Jadis localité faisant partie de l’ancienne province du Mbayar, dans le royaume du Baol, Sambé est un village chargé d’histoire. Son refus d’être traversé par un roi lui a valu des batailles dont la plus connue reste celle qui l’avait opposé à Lat Dior Ngoné Latyr Diop en 1860. « Le Soleil » vous fait revisiter le champ de cette bataille qui reste un témoin de cette période ou Sambé était une terre de refus.
DIOURBEL- L’ambiance de Sambé est bon enfant en cet après-midi du samedi. Presque tout le monde a terminé l’essentiel de ses travaux champêtres de la journée. Raison pour laquelle certains jeunes occupent les espaces libres qu’ils transforment en terrain de football. D’autres, un peu plus âgés, sont au grand terrain du village où se tiennent les entrainements de l’équipe « navétane ». Tout le long de la nationale 3 qui traverse le village, des groupes de personnes, tous âges confondus, palabrent sous les arbres qui encadrent la route. Dans les maisons, les femmes s’affairent aux derniers travaux domestiques. Tenant une calebasse remplie de mil entre ses mains, Aïssatou Pouye, qui se rend au moulin, nous indique la maison dite « Keur Serigne Touba ». C’est le repère qu’a donné celui qui doit nous amener sur le champ de bataille.
Devant sa maison, où il a aménagé un champs d’haricots, Assane Ngom, natif de Sambé, taille élancé, l’air timide, précise que « contrairement aux localités sénégalaises qui sont dites « interdit de séjour » aux autorités publiques, Sambé refusait d’être traversé par les rois de l’époque ». Notre guide, Professeur d’histoire et de géographie de fonction, est l’actuel Principal du collège de Ndalla Gabou. Sambé, c’est un grand terroir qui commence entre la vallée morte du Sine et l’actuel village de Sambé-école au 12 siècle. Il se situe à huit km de Diourbel sur la route de Touba, dans la commune de Patar, au-delà du rond-point Gappo, après Khojil. De Sambé-école, aussi appelé Sambé Guente, fondé par Ndiapaly Coura Ngom, ont essaimé beaucoup de localités éponymes, en l’occurrence Sambé Niakhène, Sambé Digue, Sambé Tocassone, Darou Sambé, Sambé Sante Yalla, Sambé Peul 1, Sambé Peul 2, Sambé Mouride. Sambé-école ou Sambé Guente, qui était le chef-lieu de canton avant son transfert à Diourbel, abrite donc le site du champ de bataille qui a opposé le Damel du Cayor, Lat Dior Ngoné Latyr Diop, à la population de cette localité d’alors dirigée par Yacine Diop Gala.
Le champ de bataille de Sambé
Situé à environ un kilomètre à l’est de la nationale 3 qui transverse Sambé-école, le champ de bataille est devenu des terres cultivables. Mais, il garde certains témoins passifs, en l’occurrence les arbres et le puits. Ces symboles remplacent certes les originels, mais permettent d’indiquer des lieux stratégiques de cette bataille entre les troupes du Damel du Cayor et les habitants de Sambé. Faisant la géopolitique de cet affrontement qui a eu lieu en 1860, Assane Ngom explique que le Damel Lat Dior Ngoné Latyr se sentait à l’étroit au Cayor à cause de la présence des colons. C’est pourquoi il voulait se rendre, avec ses hommes, à Nioro du Rip, chez l’Almamy Maba Diakhou Bâ, en passant par le chemin le plus droit et proche en traversant le Sambé. Chose que les autochtones ont toujours refusé à tous les rois parce que, disaient-ils, le passage d’un roi était accompagné de pillage de biens, de captures des plus belles jeunes filles et plus solides jeunes garçons. Lat Dior voulait faire l’exception en vertu de sa puissance en tant que Damel du Cayor.
Dans ces champs de mil qui sont entre tallages et épiaison, le Professeur d’histo-géo raconte l’histoire de cette journée sanglante et indique du doigt l’emplacement des témoins passifs. Entre autres, il s’agit du grand tamarinier sur lequel était monté l’un des guerriers de Lat Dior, Madoumbé Mara. Par sa position stratégique sur cet arbre qui surplombait le champ de bataille, ce soldat abattait les gens de Sambé. Mais, il a été vite repéré et descendu par Diane Pouye, le plus brave des guerriers de Sambé.
Au-delà de ce tamarinier et des grands arbres dont des baobabs, des jujubiers et des acacias albida, le puits appelé « Diam Sambé », qui veut dire « paix à Sambé » en sérère, est aussi un symbole de cette bataille. Même si le puits originel a disparu, une autre source d’eau est apparue à quelques mètres et les populations l’ont entretenu en lui donnant le même nom de « Diam Sambé ». Un peu modernisé avec un couvercle en fer et toujours utilisé, ce puits date du début du 20 siècle. Très remarquable au milieu de cette brousse verte, le puits « Diam Sambé » était aussi un enjeu lors de la bataille de Sambé. En fait, selon le récit d’Assane Ngom, chacun des protagonistes voulait l’avoir derrière son cantonnement pour permettre à ses combattants de s’abreuver convenablement mais également empêcher à ses adversaires d’y accéder. À l’en croire, Lat Dior et ses hommes ont perdu cette bataille contrairement à ce que racontent certains. « La preuve, Lat Dior s’était replié chez son ami Moussa Diouf, à Kaba, une autre localité du Mbayar, avant de retourner au Cayor et ensuite se rendre à Nioro du Rip en passant par un autre chemin autre que Sambé », argumente-il, le visage illuminé comme pour montrer qu’il est fier de ses aïeux qui ont gagné contre un roi réputé puissant comme Lat Dior.
Le Tam-tam mystérieux « Diam Sambé »
Parler de Sambé sans évoquer son tam-tam mystérieux, dénommé lui aussi « Diam Sambé », qui se battait tout seul, est impossible. Il revient dans tous les récits de l’histoire de ce village qui date du Moyen Âge. Assane Ngom rapporte que cet instrument mystérieux qui a mystérieusement disparu en 2010 serait ramassé par le chasseur Diéno Diass Kab. En effet, dit-il, lors d’une partie de chasse, Diéno Diass Kab avait tiré sur un phacochère. Sachant qu’il a blessé l’animal, le chasseur l’a suivi dans la brousse, espérant qu’il allait succomber à ses blessures. C’est ainsi qu’il a découvert que le phacochère rejoignait sa famille qui, par une musicothérapie, avec un tam-tam, était parvenue à soigner la plaie en un laps de temps. C’est ainsi que Diéno Diass Kab tira en haut pour disperser les phacochères et récupérer le tam-tam, poursuit M. Ngom. Il confia ensuite cet instrument à un griot sur la demande de ce dernier. « C’est un tam-tam qui a certes des pouvoirs mystiques, mais un noble ne garde pas de tam-tam ; laisse-nous le garder », lui avait dit le griot, selon Assane Ngom. Depuis lors, la garde de ce mystérieux tam-tam est confiée à des familles de griots dans le Sambé. Ainsi, de Mbessa Dibore Faye, le premier conservateur, à Cheikh Abdou Faye, le dernier conservateur, qui est décédé il y a environ deux ans, le tam-tam « Diam Sambé » est passé entre les mains de 15 conservateurs avant de disparaitre mystérieusement en 2010, renseigne le principal du Cem de Ndalla Gabou. Revenant sur certains miracles que ce tam-tam savait faire, l’enseignant raconte avec beaucoup de joie que c’était un instrument qui annonçait certains évènements du village à l’image de la traditionnelle séance de lutte qui se tient à Ngalo Back. « Il était toujours accroché au baobab qui surplombait les lieux. Quand la séance de lutte devait commencer, le tam-tam donnait le coup d’envoi et il tombait à terre pour annoncer la fin de la cérémonie », rapporte-il, entre autres faits marquants de ce tam-tam mystérieux qui, comme un être vivant, laisser couler du sang s’il était égratigné.
Légendes et moments fondateurs de Sambé
Sambé signifie, dans le dialecte sérère local, « nid d’oiseau ».
Selon donc la légende des moments fondateurs rapportée par Assane Ngom, dans la localité de l’actuel Sambé-école résidait un charognard qui y avait construit un grand nid. D’après ce dernier, à chaque fois que ce vautour était sur son nid, il chantait les bienfaits que renferme la zone. « Cette terre est bénie et regorge de beaucoup de trésors. Heureux seront les habitants », chantonnait l’oiseau. Comprenant le message, Ndiapaly Coura Ngom y alluma un grand feu tout au long d’une nuit avant de s’installer définitivement. À en croire M. Ngom, Ndiapaly Coura Ngom est donc le premier habitant de Sambé Guente.
En réalité, dit-il, Mbabo, père de Thiolté Mbamane, qui était éleveur, avait un gros cheptel. Il était donc transhumant. Par conséquent, il fréquentait juste la zone du Sambé. D’ailleurs, il est resté quelques années sans venir dans la localité. C’est en ce moment que « Ndiapaly qui venait d’une localité de la vallée morte du Sine s’est marié à Thiolté Mbamane qui a donné naissance à deux enfants, un garçon, Sengado Ndiapaly, et une fille nommée Diamané Ngom. D’ailleurs, le bois sacré de Sambé qui était son refuge porte son nom. Elle était possédée par les djinns. Et quand elle avait des problèmes, elle entrait dans le buisson qui est devenu bois sacré », explique M. Ngom. Par la suite, Thiolté Mbamane va divorcer d’avec Ndiapaly Coura Ngom et contracter un second mariage. De cette union naquit un garçon qui s’appelait Diéno Diass Kab. C’est ce dernier qui a ramassé le fameux tam-tam.