Le 8 octobre 2021 à Montpellier (France), suite à une campagne médiatique digne de la sortie du dernier James Bond, le Président Emmanuel Macron a présidé le Sommet Afrique-France, présenté comme « un sommet radicalement nouveau » car « exclusivement consacré à la jeunesse africaine ». Rassemblant des centaines de jeunes entrepreneurs, artistes, chercheurs, athlètes, étudiants, personnalités engagées d’Afrique et de France, il avait pour objet de discuter de cinq grandes thématiques à savoir l’engagement citoyen, l’entreprenariat et l’innovation, l’enseignement supérieur et la recherche, la culture et le sport.
Au-delà des discours officiels, il revient à l’Afrique en tant que continent et aux sociétés africaines dans leur globalité de se prononcer sur ce qui apparaitra sans doute dans quelques années comme une opération publicitaire ratée qui sera enseignée dans les écoles de communication comme ce qu’il ne faut pas faire.
Sur le fond, ce sommet Afrique-France se présente foncièrement comme identique à ce qui s’est toujours fait dans le cadre des relations que la France entretient avec l’Afrique depuis plus de soixante ans. Tout d’abord, l’initiative en revient uniquement au Président français et ne répond en rien à une préoccupation de l’Afrique. Comme dans le cadre des sommets France-Afrique, tant décriés, c’est la France qui est et reste à la manœuvre en convoquant non plus les Chefs d’Etat ou les chefs d’entreprises mais « la jeunesse africaine ».
La simple inversion de l’ordre des termes France et Afrique ne saurait tromper que les gogos et le fait de parler de sommet Afrique-France ne bouleverse et surtout ne renverse en rien les rapports de domination entre la France et l’Afrique dans lesquels ils s’inscrivent. Qu’on le veuille ou non, c’est bien toujours de la Françafrique dont il s’agit. Ensuite, c’est le Président Macron et ses équipes, appuyés par un Achille Mbembé servant de faire valoir, qui ont trié sur le volet ses jeunes invités comme il décide d’habitude d’inviter tel ou tel Chef d’Etat africain et d’en éviter tel ou tel autre pour des considérations propres à la politique française. Ces jeunes qui ont accepté de se prêter à l’exercice sont certes représentant d’une certaine jeunesse africaine mais certainement pas La jeunesse africaine.
Pour l’essentiel, ce sont des individus actifs et connus sur les réseaux sociaux qui opèrent dans des niches inconnues de la grande majorité des jeunes Africains et des jeunes Africaines. Autant les uns et les autres sont engagés dans des combats et/ou des activités que l’on peut qualifier de nobles ou d’innovantes, autant ils sont loin d’être des modèles dans lesquels se reconnaissent les jeunes de leurs pays respectifs. Si l’on procédait à des sondages de popularité dans les différents pays auprès d’un échantillon représentatif de la jeunesse, on s’apercevrait que la plupart d’entre eux sont d’illustres inconnus en dehors des microcosmes dans lesquels ils évoluent. Tout cela pour dire qu’ils ne sont pas plus légitimes que les Chefs d’Etat qui représentent habituellement l’Afrique dans ce genre de sommet et ajouter qu’ils sont les plus mal placés pour se prononcer sur leur propre légitimité comme certains l’ont fait.
En effet, la légitimité ne saurait résulter d’une auto-proclamation mais bien d’une reconnaissance collective dûment exprimée. Sur les onze jeunes, hommes et femmes, qui ont été sélectionnés pour interagir avec le Président français, on constate là encore un biais flagrant ! Six d’entre eux sont originaires de pays appartenant au « pré carré » à savoir le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’ivoire, la Guinée, le Mali et le Sénégal, deux franco-africaines, un originaire de RDC, une kenyane et une marocaine étant là pour agrémenter le décor.
Clairement, l’Afrique du Nord, Maghreb et Machrek inclus, l’Afrique orientale et l’Afrique australe ne font pas partie de l’Afrique vue de Paris. Il en est de même avec l’ignorance et/ou la sous-représentation des anglophones, des lusophones et des arabophones. Comment peut-on penser l’Afrique d’aujourd’hui et de demain sans prendre notamment en considération des pays comme l’Algérie, l’Egypte, le Nigéria, l’Afrique du Sud, le Ghana ou encore l’Éthiopie ? Même si l’Afrique est souvent présentée comme le continent de la jeunesse par excellence du fait que sa population est composée à 60 % de moins de 24 ans, comment parler sérieusement d’engagement citoyen, d’entreprenariat et d’innovation, d’enseignement supérieur et de recherche, de culture et de sport en excluant les autres classes d’âges de la société africaine.
Cette approche « jeuniste », sentant bon la démagogie, ne saurait permettre de trouver des solutions pérennes aux défis qui interpellent les sociétés africaines dans leur globalité. Les jeunes ont certes un rôle important à jouer mais il ne saurait être exclusif des autres composantes de la société et le bilan très mitigé du jeune Président Macron à la tête de la France appelle à la prudence en la matière. Après tout n’est-ce pas le patriarche Mahathir Mohamad, arrivé au pouvoir à l’âge de soixante et un ans, qui a transformé la Malaisie en un pays prospère et innovant en l’espace d’une génération ? Bref, quel que soit l’angle sous lequel on examine ce sommet, on s’aperçoit qu’il se résume essentiellement en une banale opération de communication destinée à la consommation franco-française dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022.
Et encore de ce point de vue, on peut s’interroger sur l’impact qu’il pourrait avoir sur l’électorat français et plus particulièrement sur celui issu de la diaspora africaine en France. Cette diaspora, confrontée au quotidien au racisme systémique qui se traduit par les contrôles de police au faciès, les violences policières, les multiples barrières en matière d’accès à une éducation de qualité, au logement, à l’emploi, etc. et tout simplement au respect de sa culture, de ses croyances et de sa dignité tout court, a besoin de bien d’autres signaux pour permettre à Emmanuel Macron de rempiler à la tête de l’Etat français.
En fait avec l’organisation de ce sommet, Emmanuel Macron n’en est pas à son coup d’essai. En août 2017, il avait lancé le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), regroupant des personnalités africaines et de la Diaspora, espèce de Think Tank au service de la France ayant pour fonction officielle d’apporter « un éclairage original » sur les enjeux des relations entre la France et l’Afrique. Puis en aout 2018, à l’occasion du forum Vivatech consacré à l’innovation dans le domaine du numérique, il annonça la création d’un programme de 65 millions d’euros destinés à soutenir les start-up africaines dans le domaine du numérique.
Créé en novembre 2018 la plateforme Digital Africa qui avait en charge la gestion de ces fonds comptait au sein de son Conseil d’administration nombre de figures de l’entreprenariat africain évoluant dans le secteur des TIC. Cependant, elle fit rapidement face à des problèmes liés au diktat imposé par l’Agence française de développement (AFD) dans ce qui ressemblait fort à l’alliance du cheval et du cavalier, entrainant la démission de nombre de ces entrepreneurs. Ironie du sort, l’épilogue de Digital Africa est survenu lors du sommet de Montpellier à l’occasion duquel la structure a été réorganisée de fond en comble pour être désormais contrôlée à 100 % par PROPARCO, institution financière destinée à accompagner les entreprises et établissements financiers français à travers le monde !
Cette affaire devrait servir de leçon aux Africains qui prennent pour argent comptant les promesses mielleuses de la France en matière de remise en cause des rapports traditionnels la liant au continent et plus particulièrement à son pré carré car comme le dit un célèbre adage français, souvent repris par les acteurs politiques de ce pays, « les promesses n’engagent que ceux qui y croient » ! Recentrons nous sur l’Afrique et pour l’Afrique ! Africains, jeunes et moins jeunes, retenons le principal message de l’initiative Rapport Alternatif Sur l’Afrique (RASA) : l’Afrique, qu’il s’agisse de celle des présidents, des chefs d’entreprise, ou de n’importe laquelle de ses composantes doit désormais refuser d’être convoquée dans des fora internationaux par des pays notamment lorsqu’il s’agit de petits et moyens États (PME) géopolitiquement s’entend. L’Union africaine (UA) et les communautés économiques régionales devraient se limiter à avoir des rencontres avec les autre regroupements politiques tels que l’Union européenne (UE) et avec les véritables grandes puissances telles que les États-Unis, la Russie, la Chine ou encore l’Inde.
Mieux, l’Afrique devrait prendre l’initiative de telles rencontres, les organiser sur le Continent et en définir l’agenda de manière souveraine plutôt que d’accepter d’être convoquée à l’initiative de n’importe quel état, en dehors du sol africain et sur la base d’agendas définis par d’autres pour leurs propres besoins. D’autant que l’espace ouvert par ce sommet n’est ni un espace de dialogue politique, ni un espace de négociation et encore moins de prise de décision. Il nous apparait, au mieux, comme une tribune qui n’engage que ceux qui s’y expriment et sûrement pas les sociétés africaines qui n’ont mandaté personne. Au pire, on peut considérer cet espace comme une entreprise de dépolitisation de la discussion sur les enjeux des relations entre la France et les pays africains.
Le sommet Afrique-France ne répond pas à la mise en place d’un pouvoir africain souverain capable de définir les orientations de politique économique stratégique permettant à l’Afrique de se repositionner. Il va dans le sens du renforcement d’une plus forte dépendance aux Investissements directs étrangers, afin de faciliter l’offensive des firmes transnationales. D’autant que les politiques d’attractivité des Investissements directs étrangers (IDE), fortement conseillées par Doing Business ne constituent pas un gage de souveraineté économique. Plus insidieux encore, les sommets France-Afrique participent à une plus grande dépendance de l’Afrique au niveau des idées, des imaginaires d’un futur souverain et décomplexé et par conséquent, de l’ingénierie opérationnelle des transformations socioéconomiques structurelles souhaitables, au vu de la place de pivot donné à l’AFD, via PROPARCO. Ils continuent à nous retirer notre capacité à nous penser nous-mêmes, sans filtre, en toute transparence, sans médiation ! La « coopération » entre la France et l’Afrique ne garantit pas la souveraineté économique des pays africains qui restent dans leur rôle de réservoir de matières premières et de débouchés pour son hégémonie industrielle et commerciale.
Le sommet France-Afrique d’Emmanuel Macron ne plaide pas pour la construction de nouveaux paradigmes, la valorisation des savoirs endogènes, l’élaboration d’un nouvel appareillage méthodologique et la rupture avec la linéarité qui enferme le continent dans le carcan conceptuel et méthodologique du néolibéralisme économique.
L’Afrique doit cesser de servir de faire valoir, l’Afrique doit cesser d’être ce que les autres veulent en faire, l’Afrique doit refuser de voir son présent et son avenir définis par d’autres, l’Afrique doit définir et affirmer sa vision en toute souveraineté, seule voie réaliste pour se sortir de la situation de domination et d’exploitation dans laquelle elle se trouve, pour se sortir de la situation domination et d’exploitation dans laquelle l’ont mise l’esclavage, la colonisation et le néocolonialisme du XIVème siècle à nos jours. En effet, l’Afrique est toujours dépendante, soumise à des logiques extérieures décidées par des acteurs dont les intérêts sont divergents, voire contradictoires avec ceux des sociétés africaines. Les orientations stratégiques du positionnement du continent sont toujours prescrites par les institutions internationales comme le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce, l’Organisation de coopération et de développement économiques, le Forum économique mondial…
Nous appelons l’Afrique et les africains à se concentrer sur les projets proprement africains portés de manière souveraine par nos institutions continentales et nos organisations panafricanistes. Nous appelons les institutions africaines et les africains à faire de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) un instrument de décolonisation économique et un amortisseur des effets des accords de partenariat économique (APE) signés avec l’Union européenne. Nous appelons nos décideurs et acteurs économiques à mettre la focale sur la question centrale de la souveraineté alimentaire en favorisant un développement agricole reposant sur quatre piliers : une réforme radicale du foncier agricole ; une garantie de prix agricoles rémunérateurs ; la promotion des systèmes de production agroécologiques ; la compensation des hausses de prix agricoles pour les consommateurs et le changement de leurs habitudes alimentaires. Nous appelons à mobiliser nos ressources intellectuelles, économiques, sociales et culturelles pour accélérer l’industrialisation et la souveraineté économique dans le cadre d’un protectionnisme éducateur et une insertion sélective et maitrisée dans le marché international. Nous appelons nos décideurs à accélérer une souveraineté monétaire véritable permettant une mobilisation plus libre et plus stratégique de nos ressources réelles. Nous appelons les africains, décideurs, sociétés civiles et acteurs de tout bord à mettre fin à la mascarade de ces sommets reproduisant le soi-disant partenariat avec l’Afrique et le narratif d’une France indispensable au progrès des sociétés africaines.