Le frétillement de la diplomatie internationale observé à la suite de la nomination de Ramtane Lamamra à la tête du ministère des Affaires étrangères d’Algérie, ou de la désignation de Staffan de Mistura comme Envoyé Spécial du Secrétaire Général de l’ONU pour le Sahara et enfin la tenue, sous la présidence kenyane, de différentes réunions du Conseil de sécurité, n’a pas pu éclipser le regain de tension dans la sous-région nord de l’Afrique.
En effet, la rupture récente des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie, le retrait de la RASD de l’accord sur la démilitarisation de la zone de Guerguerate, la fermeture unilatérale par l’Algérie de son espace aérien aux avions marocains montrent, s’il en était besoin, l’incidence permanente de la crise du Sahara occidental sur les relations entre ces deux pays et comment elle constitue une réelle menace pour la stabilité de la sous-région nord du continent.
L’évolution dangereuse de ce bras de fer entre deux pays frères que rien ne devrait séparer, interpelle la communauté africaine qui doit prendre son courage à deux mains afin de trouver, pendant qu’il est temps, une solution africaine à une crise africaine.
Des positions à harmoniser
Deux positions apparemment irréconciliables continuent à s’affrontent sur ce dossier. Pour le Maroc, le référendum retenu par l’UA, l’ONU et la communauté internationale ne doit avoir pour objet que de réaffirmer l’appartenance au Royaume de la région litigieuse. Toutefois, les populations de la zone en réitérant leur allégeance au Royaume pourront bénéficier d’une « autonomie ».
Pour la RASD et ses soutiens, le référendum d’autodétermination signifie la confirmation de sa souveraineté sur la zone en tant qu’État reconnu par l’Union Africaine.
Mais, sur un plan strictement juridique, le Maroc peut-il définir unilatéralement le sens et la signification d’un référendum décidé d’abord par l’UA et confirmé par l’ONU ? De même, la RASD peut-elle prétendre que le referendum d’autodétermination ne peut avoir pour seule finalité que de confirmer son statut d’État souverain ?
À cet égard, il convient de rappeler que les deux parties, se fondant sur des arguments différents pour justifier leur souveraineté sur la région litigieuse, avaient d’abord rejeté chacun de son côté le principe du référendum avant d’accepter, au sommet de l’OUA (UA) de Nairobi en 1981, le principe de son organisation. Mais l’OUA (UA) qui jusqu’à cette époque gardait la main sur ce dossier, va en être écartée avec le retrait du Maroc de l’organisation régionale en 1984 au sommet d’Addis Abeba, suite à l’admission de la RASD pour y occuper son siège.
À partir de ce moment, l’ONU prit le relais et sa résolution de 1991 lui demandait d’organiser un référendum au Sahara et d’en proclamer les résultats. Résolution que les deux parties acceptèrent de respecter. Cette position, selon monsieur Antonio Guterres demeure celle l’ONU.
Le Sahara, un conflit territorial ?
Le différend au Sahara occidental, qui parait essentiellement territorial, interpelle les États africains sur l’interprétation dans le temps des principes sacro-saints de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation et sur le droit des peuples à l’autodétermination.
À cet égard, l’histoire du Maroc montre que ce pays, au fil des siècles et des décennies, a été dépecé par les puissances coloniales au gré de leurs propres intérêts. La façon dont l’Espagne s’est départie de la région litigieuse en est une illustration. Des lors, on peut comprendre qu’il y ait peu de chance que le Maroc abandonne aussi facilement ses prétentions sur ce territoire.
Par ailleurs, nul ne peut contester que ceux qui se réclament citoyens de l’entité sahraouie sont des populations originaires du territoire litigieux et appartiennent à une même communauté culturelle. Pour eux, le différend territorial qui les oppose au Royaume du Maroc a pour conséquence de suspendre les effets de la souveraineté que leur État, reconnu par l’UA, devrait pouvoir exercer sur ce territoire. Ce qui peut expliquer la permanence de leur revendication.
En face de ces deux positions qui paraissent irréconciliables, certains ont pensé que la solution était l’exclusion de la RASD de l’UA.
Peut-on exclure la RASD de l’UA ?
La solution la plus pragmatique doit se fonder sur des bases juridiques telles qu’indiquées dans l’Acte Constitutif de l’UA qui jusqu’à ce qu’elle soit modifiée ne prévoit pas, comme sanction, l’exclusion d’un État.
En effet, dans l’énumération des sanctions applicables à un État, l’Acte Constitutif de l’UA ne prévoit pas l’exclusion. Par conséquent, pour pouvoir exclure un État, il faudrait d’abord procéder à sa révision conformément aux dispositions de son article 32 qui prévoit cette possibilité si une majorité qualifiée des 2/3, soit actuellement 36 États, vote dans ce sens à défaut d’un consensus.
Toutefois, la question est de savoir au cas où cette majorité qualifiée serait réunie pour exclure la RASD de l’UA, ce qui est tout à fait envisageable, est-ce que ce serait dans l’intérêt de l’Afrique ? N’est-il pas possible de rechercher, en s’inspirant de l’histoire des Relations Internationales contemporaines, une solution durable et allant dans le sens de la stabilité du continent ?
En effet, nous semble-t-il, le Sahara occidental n’est pas le premier conflit territorial dans l’histoire et ne sera pas le dernier. Par conséquent, l’UA, afin d’éviter d’accentuer son discrédit auprès des africains, doit assumer ses responsabilités et chercher, sans se défausser sur la communauté internationale notamment l’ONU, à trouver une solution africaine a une crise africaine.
Trouver une solution africaine à un différend africain
La question du Sahara est née incontestablement d’une mauvaise gestion de l’affaire par l’OUA actuelle UA. En effet, pourquoi après avoir admis la RASD comme État souverain conformément aux dispositions de la Charte, l’OUA (UA) avait décidé ensuite l’organisation d’un référendum d’autodétermination au Sahara ? Le référendum d’autodétermination, nous semble-t-il, est le premier pas dans l’expression de la volonté d’un peuple de se gouverner seul et librement à travers son organisation qui est l’Etat.
À cet égard, concernant l’admission de la RASD à l’OUA, j’avais souligné dans un article publié en août 1982 dans l’hebdomadaire « Jeune Afrique » sous le titre « OUA, propositions pour sortir de la crise », que l’OUA après avoir régulièrement admis la RASD comme membre lui avait dénié la qualité d’État en votant un an plus tard la résolution qui lui recommandait d’organiser un référendum d’autodétermination.
C’est pourquoi, nous devons toujours avoir à l’esprit que ce problème a été créé par des gouvernements africains agissant au nom de leurs États souverains que nous considérons comme étant d’égale dignité. Par conséquent, les rodomontades et objurgations contre les États qui soutiennent la RASD ou contre l’UA devraient cesser car elles n’ont fait avancer le débat d’un iota depuis presque 40 ans.
Maintenant que depuis 2017, le Royaume du Maroc est revenu au sein de l’UA, celle-ci doit assumer directement sa responsabilité pour trouver une solution à ce dangereux différend qui pèse sur l’avenir de notre continent.
L’implication de l’ONU est actée mais le principe de régler les différents régionaux dans le cadre des organisations régionales devrait toujours être privilégié.
L’Union Africaine doit innover dans sa démarche
L’Union africaine ne doit pas se défausser sur l’ONU pour le règlement de la crise du Sahara mais plutôt aider l’organisation internationale à entériner une solution africaine à une crise africaine. À cet égard, pour agir les Africains ne doivent pas avoir peur des risques qui naitraient de la prétendue division du continent entre « pro et anti ».
L’Afrique a évolué avec le monde et l’ère de la mondialisation n’est pas l’ère de la balkanisation. Le continent peuplé d’une jeunesse avertie des nouvelles réalités mondiales saura accueillir favorablement une solution de sortie de crise proposée par une UA qui accepte d’assumer sa responsabilité en innovant dans sa démarche.
Pour ce faire, afin de trouver des solutions innovantes aux crises qui secouent l’Afrique, l’UA doit s’appuyer sur les contributions intellectuelles de la société civile africaine en profitant des réflexions des experts africains regroupés autour des universités et des centres de recherche.
Nous pensons que l’UA, doit favoriser ce genre de rencontres à travers le continent afin d’aider à forger une opinion publique africaine sur la question du Sahara qui pourra valablement soutenir, le moment venu, la solution qu’elle pourra dégager.
Aujourd’hui, l’intelligentsia africaine au lieu de penser aider d’autres nations à définir leurs politiques par rapport à l’Afrique devrait d’abord se pencher collectivement et avec perspicacité et moins de passion sur les maux qui gangrènent notre continent dont l’affaire du Sahara occidentales est une illustration
Dans cette perspective, je considère comme exemple à suivre le séminaire organisé à Dakar en juin dernier par l’« Institut Panafricain de Stratégies » au cours duquel d’enrichissantes discussions ont eu lieu sur le thème « Penser la question du Sahara et promouvoir des solutions innovantes ».
Les peuples africains ont le droit de savoir
En manière de conclusion, on peut affirmer que la gestion de ce conflit doit sortir des bureaux feutrés des Organisations internationales et être délié du langage souvent opaque des diplomates. L’Union africaine et certains chefs d’États africains de bonne volonté doivent agir vite et sans délai pour aider à résoudre ce conflit qui n’a que trop duré.
Les peuples africains ont le droit de comprendre les tenants et aboutissants d’un conflit qui depuis des décennies pèse négativement sur l’intégration du Maghreb et le développement du continent.