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Faudrait-il Vraiment Reserver Un Accueil Festif Aux Biens Culturels RestituÉs ?

Faudrait-il Vraiment Reserver Un Accueil Festif Aux Biens Culturels RestituÉs ?

La France vient d’entamer un processus de restitution timide de biens culturels spoliés à l’Afrique durant la colonisation. Sur les 90 000 œuvres officiellement recensées, représentant 90% du patrimoine culturel produit durant l’occupation, seuls 26 ont été retournés notamment au Bénin, ce qui est bien entendu très insignifiant.

Plusieurs pays africains ont fait part de leur volonté de récupérer leurs œuvres d’art et il semble que la Côte d’Ivoire serait le prochain pays concerné par la restitution. Si j’ai tenu à partager cette contribution, c’est parce que je n’ai toujours pas compris l’accueil festif qu’ont reçu les œuvres d’art remises au Bénin. Cette réaction d’allégresse pourrait faire tache d’huile lors des prochaines restitutions. Et bien entendu ce n’est pas une bonne chose du point de vue symbolique pour l’Afrique.

En effet, étant donné qu’au plan juridique, la France reconnaît que les biens restitués appartiennent au continent, que ces derniers ont été déportés illégalement par les autorités coloniales, que l’écrasante partie des œuvres africaines répertoriées restent encore sur le sol français au grand dam des pays concernés, il n’y avait pas de quoi danser, festoyer, manifester une quelconque extase. Ce devait être à mon humble avis un moment solennel de recueillement, d’introspection et une occasion unique de réitérer une demande légitime de restitution de la totalité des biens culturels restants. Evidemment ce n’est pas encore gagné puisque cette attitude de la France reflète un état d’esprit peu convenable exacerbé par une législation tendant à protéger un patrimoine mal acquis.

En effet, l’article 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques stipule que «les biens des personnes publiques qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles». Plus spécifiquement, la loi du 4 janvier 2002, codifiée à l’article 451-5 du Code du patrimoine, affirme que «les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables». Il est à rappeler que la même protection concerne aussi les biens mal acquis saisis en France, notamment sur des personnalités étrangères.

Le patrimoine culturel spolié a certainement, au regard de son caractère antique, une valeur historique, culturelle et certainement marchande. S’accrocher illégitimement à une telle manne, tout en annonçant en 2019 l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers non européens, a constitué une erreur de management qui a sans doute sabordé davantage l’image de la France en Afrique. Cette attitude conforte aussi les analystes qui soutiennent que le pays avec un endettement excessif et un déficit budgétaire structurel n’a plus les moyens de sa politique.

La France doit changer son regard sur l’Afrique et la considérer comme une vraie partenaire. Pourtant historiquement, des nations soucieuses de paix ont eu à corriger des erreurs matérielles commises durant leur histoire.

L’Allemagne a, après une première vague de restitution en 2011 et 2014, remis en 2018 à la Namibie, les restes de près de 30 victimes tuées lors d’un génocide sous l’ère coloniale. Elle a aussi restitué à l’Etat américain d’Alaska, une dizaine d’œuvres issues du pillage à la fin du XIXe siècle de tombes appartenant à des populations autochtones et qui se trouvaient dans un musée de Berlin. Elle annonce le commencement en 2022 de la restitution au Nigeria d’œuvres d’art. Israël et l’Allemagne avaient convenu en 2014 de mener des recherches conjointes dans les musées des deux pays pour déterminer la provenance d’œuvres d’art dérobées aux Juifs durant la dictature nazie en vue de leur restitution.

 Les Etats-Unis ont restitué au Japon plus de 4000 hectares de terrain situés à Okinawa. La Belgique envisage de déposer début 2022, un projet de loi qui retient entre autres des critères selon lesquels l’acquisition d’un objet doit être considérée comme illégitime en cas par exemple de vente forcée. L’Assemblée générale de l’Onu a adopté en 2018, une résolution tendant à soutenir la restitution de biens culturels à leur pays d’origine. Il est important que certaines actions immédiates soient entreprises au niveau international devant les difficultés notées dans la restitution des biens culturels mal acquis.

Ainsi l’Union africaine gagnerait à prendre en charge ce dossier et à introduire auprès des autorités des pays anciennement colonisateurs, une demande officielle de restitution globale en exigeant des dommages et intérêts. La question devrait interpeller le monde entier dans la mesure où il s’agit d’un patrimoine subtilisé, entaché du sang de la colonisation, qui juridiquement doit revenir à ses vrais propriétaires. A la longue, cette question exacerbe les rancœurs et pourrait menacer la paix internationale. Le problème étant éminemment moral, le point de vue du Vatican, socle religieux de l’Occident, sur la question pourrait peut-être faire avancer le dossier. A l’instar des programmes de contrôle mis en place par la communauté internationale sur des questions importantes comme le nucléaire qui ont une incidence sur la paix mondiale, l’organisation onusienne devrait convaincre ses membres d’aller vers plus de justice et d’équité en confiant par exemple à l’Unesco, une mission de recensement des biens culturels exportés illégalement d’Afrique.

Quant aux responsables des pays spolieurs qui avancent des arguments du genre «les africains ne sont pas en mesure de conserver des œuvres aussi importantes», alors qu’il existe plus de 500 musées sur le continent et qui estiment que ce débat sur les œuvres d’art est dépassé, qu’il existe d’autres priorités ou encore qu’il faut internationaliser le problème en convoquant un sommet regroupant toutes les ex-puissances colonisatrices, ils versent sûrement dans la condescendance, l’irrespect, le dilatoire et la fuite en avant.

Le sort d’un bien subtilisé c’est d’être simplement restitué. Il faut penser aussi à un droit international sur les restitutions et les juristes africains devraient immédiatement prendre en charge cette question et s’organiser pour mieux sécuriser les intérêts du continent. Une plainte gagnerait à être rapidement déposée devant les juridictions internationales compétentes. Les nouvelles générations des pays issues des pays anciennement colonisateurs devraient faire face à leur responsabilité en toute conscience et éviter de perpétuer les erreurs de leurs devanciers.

Le monde les observe. Une question aux lecteurs : qu’est-ce qui resterait des économies occidentales aujourd’hui dans l’hypothèse d’une restitution de tout le patrimoine culturel foncier et financier mal acquis ?







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