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La DÉshumanisation FÉminine Par Le Discours

La DÉshumanisation FÉminine Par Le Discours

En psychologie et particulièrement en psychotraumatologie, on nous répétait, au cours de mes études, qu’il ne fallait jamais accepter l’enfermement dans le huis clos du trauma car c’est cela qui le fixe et le rend insurmontable. Il faut en parler, le faire savoir, trouver des recours, de l’étayage. Refuser que l’agresseur vous fasse sortir de la communauté humaine et vous réduise à l’état d’objet. Parler, écrire : c’est d’abord affirmer sa place de sujet et contrarier les desseins de l’agresseur qui cherche à vous silencier. Ecrire : c’est métaboliser, transformer, sublimer une expérience dégradante en quelque chose de partageable, faire œuvre de réflexion. Dépasser l’expérience du trauma, c’est saisir l’occasion d’aller dans le sens de l’accroissement personnel. C’est transformer en quelque chose de positif ce qui aurait pu devenir un trauma indépassable, si notre profession ne nous préparait pas à aller, avec l’autre, aux confins de l’humanité et à être prête, en tant que féministe militante, à être la cible de violences et spécialement d’une violence masculine crasse, tellement ordinaire au Sénégal. Toutefois, l’époque où les femmes se taisaient, avilies par les humiliations, verrouillées par la contrainte sociale sanctifiée par les dogmes est passée. Celle où les femmes se terraient pétrifiées est révolue aussi. Aujourd’hui, nos vies comptent, nos voix comptent et nous avons acquis les moyens de le faire savoir et de faire face.

Dans cet article, je vous propose une réflexion sur l’insulte sexiste et sexuelle au Sénégal. Pays qui s’enorgueilli d’être si accueillant et si ouvert dans lequel tout se règle en discutant et en buvant le thé. Mais attention : entre hommes seulement. Et l’on s’échauffe sur l’homosexualité masculine ? Vous m’en direz tant !

Les femmes elles, sont chaque jour, un peu plus exclues des espaces publics, des lieux de savoirs et des lieux de décisions. Certains se croient même légitimes à penser à leur place, à parler à leur place, à choisir à leur place parce que, comme de bien entendu, ils savent mieux que les femmes ce qu’elles pensent, veulent dire ou désirent. Ce même Sénégal de pleutres éternellement irresponsables, de faux culs et de violeurs de belle apparence dans lequel, la même femme, peut se voir envoyer à la tête, par un diplomate marié éconduit, un « salope » par message écrit ; ou un « sale pute », sur un site poubelle, d’un illustre inconnu caché derrière son clavier et n’ayant pas d’autre argument à opposer à un point de vue sur l’avortement. Quand ça n’est pas un « toutes les féministes sont des lesbiennes », d’un gueux décati, pervers et menteur, au milieu d’une garçonnière des bas-fonds télévisuels, qui pue le bouc, depuis la fameuse ode au viol d’un alcoolique délirant et de ses amis piliers de bar et tôliers, amateurs de mineurs.

Evidemment dans un contexte de vilénie pareille, réfléchir sur le sens de l’insulte c’est faire acte de charité. Alors vous avez dit : sale pute, salope ou lesbienne, à l’heure où l’on nous bassine de valeurs et de mœurs dont, vous-mêmes, voulez vous porter garants ?! Vous êtes bien drôles, bande de clown ! Dégrader de la sorte une femme, pour tenter de la sortir d’une norme inscrite sous le signe du phallus et imposée par de sombres impuissants (je ne parle pas seulement de l’impuissance sexuelle qui s’étale sous tous nos ponts, je parle aussi de la non détention d’un quelconque pouvoir) c’est quoi ? Une forme d’élation narcissique pour compenser le démenti opposé à votre mégalo ? Un retournement actif/passif devant la castration insupportable que ces femmes infligent à votre pouvoir déjà inexistant ? Une branche à laquelle se raccrocher pour faire face à la réactualisation d’autres castrations traumatiques voire, légèrement ratées, par manque de délicatesse ou de précision du geste ? Se penser valeur étalon quand on ne l’est pas est pour le moins prétentieux, sinon narcissique, mais surtout infantile : c’est prendre ses rêves pour la réalité. C’est aussi dévoiler une impuissance phallique trop facilement battue en brèche sur la place publique. La honte ! Le K.O. technique advient lorsque l’uppercut narcissique qu’est le bon argument bien placé et inattendu, qu’on ne peut pas parer, laisse sans recours des processus cognitifs en panne ou suspendus au-dessus d’un vide sidéral, couramment appelé ignorance. Alors dans l’urgence, vous vous mettez à donner des coups désespérés, désordonnés par la surchauffe de vos neurones de couards, c’est alors le court-circuit et le passage à l’acte langagier ? Rappelez-vous que la violence est l’arme des faibles et vos passages à l’acte orduriers en sont le triste aveu. Implicitement vous nous reconnaissez un pouvoir menaçant qui ouvre sous vos pieds les abysses de la perte narcissique. Il vous en faut donc si peu pour vaciller et ne plus savoir (vous) débattre ? Quand l’injure surgit, telle une décharge, elle tente d’abord dans l’urgence de maintenir symboliquement la prévalence d’un humain sur un autre en même temps qu’elle se perd. Là où vous pensiez retrouver le contrôle, c’est précisément là que vous le perdez. Je comprends que cela puisse vous être une tension insoutenable qui vous fasse disjoncter. En effet, c’est bien la seule illusion qu’il vous reste. Hélas ! Il va falloir aussi y renoncer et apprendre à grandir !

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L’insulte sexiste et relative au sexuel s’adresse aux femmes, d’abord, parce qu’elles sont des femmes. Elle est le fait des hommes à 86%. Ceux-là même qui dans l’espace public ne sont que très rarement insultés de la sorte. Pour cause : la domination masculine s’y étale. La street est à eux, les lieux extérieurs de détente ou de pratique sportive sont à eux, les lieux de savoirs sont à eux, les lieux de pouvoir sont à eux, y compris ceux du pouvoir religieux, politique au Sénégal. A ce sujet, l’exemple le plus criant est celui de Soxna Aida Diallo, dépréciée et humiliée par les membres de sa corporation, persécutée par l’administration publique, y compris lors de cérémonies privées à son domicile, parce qu’ayant voulu exercer un pouvoir qu’on lui a conféré. Pouvoir vécu comme un sacrilège de la précession masculine alors que pourtant aucun texte n’interdit son action. Et elle a manifestement le pouvoir financier de sa politique. Que l’on se souvienne du nom du premier mécène de l’Islam, sans lequel rien n’aurait été possible : Khadîdja. Que l’on se souvienne de Khaoula, la femme d’Othman Bin Madhum, parmi les premières femmes musulmanes, dont Dieu a bien entendu la plainte et qui a donné lieu à la réponse contenue dans la sourate Al Mujadila, contre la versatilité et la violence masculines envers les femmes. Qu’on se souvienne aussi d’Umm Waraqa, convertie à l’Islam avant d’avoir rencontré le Prophète (PSL), l’un de ses premiers compagnons, érudite, 2eme guide religieux après le Prophète, nommée par lui-même qui lui mit un muezzin à disposition pour remplir sa mission, femme politique et enseignante. Qu’on se souvienne d’Aïcha, troisième femme du Prophète, qui outre son érudition, était désignée par son illustre mari comme détentrice de la moitié de la science islamique. Cheffe de guerre, elle fit assassiner le Calife en 656 et pris les armes. Elle fit la guerre (la bataille du Chameau) pour la succession du Prophète et c’est à elle que l’on doit la création de l’Islam politique. Comme il est donc intéressant de constater ces oublis, ces lectures tronquées, dont certaines parties ne sont absolument pas enseignées aux femmes. Comme c’est édifiant de constater que même là, le point de vue patriarcal prévaut et il est retourné contre les femmes pour les soumettre et les rendre « taillable et corvéable à merci », y compris en en faisant des esclaves sexuelles. Il est aussi fascinant de constater comment le Coran est aussi utilisé et détourné pour acquérir encore davantage de pouvoir qu’il n’en offre déjà, par l’inégalité entre les hommes et les femmes qu’il instaure et sacralise. L’insulte sexiste et sexuelle, c’est l’expression de ce regard masculin qui tutoie Dieu et se légitime de ses textes, pour se permettre d’apprécier la valeur d’une autre créature de Dieu.

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L’insulte sexiste et sexuelle, c’est aussi réduire les femmes à leur sexe, à leur appareil génital, les inférioriser davantage et les contraindre à la disparition sous l’opprobre et la peur, pour avoir osé déroger au contrôle de leur corps par les hommes. Pour rappel, l’abolition de l’esclavage date de 1848 au Sénégal et nous ne sommes plus contraints par le code de l’indigénat depuis 1958. L’insulte sexiste et sexuelle, c’est nier l’humanité des femmes en la réduisant à de l’instinctuel, comme un animal. En somme, l’insulte sexiste et sexuelle est une manière de réduire les femmes à un état de nature qui finalement essentialise toutes les femmes. Les femmes, dans leur singularité, n’existent plus il n’y a plus que LA femme frappée du sceau de l’impureté déshumanisante. Comme le nègre ! Lorsqu’une femme précisément est insultée de la sorte, elle représente toutes les autres puisque leur sont, par nature, déniées toutes leurs diversités, données par les cultures desquelles elles se réclament. Dès lors, les putes, les salopes et les lesbiennes c’est nous toutes ! Nous sommes donc bien toutes pareilles : des putes, des salopes, des lesbiennes. Et nos silences terrorisés ne nous en sauveront pas. Il n’y a pas de respect à avoir pour les peurs.

Mais encore une question : vos mères, sont-elles, elles aussi, des putes, des salopes, des lesbiennes ? L’insulte sexiste et sexuelle est une manière de disqualifier aussi la fonction imaginaire de la mère pour ne la constituer qu’en objet de jouissance. Elle aussi est posé en objet de désir aliénant qui dénote d’une forme de séduction sexuelle incestuelle de laquelle l’injurieux ne sait pas se sortir. Et là encore quand le (bon) sens s’effondre, l’injurieux est ravagé de haine pour ses objets internes, dont sa mère, qui ne lui est d’aucun secours, occupée qu’elle est à « faire sa pute » avec un autre. Lacan disait que le ravage ne pouvait être saisi que dans la relation à l’autre et dans ses effets sur le sujet. Le ravage est un travail au corps, un acharnement des signifiants funestes et mortifères. Une morsure traumatique comme le fut la relation de Jocaste et Œdipe. Dès lors, l’injurieux dans son furieux passage à l’acte langagier, tente de ravager la matrice originelle de laquelle il est issu. Insupportable de devoir la vie à cette « salope » qu’il ne peut avoir tout à soi et lui faire faire ce que l’il veut. Insupportable d’être fou d’un violent désir unilatéral, pour cette « lesbienne » occupée aux affaires de son giron impénétrable, cantonnée qu’elle est dans un harem ou un gynécée dont les porteurs de pénis sont exclus à moins (ou au risque) d’être pénectomisés. L’injure est alors l’expression de la haine, l’autre versant de l’amour ardent, dont il voudrait bruler l’autre en même temps qu’elle le consume. Injurier c’est déjà tuer sa mère au travers d’une autre qui la représente et c’est se tuer soi. Jocaste s’est pendue, Œdipe s’est crevé les yeux… Plus loin, l’insulte sexiste et sexuelle rompt le contrat narcissique de base qui fonde l’humaine condition. C’est se désigner soi-même comme un humain-non-humain : hors de toute différence entre les sexes et les générations, hors de toute humanité. Un triste retour à l’époque des archaïsmes de la « horde primitive ».

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Ndeye Khaïra Thiam est psychologue clinicienne, spécialisée en criminologie clinique, féministe radicale sénégalaise.







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