La polémique va s’amplifiant. Après la Centrafrique, le Mali serait en négociation avec les mercenaires russes du Groupe Wagner pour une prochaine arrivée sur le sol malien. La sécurité précédant le développement, les responsables politiques semblent déterminés à ramener la stabilité dans leurs pays en crise sécuritaire. Mais à quel prix ?
Prêts à tout, au nom de la sécurité
Au cours de son règne, le maréchal Joseph Désiré Mobutu se confronte à une question de sécurité intérieure. Même s’il faut pactiser avec le diable pour pacifier le Zaïre, il se dit prêt à franchir le Rubicon. Ses partisans louent sa détermination. En 2021, c’est-à-dire plusieurs années plus tard, d’autres acteurs politiques africains héritent de cette détermination. Comme Mobutu à son époque, au nom de la sécurité dans leurs pays, ceux-ci n’excluent rien. Aussi souhaitent-ils, en catimini, la bienvenue aux paramilitaires russes, lesquels sont pourtant accusés, à tort ou à la raison, d’exactions sur des populations civiles, notamment en République centrafricaine. De fait, les Africains qui sont séduits par les prouesses des russes au pays de Bokassa estiment que les hommes de Wagner sont un moindre mal, comparé à d’autres armées régulières occidentales présentes sur le sol africain et dont ils ignorent les intentions profondes de ceux qui les ont déployées. Seulement en politique, prévient un auteur, ceux qui choisissent le moindre mal, ils finissent toujours par oublier qu’ils ont quand même choisi le mal. En effet, sous-traiter la sécurité de son pays avec des mercenaires n’est pas « un acte banal sans conséquences » comme analyse l’éditorialiste Jean-Baptiste Placca. Témoin de l’histoire politique de plusieurs pays subsahariens, Placca évoque l’expédition en Centrafrique des rebelles du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba. C’était entre octobre 2002 et mars 2003. Passons !
Russes et Français, la bataille d’influence stratégique en Afrique
Selon la version officielle Moscou a envoyé à Bangui des instructeurs militaires pour former et encadrer les forces armées centrafricaines (FACA). Des officiels occidentaux identifient les instructeurs russes comme des mercenaires appartenant au Groupe Wagner. La société Wagner serait « l’outil stratégique du Kremlin pour intervenir à l’étranger sans trop d’exposition ». Dans certaines chancelleries occidentales l’on accuse la Russie de vouloir réduire l’hégémonie d’une autre puissance concurrente sur le continent africain, en l’occurrence la France. Celle-ci a toujours considéré l’Afrique noire francophone comme son pré carré. De fait, Russes et Français se livrent une bataille d’influence stratégique en Afrique, la terre de tous les aventuriers. Et cela arrive avec la bénédiction de nouveaux acteurs politiques qui sont décidés à en finir avec la politique française de la France-Afrique. Un combat nécessaire et vital disent-ils.
Des accords de défenses usés
Rien n’arrivant par le pur des hasards, la polémique à laquelle nous assistons a des causes lointaines. Les accords de défense entre la France et ses anciennes colonies, devenues pays indépendants, ont montré toutes leurs limites et leurs failles. Depuis les années 60, il y a un jeu de dupes entre la Métropole et certains dirigeants africains sur les questions de défense et de sécurité, accusent des panafricanistes très critiques envers Paris. Selon eux, la France n’a jamais encouragé la formation ou l’existence même d’armées africaines de résistance. Ceci pour justifier son omniprésence sur le sol africain. Elle a favorisé la mise en place d’armées de parade, juste qualifiées pour le défilé lors des célébrations des anniversaires d’indépendances. Seulement, la responsabilité de cette situation est-elle exclusivement française ? Les avis divergent sur le degré des responsabilités. En 2012, dans le contexte de l’occupation du Nord-Mali par les djihadistes, Jeune Afrique consacre un numéro spécial sur les armées des pays subsahariens.
L’hebdomadaire panafricain n’a pas les mots assez durs pour les dénigrer. « Pourquoi les armées africaines sont-elles si nulles ? » (JA, n°2709, 2012). Cette une est largement commentée. Le diagnostic de JA est implacable : « Mal équipées, mal commandées, mal entrainées et mal aimées, la plupart des forces de sécurité subsahariennes sont dans un piteux état », écrit le journal. Sa critique s’adresse aux dirigeants politiques. Plus virulent, JA ajoute : « Des soldats de parade, aussi remarquables les jours de défilés qu’inaptes sous le feu ». Les mots sont pour les militaires eux-mêmes. Le journal sert à manger et à boire à tout le monde. Les propos du patron d’Africom, d’alors, à qui JA ouvre ses colonnes ne sont guère diplomatiques. Le Général Carter F. Ham jette un discrédit plat sur les armées des pays ouest-africains : « Si, nous, Occidentaux, nous ne prenons pas les choses en main, ce qui, en l’état, n’est ni envisageable ni souhaitable, il ne se passera rien » au Nord-Mali. L’avancée des djihadistes lui donnera raison, certes. Mais l’on retiendra également que malgré la présence des forces armées occidentales déployées au Sahel depuis 2013, le Mali et tous ses voisins immédiats sont toujours dans l’impasse sécuritaire. Aussi, ceci entraînant cela, si des gouvernements africains se tournent vers le bloc de l’est, c’est en partie, à cause de cet échec collectif. La nouvelle génération des acteurs politiques africains est, aujourd’hui, animée par un seul objectif, celui de corriger les relations avec l’Occident en général et avec la France en particulier. Ces nouveaux leaders panafricanistes, comme ils se présentent, souhaitent l’élargissement de coopération avec d’autres puissances existantes et dans tous les domaines. Ce qui justifie cet élan vers la Russie et la Chine. Ces deux pays attendaient cette opportunité de développer directement avec les Africains un partenariat « gagnant-gagnant » loin des oreilles de Paris. Le but semble atteint.
La question des responsabilités morales et pénales
Ce n’est nullement une prophétie mais une simplement opinion. Il n’est pas exclu que les paramilitaires russes, aujourd’hui objet de toutes les conversations, soient un jour à l’origine de crises sociopolitiques majeures dans les pays où ils interviennent. Car devenus puissants et incontrôlables, des armées d’ombre se sont retournées contre leurs employeurs. D’autres ont « fait » et « défait » des présidents de Républiques ici, là-bas et ailleurs, en toute impunité. Le 7 juillet dernier, le président haïtien Jovenel Moïse est assassiné par un commando de mercenaires. Depuis, des juges en charge de l’enquête se sont récusés craignant pour leur vie et celle de leurs proches. Aussi, la gêne que nous pouvons ressentir est, qu’officiellement, les mercenaires du groupe Wagner ne sont reconnus par aucun État, pas même par la Russie. Or, de l’avis de spécialistes des sociétés paramilitaires privées, la seule règle pour ces sociétés, c’est qu’il n’y ait pas de règles. Leurs hommes peuvent agir librement sans le risque d’être, un jour, poursuivis devant des tribunaux pour des crimes commis. Aucun État ne les ayant officiellement reconnus, aucun gouvernement n’aura à endosser la responsabilité morale ou pénale d’un quelconque crime commis par eux.
Le procès des élites sans ambages, le verdict impitoyable
Enfin, les gouvernements qui souhaitent la bienvenue aux paramilitaires russes doivent mesurer l’impact sociopolitique, morale et psychologique d’une collaboration avec des hommes qui avancent masqués. Certes, un adage le dit avec pertinence : celui qui a faim ne regarde pas le visage de celui qui le nourrit. Mais devant une question de vie ou de mort un discernement profond s’impose, afin d’éviter de commettre les mêmes erreurs du passé dans les alliances stratégiques à parapher. Le procès des élites intellectuelles, politiques et militaires qui dirigent ou qui aspirent diriger leurs pays sera, dorénavant, sans ambages et le verdict impitoyable. Car aucune erreur de jugement, aucune action politique maladroite n’est, désormais, tolérée et pardonnée par les citoyens. De plus en plus, ceux-ci se soudent les coudes au sein des organisations des sociétés civiles. Ceci pour mener le combat de la survie, parce que conscients qu’ils sont toujours les premières victimes collatérales des erreurs des choix politiques qui conduisent à la violence sous toutes ses formes.
Pierre BOUBANE