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Les Zones Grises Du Recouvrement D’impÔt Par Huissier

Les Zones Grises Du Recouvrement D’impÔt Par Huissier

Recouvrement forcé de l’impôt confié à des huissiers de justice : une procédure à réglementer afin qu’elle ne soit pas une source d’enrichissement d’une minorité d’huissiers au détriment des contribuables

En vertu des dispositions de l’article 657 alinéa 1 du Code Général des Impôts (CGI), les poursuites en matière de recouvrement forcé sont engagées par les comptables publics compétents par l’intermédiaire des agents de poursuite de l’Administration, faisant fonction de porteurs de contrainte. Toutefois, le même article prévoit la possibilité, pour le comptable poursuivant, sur autorisation de son comptable supérieur ou de son supérieur hiérarchique, d’utiliser le ministère d’huissier.

On peut se demander s’il existe un texte qui définit la doctrine d’emploi des huissiers de justice à la place des agents de poursuite du Trésor public

La présente contribution est consacrée à quelques commentaires sur l’exercice des poursuites en matière fiscale par voie d’huissiers de justice qui n’est pas réglementé (I) et, en particulier, sur les frais de poursuite indûment mis à la charge des redevables en violation du CGI. (II). Accessoirement, nous évoquerons une disposition du statut des huissiers de justice qui réserve à ces derniers une compétence exclusive en matière de recouvrement des impôts et autres taxes de toutes natures sous réserve de dispositions contraires. Ce qui est illégal (III).

Le mandat donné aux huissiers de justice en matière de poursuite contre des contribuables défaillants devrait être réglementé

Il résulte des dispositions de l’article 657 du CGI que le comptable chargé du recouvrement doit justifier l’existence préalable d’une décision personnelle de son supérieur hiérarchique ou de son comptable supérieur avant de diligenter un huissier de justice.

À notre connaissance, il n’existe aucun texte qui définit les conditions d’utilisation des services d’un ministère d’huissiers de justice ou plus précisément il n’y a pas de règles impersonnelles et précises qui organisent le recours aux huissiers de justice pour le recouvrement des impôts et taxes. Normalement, ce n’est « que lorsque les nécessités réelles et sérieuses du service l’exigent qu’il convient de mandater des huissiers de justice pour la mise en œuvre des procédures d’exécution [1]» (par exemple face à une surcharge de travail des porteurs de contrainte de l’Administration). L’exécution des poursuites devrait donc être réservée en priorité aux agents de poursuite de l’Administration faisant fonction de porteurs de contrainte et pourquoi pas à des contrôleurs principaux des Impôts ou du Trésor commissionnés.

L’utilisation d’un ministère d’huissiers de justice devrait s’exercer dans la cadre d’une convention de partenariat entre le ministère des Finances et l’Ordre national des huissiers du Sénégal

Avec la pratique en vigueur, qu’en est-il de la répartition équitable des dossiers de recouvrement entre les huissiers ? Un seul office d’huissiers ne devrait pas avoir le monopole du recouvrement pour le compte des comptables publics : une organisation égalitaire des dossiers par circonscription territoriale entre les différents huissiers est à mettre en place.

Il nous parait opportun d’avoir une convention entre le ministère des Finances et l’Ordre national des huissiers de justice du Sénégal qui indiquerait les conditions juridiques et financières dans lesquelles les comptables publics délèguent leurs compétences à des huissiers de justice partenaires, la méthodologie à appliquer et les frais de fonctionnement que les huissiers seraient en droit de facturer aux débiteurs et à l’État ainsi que les exigences de contrôle quotidien de leurs actes et performances par les comptables publics concernés.

La mise en œuvre du contrat de partenariat devrait être sous-tendue par des offres de collaboration à conclure par marché public

L’utilisation d’un ministère d’huissiers devrait s’effectuer selon une procédure transparente et non discrétionnaire. Nous estimons que l’intervention des huissiers de justice devrait faire l’objet d’une consultation publique selon une procédure adaptée du Code des Marchés Publics.

Le décret portant tarifs des huissiers de justice ne devrait pas servir de base de calcul des frais des actes de poursuite de nature fiscale

Le CGI (article 659 I), reprenant l’article 47 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution de l’OHADA, a retenu le principe de mettre à la charge du débiteur les frais d’exécution forcée en vertu d’un titre exécutoire. Les frais de poursuites comprennent un coût d’acte calculé en fonction de la somme portée sur l’acte (article 659 III CGI) et un droit de recette égal à 1,5% de la dette (article 659 IV CGI).

La question qui se pose est celle de savoir si les huissiers de justice sont en droit de mettre à la charge des débiteurs fiscaux des frais de poursuite calculés selon des barèmes établis par voie décrétale. Nous sommes d’avis que le périmètre du décret n° 2009-503 du 29 mai 2009, modifié par le décret n° 2012-318 du 29 février 2012, vise les affaires civiles et commerciales et non les impositions de toutes natures dont les modalités de recouvrement relèvent du domaine de la loi (article 67 de la Constitution).

Seuls les frais de poursuite calculés conformément aux barèmes fixés par l’article 659 du CGI devraient être mis à la charge des débiteurs ou redevables défaillants. Tous autres frais accessoires réclamés par l’huissier devraient être supportés par le Trésor public. Or, il est constaté que les huissiers de justice mettent à la charge des contribuables divers frais d’huissier par application des tarifs en matière civile et commerciale prévus par le décret du 29 mai 2009, modifié.

Des frais de poursuite indûment mis à la charge des redevables en violation du CGI

1)  Les redevables payent des frais de poursuite cinq fois supérieurs à ceux exigés sur les actes de poursuite de droit commun

Prenons une signification de commandement tendant à saisie pour une créance réclamée de 382 000 FCFA. Le coût de l’acte de signification de commandement de l’huissier de justice est de l’ordre de 79 000 francs alors que si la signification avait été faite selon le droit commun par un agent de poursuite de l’Administration le coût serait de 15 730 francs soit 10 000 francs de frais de commandement plus un droit de recette de 5 730 francs (voir article 659 III et IV CGI).

Le montant de 79 000 francs réclamé par l’huissier inclut divers droits résultant de l’application de l’article 1-24 du décret du 29 mai 2009 précité, à savoir notamment des droits de : « Correspondance », « Timbre », « Enregistrement », « Transport », « Vacation », « Droit de recette », « Rôle » et « TVA ».

2)  Des dispositions du décret portant tarifs des huissiers de justice mal appliquées

Les frais de transport d’un huissier au titre d’un mandat reçu d’un comptable public sont à la charge de l’État et non du redevable

Pourquoi faire payer aux redevables défaillants des frais de rôle alors que le juge n’est pas intervenu pour la délivrance du titre exécutoire ?

Pourquoi faire payer aux redevables des frais de vacation si l’huissier n’intervient pas en tant qu’audiencier et, au surplus, si le titre exécutoire ne résulte pas d’un jugement. ?

Pourquoi les redevables devraient-ils payer aux huissiers un droit de recette pour un acte de commandement de nature fiscale ?

Sur le fondement de l’article 1-25 du décret de 2009, il est alloué aux huissiers de justice qui ont reçu mandat de recouvrer ou d’encaisser des sommes dues par un débiteur un droit de recette aux taux fixés à l’article

1-13 du décret de 2009. Si on s’en tient à l’article 1-13 du même, il s’agit d’un droit de recette à allouer à l’huissier audiencier c’est-à-dire, en cas d’adjudication, à l’huissier ayant procédé à la saisie. Et même dans cette hypothèse, le droit de recette est à la charge de l’adjudicataire.

Reste à savoir pourquoi certains huissiers exigent-ils le paiement d’un droit de recette au stade de la signification d’un commandement, donc avant l’étape de la saisie et, plus précisément, de l’adjudication, alors que l’encaissement ou le recouvrement n’est pas encore intervenu ? Or l’article 1-13 du décret précité est très clair : « le droit de recette est calculé sur les sommes effectivement encaissées ou recouvrées ».

3)  Des dispositions du CGI oubliées des huissiers de justice

Pourquoi les redevables devraient-ils payer des droits d’enregistrement pour un acte de commandement de nature fiscale ?

Selon l’article 464. 4°) du CGI, sont assujettis aux droits d’enregistrement les actes des huissiers. Ainsi sont enregistrés au droit fixe de 5 000 FCFA, les actes des huissiers « lorsqu’ils ne portent pas sur des actes ou faits juridiques donnant ouverture au droit variable » (article 471.4 CGI). Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que l’article 465-2 du CGI exempte des droits d’enregistrement « les actes et pièces relatifs aux commandements, poursuites, saisies et ventes ayant pour objet le recouvrement d’impôts et taxes ». Pourquoi devrait-on alors faire payer aux redevables poursuivis par les huissiers de justice des droits d’enregistrement ?

Quel est le fondement légal du paiement de la TVA par les redevables à l’occasion de la notification d’un commandement de payer ?

Il ne ressort pas de la lecture combinée des articles 352 et 353 du CGI qu’un commandement de payer des impôts devrait être soumis à la TVA. En demandant aux redevables défaillants de payer la TVA sur un acte de commandement d’impôts, on viole la loi fiscale.

Enfin, la question est posée de savoir si les huissiers de justice reversent aux comptables publics le coût des actes de poursuite ainsi que le droit de recette de 1, 5% ?

Les huissiers de justice qui engagent des poursuites pour le compte des comptables publics sont tenus de porter sur les actes de poursuite, en plus de la dette fiscale, le coût des commandements et divers procès -verbaux ainsi que le droit de recette de 1, 5% de la dette. Leurs encaissements doivent être reversés au Trésor public sans compensation de leurs propres frais de fonctionnement.

Énoncer dans le statut des huissiers de justice que ces derniers sont les seuls habilités à recouvrer les impôts et taxes de toutes natures est une violation de la loi

L’article 22 du statut des huissiers de justice énonce que « l’huissier de justice est seul habilité, à …recouvrer …les impôts et autres taxes de toute nature ». Cette disposition est manifestement illégale malgré le fait que l’article 22 en question débute par l’expression suivante : « Sous réserve des cas pour lesquels la loi prévoit l’intervention d’autres fonctionnaires ». En effet, la désignation de la structure chargée du recouvrement des impositions est une compétence législative. 

Il est temps d’engager une réflexion sur les conditions d’application de l’article 657 du CGI en vue d’asseoir une doctrine d’emploi des huissiers de justice avec des règles de rémunération à établir par voie règlementaire sur la base d’un taux variable en fonction des sommes recouvrées par les huissiers de justice.

On rappellera que, pour le recouvrement amiable de toutes créances, les honoraires des huissiers sont fixés d’accord parties (dernier alinéa de l’article 23 du statut des huissiers de justice).

Enfin, c’est l’occasion d’insister sur l’urgence à réfléchir sur une éventuelle réforme du système sénégalais de recouvrement de l’impôt qui présente des imperfections à corriger. « La psychologie face à l’impôt exige, dès lors, que les contribuables appréhendent la réalité du fonctionnement des administrations chargées du recouvrement des impôts. Or, l’organisation et les structures administratives ne sont pas homogènes en raison, notamment de l’existence de deux réseaux comptables. [2]» : celui de la Direction Générale des Impôts et Domaines et celui de la Direction Générale de la Comptabilité Publique et du Trésor.

Mamadou Abdoulaye Sow est inspecteur principal du Trésor à la retraite

mamabdousow@yahoo.fr

[1] Thierry Gasquet in « Action en recouvrement. Poursuites », Jurisclasseur Procédures fiscales, n° 72.

[2] Expression de Philippe Boras et Alain Garay dans  « Le contentieux du recouvrement », L.G.D.I, 1994, p. 13.







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