«Vivement le 3 novembre, date où sera dévoilé le nom du lauréat du Goncourt 2021 que l’on espère aux couleurs nationales ». Le souhait, formulé dans une précédente chronique en date du 13 septembre 2021, a été exaucé, Dieu merci ! Mouhamed Mbougar Sarr est le lauréat de cette prestigieuse distinction littéraire française, à seulement 31 ans. Son quatrième roman : « La plus secrète mémoire des hommes » a séduit le jury du Goncourt et les critiques littéraires qui avaient déjà pronostiqué la victoire de notre compatriote. A peine la fierté et la joie exprimées, à coup de tweets et de messages sur les réseaux sociaux, voilà qu’un début de polémique s’installe autour de l’auteur, à peine auréolé de son nouveau titre de gloire.
Dans un précédent livre intitulé « De purs hommes », l’auteur aborde un sujet tabou : l’homosexualité. Quelques extraits et autres passages du livre circulent bientôt et sont repris, accompagnés de commentaires tentant d’étayer la thèse et le titre de défenseur de la cause symbolisée par le drapeau arc-en-ciel. Comme une traînée de poudre, c’est l’effet voulu, ces accusations tentent de «discréditer» son auteur et d’écorner son image.
Même notre ami Pa Assane Seck de la «Sen TV», s’y est laissé prendre ! Sur le plateau du journal, en ce jour historique où la nouvelle a été annoncée. Heureusement, la journaliste a vite tenu à préciser que le livre primé n’est pas celui abordant le sujet tant abhorré. Depuis, chacun tente de se faire son point de vue sur la question. Cependant, écouter, mais surtout adhérer à ces critiques constitueraient une erreur à ne pas commettre. Se laisser emprisonner par les opinions, sans même tenter de se construire la sienne propre constitue une forme de paresse intellectuelle. Les réseaux sociaux ont rendu paresseux bien des esprits qui se contentent de lire, de partager et de commenter les opinions des autres. Serait-ce trop difficile de réfléchir ? A cette époque où les vues tentent de remplacer les vies ?
Lire un livre où l’auteur semble prôner la tolérance envers une frange de la société qui est marginalisée, ne veut pas dire que l’on partage son point de vue ou que l’auteur doit être mis sur le bûcher et brûlé vif. Il n’est pas exigé du lecteur qu’il partage les opinions de l’auteur sur tel ou tel sujet et encore moins de lire ses écrits. Qu’il traite de sujets tabous ou polémistes n’enlève rien au génie de l’auteur, en l’occurrence Mbougar Sarr, qui a déjà à son actif une œuvre de haute facture.
Un écrivain est d’abord un artiste et la liberté d’expression, tout comme la liberté de pensée, sont des choses précieuses en ces temps où la pensée unique prend de plus en plus le pouvoir. Les voix discordantes ont tendance à être étouffées, fustigées, voire clouées au pilori. En dehors de toute considération idéologique, religieuse, intellectuelle, etc., chacun est libre d’écouter, de lire, de suivre ou de s’intéresser aux voix qui entrent en résonance avec ses convictions profondes. Les voix discordantes peuvent être ignorées, certes, mais cela ne les empêchera pas de se faire entendre dans le grand concert des idées et des convictions, d’hommes et de femmes qui ont la parole et la voix en partage. Qu’elles soient cacophoniques ou harmonieuses, toutes les voix ont le droit d’être émises, mais ne les écouteront que ceux et celles qui veulent les entendre.
Parce que malheureusement, cette propension à vouloir « descendre » et critiquer les esprits brillants et les modèles de réussite au Sénégal en dit long sur la société qui est la nôtre ou plutôt sur ce qu’est devenue la société. Malgré tout, c’est surtout trop injuste d’attaquer un auteur pour ses écrits. Pour un livre paru en 2018 ; pour un livre, le seul d’ailleurs sur un total de quatre livres, qui n’a pas été primé, là où les trois autres ont reçu diverses distinctions.
Sur sa page Facebook, Bamba Kassé, Secrétaire général du SYNPICS, marque son indignation suite à ces attaques portées contre le jeune Mbougar Sarr qui entre dans l’histoire et rejoint le panthéon des illustres Sénégalais, quelques jours après son aîné Boubacar Boris Diop, lauréat du Prix américain Neustadt. Le journaliste va plus loin en interpellant la presse culturelle sénégalaise et s’interroge en ces termes : « (où est notre presse culturelle pour nous entretenir de l’actualité régulière de la littérature ?) ». En attendant la réponse, lui aussi se demande et demande à ses compatriotes : « Sénégalais !! Que sommes-nous en train de devenir ?? »