Les chefs d’États africains qui avaient pris goût à se prélasser dans les palaces de la Cote d’Azur à l’occasion des sommets France-Afrique peuvent au moins se consoler : la rencontre qui s’est tenue à Montpellier n’est pas un sommet ! En bon français un sommet c’est «une réunion entre personnes à la tête d’une hiérarchie» (état, institution etc.), alors que le raout du 8 octobre était un happening, un «show à l’américaine», selon la presse française, et son médiatique maitre de cérémonie un animateur de radio et de télévision.
C’était une sorte d’Etats Généraux au cours desquels des hommes et des femmes, majoritairement jeunes, mais dont aucun ne peut se prévaloir d’un mandat en bonne et due forme, sont chargés de soumettre leurs Cahiers de Doléances au Grand Manitou qui les avait convoqués. Des souvenirs qui me restent de l’histoire de France, il me semble que la dernière assemblée réunie sous cette appellation avait produit des résultats qui étaient loin d’être ceux qu’en attendait la partie invitante…
Mais ce n’est qu’une maigre consolation car, quel que soit le nom qu’on lui donne, la rencontre de Montpellier est d’abord un camouflet, voire une provocation, une escroquerie par moments, pour tous ceux qui étaient les commensaux habituels d’un rendez-vous vieux de près d’un demi-siècle. Faisant fi du fait que ces assises étaient devenues un patrimoine commun puisqu’elles se tenaient alternativement en France et en Afrique, un des participants a décidé, seul, d’en changer le format, si brutalement que même ses représentants en Afrique ont regretté qu’aucune explication ne leur ait été fournie en amont…
Ce faux sommet est choquant dans sa forme, blessant par sa méthodologie laquelle a consisté à « sous-traiter l’avenir de l’Afrique », en s’abritant derrière le paravent de sherpas étrangers, plutôt que de prendre le risque de faire appel à l’expertise locale. Ces conseillers embedded, qui rappellent les « coopérants » d’autrefois, ont malheureusement subi la double peine puisque non seulement ils se sont retrouvés en situation inconfortable vis-à-vis de l’opinion de leurs pays d’origine, mais qu’en outre leur commanditaire a fait peu cas de leurs recommandations, dans l’esprit sinon dans la lettre.
C’était de toute façon un rendez-vous anachronique, celui d’un « empire qui ne veut pas mourir » puisqu’il existe un Sommet Union Européenne-Union Africaine et que rien ne justifie un Sommet France-Afrique. La France n’est plus qu’une puissance moyenne dont le PIB est inférieur à celui de la Californie et le bilan financier du sommet de Montpellier en offre une parfaite illustration. Son annonce la plus spectaculaire, destinée à « soutenir la société civile dans ses actions en faveur de la démocratie » au profit de 54 nations rassemblant 1,2 milliard d’habitants, s’élève à… 30 millions d’euros, soit 6 % du budget du PSG pour la saison 2021- 2022 ! Trente millions, sur trois ans, alors que M. Macron est à six mois de la fin de son mandat, qu’il rassemble moins de voix que celles de ses deux adversaires d’extrême droite et que l’arrivée au pouvoir de l’un quelconque d’entre eux remettrait automatiquement en cause tous ses engagements. Mais même s’il est réélu, comment faire confiance à un Président que certains appellent Caméléon et d’autres le Traitre ? La réunion de Montpellier est enfin un rendez-vous illégitime.
D’abord parce que son initiateur n’a pas convié la « société civile »africaine, mais seulement la partie de son choix et qu’il y a beaucoup d’absences injustifiées, notamment celle d’empêcheurs de tourner en rond qui ont consacré leur vie à promouvoir l’émancipation politique et culturelle du continent et à combattre cette Françafrique dont il nie l’existence.
La douzaine de garçons et de filles qui ont eu l’opportunité de s’exprimer ont quelquefois tenté de bousculer leur hôte, mais c’était peine perdue parce que c’est ce dernier qui leur a fixé et qui distribue le temps de parole, qu’il s’exprime sans limites et qu’il a toujours le dernier mot. Ajoutez à cela qu’un terrible soupçon pèse sur cet exercice qui aurait été répété comme pour une vulgaire sitcom ! Elle est illégitime aussi parce qu’un président français n’est pas la personne la plus qualifiée pour initier ou diriger un débat sur « l’engagement citoyen » des Africains, ce qui était l’un de ses cinq thèmes. N’est-il pas du reste insultant que son hôte ait consacré à des invités venus souvent de très loin, moins de temps que celui qu’il passe à visiter les stands du Salon de l’Agriculture ? N’est-il pas pour le moins inélégant qu’il ait choisi pour accueillir la rencontre une ville dont la plus haute autorité, le préfet, s’est illustrée récemment par ses provocations, menaçant de procéder au désencombrement humain de la cité, de la « nettoyer » (au karcher ?) de ses bidonvilles, dont certains ont été mystérieusement incendiés, sans cacher qu’il userait de violence, parce que dit-il, « c’est la loi qui est brutale » !
Au total, et c’est sans doute l’un de ses paradoxes, on peut dire que le « Sommet Macron »contient tous les ingrédients de la bonne et veille Françafrique. Il est fondé sur deux postulats dont le premier est que l’Afrique est pauvre, mal gouvernée, et qu’elle n’a besoin que de subsides, même si ses gouvernants les gèrent mal, et d’armes pour protéger les régimes « amis ». Le deuxième postulat c’est que, pour le bien des Africains, ces soutiens ne doivent venir que de la France ou de ses alliés, ce qui est la preuve que M. Macron est trop jeune pour se remémorer cette réplique de Nelson Mandela à Bill Clinton qui lui reprochait certaines de ses amitiés : « M. le président, vos ennemis ne sont pas forcément les nôtres ! » Les présidents changent, mais le malentendu perdurera jusqu’à ce que Paris comprenne que les foules qui défilent à Bamako ou qui saccagent les enseignes françaises à Dakar ont des revendications qui sont loin d’être du domaine alimentaire. Elles veulent que la France mette un peu plus d’ordre et de logique dans sa politique africaine, et la rhétorique de M. Macron à Montpellier n’a pas réussi à justifier le deux poids deux mesures, qui permet d’absoudre Ouattara et Deby fils et de condamner d’autres. Elles veulent que la France respecte ses partenaires africains, car si le Mali s’est senti « abandonné en plein vol » c’est qu’il a été tenu à l’écart des décisions qui ont conduit à la remise en cause de la présence militaire française sur son propre territoire. Qu’elle honore ses engagements, dans leur plénitude et ne se contente pas des effets d’annonce et que quand elle promet de lever le secret-défense sur la mort de Thomas Sankara, qu’elle ne se limite pas à ne rendre que des pièces secondaires, en prenant soin de garder celles issues des cabinets du président Mitterrand et de son Premier ministre Jacques Chirac…
Elles veulent que l’Afrique ne serve pas simplement d’argument de campagne électorale, parce qu’ à Montpellier Emmanuel Macron a voulu tout à la fois gagner la sympathie de la diaspora africaine en France ( celle qui vote, parce que toutes les voix sont utiles pour vaincre l’extrême droite), apparaitre comme le président qui va au secours des plus pauvres( alors qu’on l’accuse d’être le « président des riches ») ,et celui qui sait parler aux jeunes, contrairement aux présidents africains qui ne brillent guère dans cet exercice ! Mais si son ambition était de « réinventer les relations franco-africaines », on peut dire que c’est raté. Il n’a pas su profiter de la présence de représentants de l’Afrique de demain pour faire un pas de plus que ses prédécesseurs, lui qui avait déclaré que « la colonisation est un crime contre l’humanité », alors qu’il n’était encore qu’un simple candidat. Il n’a pas osé suivre l’exemple des gouvernements du Royaume Uni, de l’Allemagne ou de la Belgique qui ont tous reconnu les crimes commis par leurs pays pendant la période coloniale, au Kenya, en Namibie et au Congo. Il n’a pas compris que les Africains étaient prêts à tourner cette page douloureuse, mais à condition qu’on prenne le temps de la lire, ni qu’offrir Maurice Papon en victime expiatoire ne suffit pas pour apaiser les souffrances nées des violences coloniales. Ni pour faire oublier que rien que pendant la période qui s’étend entre la fin de la deuxième guerre mondiale et la fin de la rébellion algérienne, plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants sont morts dans des massacres et des conflits coloniaux dans lesquels la France est impliquée, pas seulement en Algérie mais aussi en Tunisie, au Cameroun ou à Madagascar !
On attend désormais la riposte des chefs d’états africains. Pourquoi, à leur tour, ne convoqueraient-ils pas la « société civile » et la jeunesse françaises, à Soweto par exemple, pour leur apprendre comment bâtir entre elles et les jeunesses d’Afrique des ponts qui ne soient pas faits que de belles envolées lyriques !