Au moment où vous lirez ces lignes, l’humiliation rituelle, annuelle, aura eu lieu ou aura tout juste commencé. C’est chaque année la même chose. L’automne arrive, puis le mois d’octobre, et nous autres ressortissants des pays arabes, des terres d’Islam ou d’Afrique, nous baissons la tête, nous nous faisons tout petits… Les prix Nobel scientifiques sont proclamés, égrenés plutôt puisque – sadisme supplémentaire – ils ne sont pas tous révélés le même jour. Médecine, physique, chimie, économie (même si ce n’est pas un « vrai » Nobel)… Les récipiendaires sont aussitôt célébrés, fêtés, photographiés sous tous les angles… et pas un ne porte un nom qui ressemble même vaguement aux nôtres. Mamadou, prix Nobel de physique ? Abdallah, chimiste d’élite ? Stuff ! répondent les Suédois, c’est-à-dire : « balivernes! »
Pas moins futés
Et pourtant nous ne manquons pas de matière grise. J’ai participé il y a quelques temps à une réunion de travail à Paris, pour la préparation d’un colloque qui aura lieu du côté de Marrakech en novembre. Autour de la table, cinq Maghrébins : un ancien de Normale Sup, un prof au Collège de France, un brillant double docteur en physique et philosophie, un ingénieur de haut vol et votre serviteur. La conversation volait haut. Nous ne sommes pas moins futés que d’autres. Chaque pays d’Afrique, chaque pays de ce qu’on appelait autrefois le Tiers-Monde peut aligner des cerveaux.
Alors pourquoi ce gouffre béant entre eux et nous ? Il est tout de même stupéfiant que les minuscules Pays-Bas aient obtenu pas moins de dix fois le Nobel de physique (dont deux des trois premiers avec Zeeman et Lorentz), quatre fois celui de chimie (dont le tout-premier en 1901 avec J. H. van’t Hoff), trois fois celui de médecine… et l’Afrique et le monde arabo-musulman, presque rien.