11 septembre 2001, 12 octobre 2002, 25 aout 2003, 1er septembre 2004, 29 mars 2010, 23 février 2012, 29 septembre 2013, 20 mai 2014, 17 décembre 2014, 18 décembre 2014, 7 janvier 2015, 15 janvier 2016… Autant de dates, un seul dénominateur commun : les attentats terroristes « islamistes ?». Dans le contexte géopolitique contemporain, l’Islam est à bien des occasions associé, à tort ou à raison, à des actes qualifiés de terrorisme. Qu’est-ce à dire ? Doit-on croire que l’islam est source de violence ou qu’il la légitime ? A défaut, n’est-il pas victime d’une instrumentalisation outrancière de sa doctrine? L’islam est-il anti-occidental?
Dans son ouvrage intitulé Mon intime conviction, le Professeur d’études islamiques Tariq Ramadan considère que « Refuser la domination de « l’occident » en trahissant les enseignements de son propre message religieux est une forme d’aliénation plus dangereuse encore puisque, dans son souci de cohérence et son énergie créatrice. On ne se définit plus que par l’autre, à travers son miroir négatif : la psychologie a ici raison de la libération ». Ces propos nous semblent édifiants à plus d’un niveau quant à la situation anxiogène dans laquelle se retrouve, du jour au lendemain, la religion islamique face aux multiples phénomènes désincarnants qui lui sont attribués. L’on nous parle ainsi, parmi tant d’autres dénominations péjoratives, de « radicalisme islamiste » par opposition à un islamisme « modéré », mais quelle fallace ! Pour s’en convaincre rien de tel qu’une déclinaison sémantique du mot radicalisme.
Dans le lexique de science politique, le mot radicalisme renvoie à « toute doctrine ou théorie politique proposant des thèses dont le but explicite est de rompre de façon radicale avec le système politique, social et économique en vigueur…On parle également de radicalisme religieux pour désigner les mouvements fondamentalistes (ou intégristes) contemporains qui proposent une lecture stricte des Écritures saintes et, assez souvent, conçoivent le développement de la religion et de la foi dans une logique de combat contre les autres religions et toutes les forces culturelles, politiques, sociales ou économiques qui les soutiennent ». Il apparait donc aisément, à travers cette définition, que le radicalisme n’est point l’apanage d’une quelconque pensée ou doctrine. Le centrisme, le nationalisme, le traditionalisme, le conservatisme, en sont bien des facettes. On est ainsi tenté de dire que la corrélation trop fréquente que d’aucuns font résolument entre radicalisme et islamisme n’est que la preuve d’une ambition déguisée de faire de l’islamisme la boite de pandore d’un phénomène contemporain généralisée. Cette volonté est d’autant plus manifeste que toute véhémence dans la défense de la cause islamique y passe pour du « radicalisme » au point que l’on semble être dans un procès où le présumé coupable est jugé d’avance. Convoqué devant la barre, l’Islam répond pourtant : ‘‘Je ne suis pas « radical » par essence, je n’ai jamais cautionnée la violence envers les « non-croyants ». N’est-ce pas moi qui ai universalisé le sacerdoce du « lakoum dînoukoum wa liya dîni » ; « à vous votre religion, et à moi ma religion » en traduction française (Sourate Al kâfirûn, 109) ? N’est-ce pas moi la religion de la paix ? Suis-je responsable d’actions posées au nom d’une interprétation biaisée, tronquée de mes écris ? Que faire devant la politisation de ma religion par des individus de foi( ?) éloignée, des groupuscules qui profitent de la misère sociale pour creuser le fossé d’une haine virale envers l’occident ?’’
En réalité, la montée de l’islamophobie en occident n’est que le résultat d’une hypertrophie puisque la charia n’a rien d’anti-occidental. La plupart des exégètes trouvent en elle un modèle de citoyenneté, un guide pour les musulmans et pour toute personne qui s’identifierait en les valeurs et principes qu’elle incarne. Au titre de ces derniers, le djihad demeure un pilier invariable pour le citoyen car, il est effort sur soi dans la quête de Dieu. « En tant que citoyen, j’accomplis des djihad. Quand j’essaie de maîtriser ma colère, c’est un djihad-an-nafs, un effort sur ma propre personne qui va vers plus de sharia. Mais cet effort peut être de nature sociale, spirituelle, économique. Le djihad est donc la condition de la sharia et la sharia le chemin de tous les djihad », nous dira Tariq Ramadan. Le sens guerrier que certaines interprétations prêtent au djihad résulte du contexte de guerre dans lequel est né l’Islam. Or, les mots voyagent et s’adaptent aux époques. Le « djihadisme », dans son acception moderne, n’est alors autre qu’une idéologie qui prône la réincarnation de cette même charia et des textes religieux dans un contexte de domination de la civilisation occidentale. Parce que la mondialisation, avec son corolaire d’uniformisation du modèle occidental, nous a été frappée aux effigies sans qu’on en ait été préparé. A défaut de succomber, l’Islam a donc résisté, il s’est adapté on point d’aboutir à un « islamisme ».
On comprend dès lors que tout déferlement au terrorisme est dévoiement et mécompréhension. Ce que l’on assimile aujourd’hui au « terrorisme islamiste » nous apparait en un colosse aux pieds d’argile, un piège dont les instigateurs et financiers sont le plus souvent ceux-là même qui s’en offusquent. Et puis, à force de coups reçus, on finit par en donner !
En occident l’affirmation de son appartenance à l’Islam est aussitôt source de traitement désobligeant ou de discours haineux. Tantôt le port du voile islamique ou de la burqa est cause de réactions épidermiques, tantôt le développement d’une barbe fait valser dans la loge des « suspects terroristes ». La fréquence des actes « antimusulmans » en France après l’attentat de Charlie Hebdo en 2015 ne trahit guère ce constat : agressions physiques sur les femmes voilées, menaces de mort et acharnement médiatique sur les musulmans, multiplication des caricatures et injures sur le Prophète de l’Islam. Au total, nous révèle le Conseil français du culte (CFM), 429 actes et menaces avait été notés, allant jusqu’au « défoulement collectif de haine ». Cette violence débordant des digues, se reflète même dans l’expression des pouvoirs publics ou forces politiques qui en font une manne pour appâter l’électorat raciste.
C’est ainsi qu’au cours des dernières années le taux d’attentats et de meurtres sur la personne de musulmans, au sein de leurs lieux de culte ou ailleurs, n’a cessé de prendre des proportions inquiétantes. Ces actes attribués pour la plupart à l’extrême-droite (ou gauche) raciste, n’ont pas pour autant occasionnés le déploiement de mesures de protection pérennes et efficaces sur les victimes réelles et celles potentielles. Plus de 6700 morts en moins d’un mois parmi lesquels des enfants (selon les chiffres de Médecins sans frontières) dans le massacre des musulmans Rohingya en Birmanie en 2017; 51 morts dans l’attentat ciblé de deux mosquées de Christchurch (Nouvelle Zélande), en mars 2020 ; etc. Pour autant, a-t-on senti une offuscation mondiale ? Que nenni !
Cela n’empêche pas, néanmoins, qu’une répression lourde (restrictions de voyage, d’expression de leur liberté cultuelles…) pèse sur les musulmans, laquelle peut aller jusqu’à l’aliénation en tout ou partie de leurs droits et libertés à la moindre suspicion ou commission d’un acte « terroriste ».
L’on se demande alors si le « radicalisme islamiste », si tant est qu’il existe, n’est pas une réaction légitime contre l’anti-islamisme. Mieux encore, l’anti-islamisme n’est-il pas l’arbre qui cache l’immense forêt des magouilleurs, de pourvoyeurs qui n’ont pas plus que l’argument de la haine et de la violence pour assouvir à leurs desseins ?
Maty SECK