nôtres mais celles de la France. N’est-il donc pas logique que celle-ci, à son tour, vienne combattre à nos côtés dans des guerres qui ne sont pas les siennes, en apparence. Car, en réalité, et Marine le Pen doit le savoir malgré l’incompétence dont elle a fait preuve dans son débat face à Emmanuel Macron, les soldats français se battent au Sahel pour défendre aussi les intérêts de leur pays. « Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts « , le mot est du Général de Gaulle et la mésaventure des sous-marins vient encore de nous le rappeler.
Les soldats français qui combattent au Sahel, avec des résultats jugés mitigés par la population, ne se battent pas pour les beaux yeux des Maliens ou des Nigériens , mais aussi pour défendre les intérêts géopolitiques, stratégiques et économiques de leur pays et des pays occidentaux en général. Ce n’est pas un hasard si les pays européens s’accordent plus facilement à aller soutenir la France au Sahel qu’à aller au secours des immigrés qui frappent désespérément à leurs portes.
Voilà pourquoi on peut dire qu’en fin de compte, les soldats africains qui combattent le terrorisme au Sahel, se battent pour préserver la paix et la sécurité dans leurs pays mais également pour préserver les intérêts que l’ancienne métropole a maintenus dans leurs territoires. Eux aussi en payent un prix fort car si la France a perdu 52 soldats en huit ans de présence au Sahel, les pertes militaires africaines sont estimées à plus de 1000 morts pour la seule année 2020.