Dans une dictature, la seule vertu du citoyen est le silence. Silence généré par la peur. C’est une grande différence entre une dictature et une démocratie. Autant les dictatures sont silencieuses, autant les démocraties sont bruyantes. Si l’on se base sur ce critère, la démocratie est de retour en Gambie. Pour le brouhaha démocratique, il n’y a plus de frontières entre le Sénégal et la Gambie. Du temps de Yaya Jammeh, le Néron de Banjul, la frontière était nette entre le brouhaha démocratique du Sénégal et le silence dictatorial qui sévissait en Gambie. Le brouhaha démocratique s’arrêtait à Karang, à Keur Ayib, pour reprendre à Senoba ou dès que l’avion atterrissait à Banjul.
Aujourd’hui, les Gambiens débattent librement de Karang à Banjul, en passant par le ferry de Barra où des militants de l’Udp de Dabo, qui revenaient de l’investiture de leur «hero», croisaient ceux du Dr Cissé, qui traversaient le fleuve pour aller assister, à Banjul, à l’investiture de leur jeune candidat, en attendant celle de Barrow, le jeudi prochain. Le retour de la démocratie, c’est aussi ce taximan si jovial qui m’explique, en bon «analyste politique», qu’avec 27 candidats et le système majoritaire, la victoire de Barrow est assurée.
Du temps de Jammeh, le taximan n’aurait pas ouvert la bouche car pensant que je pouvais être du Nia (les services secrets) et moi non plus, pour les mêmes raisons d’ailleurs. Ce taximan m’apprendra que, par peur, personne n’osait prononcer le nom de Jammeh, d’où une floraison de surnoms comme Tony, Daba, Casamance et Jumbo (comme le bouillon pour la cuisine) puisque qu’il avait compétence sur tout, y compris la capacité de guérir le Sida. Par contre, le nom de Barrow est sur toutes les lèvres. Je l’avais constaté il y a cinq ans, un mois après son investiture, à l’aéroport de Banjul, pour m’en réjouir comme un indicateur du retour de la démocratie.
La démocratie est revenue naturellement et rapidement en Gambie, parce que, dès que le virus Jammeh a été extirpé du corps de la Gambie, le pays a retrouvé ses réflexes normaux de démocratie. On a tendance à oublier que le Sénégal n’était pas la seule exception démocratique. La Gambie et le Botswana étaient aussi des exceptions démocratiques en Afrique, à l’ère des dictatures et des partis uniques des années 60 et 70. C’est parce que la Gambie a des traditions et une culture démocratiques que le retour à la démocratie s’est fait naturellement.
Ce qui ne sera pas le cas de la Guinée, plutôt habituée à une tradition des dictatures. Depuis le départ de Jammeh, la Gambie a retrouvé sa vraie nature : pacifique, accueillante et si joviale. Pacifique comme la Suisse, avec la chaleur humaine et la gaieté en plus. Il y a quelques mois, notre ambassadeur à Banjul, Bassirou Sène, avait fait une sortie médiatique pour demander aux Sénégalais de ne pas se mêler des élections gambiennes. Cette sortie fort sage était saluée, à juste titre, par toute la presse gambienne. Il avait raison de le dire et de le rappeler. La Gambie est un pays souverain.
Etant donné que ce sont les mêmes conditions politiques et historiques qui ont été à l’origine de la création du Sénégal, qui sont à l’origine de celle de la Gambie, elle n’a donc jamais pu être une région ou une province du Sénégal. Ceux qui veulent faire de la Gambie une province ou une région du Sénégal sont dans l’anachronisme politique. C’est pourquoi je ne crois ni à une confédération ni à une fédération politique avec la Gambie, mais je suis un grand militant de l’intégration économique, qui pourra nous permettre de traverser les frontières, sans s’en rendre compte, comme en Europe. Qui parle aujourd’hui de la frontière entre la France et le Luxembourg, ou entre l’Allemagne et le Luxembourg, ou la France et la Suisse ?
En Europe, après des siècles de guerre et de volonté d’intégration politique qui ont été des échecs, l’intégration économique a réussi à faire tomber toutes les frontières, ce que ni les politiques et encore moins les religieux n’ont réussi à faire.
La confédération de 1981 a échoué parce que, après avoir sauvé la Gambie du coup d’Etat de Koukoy Samba Sagna, on s’est précipités en lui faisant signer la confédération. Alors qu’en janvier 2017, le Sénégal est encore parti sauver la Gambie en chassant Jammeh, sans exiger aucune contrepartie politique, convainquant ainsi la Gambie que le Sénégal n’a pas d’agenda caché. Ce début de la fin de la suspicion légitime des Gambiens explique le grand bond en avant de l’intégration économique.