Les récriminations, les doutes et le ras-le-bol général des jeunesses sur l’état de l’Afrique disent quelque chose de la façon dont elles sont gouvernées. Les autoritarismes persistent sur le continent, les alternances politiques n’apportent que peu de transformation sociale et la jeunesse, majoritaire dans les pays africains, a le sentiment général d’être éloignée de la gestion du présent et de l’identification des pistes de transformation de l’avenir.
Des fora, aux réseaux sociaux, la colère gronde contre la mal gouvernance, la corruption, l’irrespect et l’incapacité à transformer le réel. La défiance vis-à-vis des élites dirigeantes est si grande qu’une frange importante de la jeunesse salue les moments où celles-ci perdent le monopole de la puissance. Les images de foules en liesse devant les cortèges de présidents déchus par l’Armée sont des symboles forts de leur relation avec ces dirigeants qui perdent le pouvoir.
La foule a hué Ibrahim Boubacar Keïta conduit manu militari au camp de Kati par les hommes du colonel Assimi Goïta. Cette même foule, quelques kilomètres plus loin, a salué la chute de Alpha Condé, qui s’était attribué un troisième bail au Palais Sekhoutoureya. A-t-elle raison à chaque fois ? Non. Les coups d’Etat constituent une balafre sur le visage d’une Nation. Surtout que les soldats sauveurs se transforment régulièrement en bourreaux des aspirations à la liberté et à la démocratie des jeunesses.
Cette décennie qui s’est achevée est symptomatique des rendez-vous manqués en Afrique, où les aspirations à un mieux-être se heurtent à la dure réalité de l’impossibilité à changer la vie des gens. Il y a soixante ans, les jeunes qui s’engagèrent pour la fin de la colonisation, souvent armés de la pensée révolutionnaire issue des rangs de la gauche, ont vite déchanté.
Les régimes post-indépendance n’ont pas réussi, pour diverses raisons, à tenir les promesses de l’aube de nos nations. Certains dirigeants ont sombré dans une folie destructrice comme en Guinée ou en Ouganda ; d’autres ont vite été renversés par des militaires, provoquant un cycle sans fin de ruptures antidémocratiques.
Les rares pays qui ont échappé aux putschs militaires sont restés englués dans la pauvreté, avec des modèles de gouvernance faibles et sans grande consistance. Les années qui ont suivi nous ont laissés dans le creux de la vague des politiques publiques inefficaces, des injonctions des institutions de Bretton Woods, de la corruption, des guerres civiles, des famines, entre autres défis… J’ai eu beaucoup foi en la dernière décennie.
Au plan économique, la croissance était au rendez-vous, les coups d’Etat ont drastiquement baissé, les conflits inter-Etats ont disparu, la résurgence d’une dignité et d’une volonté de transformer le réel devenait un projet, les diasporas prenaient le chemin du retour sur le continent pour tracer un nouvel horizon. Puis sont survenus les printemps arabes, où une jeunesse diplômée, ouverte et progressiste a investi la rue pour faire face aux dictatures en Tunisie et en Egypte avec comme mot d’ordre «Dégage !». Ben Ali et Moubarak furent chassés devant une opinion internationale médusée par la maturité et la politisation de cette jeunesse, qui a utilisé le web 2.0 pour chasser ces autocrates. Le Printemps arabe fut un moment de ferveur politique et intellectuelle sans précédent sur le continent. L’armure des autoritarismes a été fendue dans des pays où personne n’imaginait que des petites mains armées de smartphones puissent venir à bout de puissants régimes.
A la suite, au Maroc, en Libye, au Sénégal, au Burkina Faso, les jeunes faisaient leur «révolution» pour exiger soit le départ de dirigeants soit des réformes de la gouvernance. Puis un nouveau rendez-vous manqué.
Les Printemps arabes ont accouché de régimes islamistes, puis dans le cas de l’Egypte, l’Armée a déposé les Frères musulmans et installé un pouvoir militaire encore plus autoritaire. En Afrique de l’Ouest, les dirigeants élus à la suite de moments de ferveur militante sont vite conspués du fait de leur incapacité à changer positivement la vie d’une jeunesse dont une partie importante continue à rêver d’ailleurs ; parfois en étant prêt à sacrifier sa vie. Le doute des jeunes africains se réinstalle, cette fois il est visible et audible grâce à internet et à l’ingéniosité militante qui s’est développée chez eux. Les adversaires se nomment «nos dirigeants», «la France», «les multinationales», les «Ong» et toutes sortes de cibles plus ou moins identifiées.
L’hiver est là, lourd de défis et de ressentiments. En attendant de revoir un printemps et les feuillages de liberté qu’il promettra aux jeunes, de Dakar à Tunis …