Élégance. C’est ce qui frappe lorsque l’on croise pour la première fois Tshitenge Lubabu M.K. dans les couloirs de Jeune Afrique, au 57 bis rue d’Auteuil, à Paris. Son style vestimentaire raffiné, ses cheveux toujours soigneusement peignés qui lui donnaient un air de dandy et, surtout, son langage soutenu.
En RDC, ceux qui sont nés au début des années 1980 connaissaient surtout son nom – mieux sa signature – grâce aux coulisses de ses reportages, à ses analyses sans concession des questions politiques et de société dans les deux Congo et à ses incontournables « Post-scriptum ». Très peu l’ont vu présenter son émission littéraire sur l’OZRT, la radiotélévision publique du Zaïre. Peu importe. Tshitenge Lubabu était un modèle pour beaucoup de jeunes qui aspiraient à faire ce métier. On l’a beaucoup lu et on voulait écrire comme lui.
Nos dernières fois dans la capitale congolaise, au restaurant et chez lui, furent troublantes. Cela faisait quelque temps déjà que « mkubwa » – le grand, l’aîné, voire le supérieur, en swahili, comme je l’appelais – avait décidé de rentrer en RDC après vingt-six années de riches expériences journalistiques, notamment au sein de L’Autre Afrique et de Jeune Afrique. Tshitenge Lubabu apparaissait changé, affaibli dans sa lutte épuisante contre la maladie.
Idéaliste
Son retour au pays ne s’était visiblement pas passé comme il espérait. Au sein de la rédaction du journal économique local dont il était devenu le rédacteur en chef en 2014, il travaillait avec des « journalistes mal formés » qui ne répondaient pas à ses attentes en matière de rigueur, et encore moins d’un point de vue déontologique. Il effectuait également des voyages dans le Maniema pour suivre les traces d’un politique sur lequel il écrivait un livre – c’est d’ailleurs dans cette province orientale du pays que sa santé a commencé à se dégrader. Le dimanche 31 octobre, Tshitenge Lubabu s’est éteint à Kinshasa, à l’âge de 66 ans.
Tout au long de son combat éprouvant contre la maladie, il a repris ses collaborations avec Jeune Afrique pour livrer, ponctuellement, ses post-scriptum. Plusieurs fois, certains hommes politiques aujourd’hui au pouvoir, admirateurs pour la plupart de sa plume parfois acérée, mais non sans une dose d’ironie, demandaient de ses nouvelles. D’autres l’auraient bien imaginé conseiller dans leur cabinet. Fidèle à ses convictions, « Tshi » n’a jamais voulu véritablement franchir le pas. « Ce n’est pas parce qu’un Kasaïen est président de la République, comme moi, que je devrais forcément rejoindre le navire du pouvoir », me confiait-il lors de l’un de nos derniers rendez-vous. Par idéalisme, il a parfois opéré des choix de vie ou de carrière difficiles ou intenables.