«Cheuteuteut» (ça marche aussi si vous dites «seuteuteut»), «coup dugg na», je répète : «coup dugg na» ! Le coup est parti daal, on arrête tout ! On serait dans notre Arène nationale, «nachionale» en prononciation locale, on appellerait ça un iperkil : ça fait rël. Euh, pssst, Miss…Sciences, pardon, Diary Sow, «da nga saaga» ? C’est une injure que j’entends là, jeune fille ?! Je ne sais pas vous, mais il paraît que son «Je vous emmerde» public, il a eu l’effet d’un soufflet, d’une gifle nationale. On va dire «bien envoyée» ?
Je ne sais pas si vous vous en souvenez, je suis sûre que si d’ailleurs, de cette histoire de «disparition volontaire» très vite transformée en «affaire d’Etat», qui avait mobilisé toute la République, jusqu’à tonton Macky. Dans le rôle du Parrain, à l’époque, Serigne Mbaye Thiam, Oscar du Meilleur acteur dans un second rôle. (C’est là que vous devez applaudir…) C’est justement lui qui a commencé à nous donner des nouvelles de sa «filleule», qui lui avait écrit une si longue lettre Ndeysaan : «Bonjour tonton. Je tiens à préciser que je t’écris aussi librement que je suis partie. (…) Je ne me cache pas. Je ne fuis pas. Considère cela comme une sorte de répit salutaire dans ma vie.»
Ce discours a tout de suite donné lieu à de nombreux commentaires : on (le fameux «on» n’est-ce pas) a parlé de «burn-out», de «pression sociale» ou de «pression familiale», et certains de nos concitoyens disent avoir ressenti le poids du fardeau sur les épaules de Diary Sow. Se faire appeler «La Meilleure élève du Sénégal», cela pèse lourd, forcément, et le Lycée Louis-Le-Grand, il paraît que ce n’est absolument pas du Ñeexu Ñébé (demandez donc à votre voisin de traduire, ça crée des liens).
Dans le lot, vous avez aussi les Sénégalais à la rancune tenace, qui ne lui ont rien pardonné : les «nuits noires» d’hiver à coller des affiches, les nuits blanches pour insomniaques tourmentés, le rappel des troupes sur les réseaux sociaux, quitte à se faire houspiller, les pages ouvertes, en guise de soutien, tout ça daal…
Puis entre-temps, on va dire qu’on est passé à autre chose : Diary Sow a repris son sac à dos, et on parle beaucoup de son tout nouveau livre. Intitulé «Je pars», comme par hasard, il paraît que c’est sa façon à elle de dire : «Je vous emmerde.» Vous ne trouvez pas ça poétique, vous ? Que d’inspiration !
Au début, nous n’avions aucune idée de qui cela pouvait bien être, ce «vous» nachional et puis…On va dire que Diary Sow a reprécisé sa pensée. «Vous», pour tous ceux qui l’ont jugée, ceux qui lui ont refusé le droit de faire ce qu’elle a fait, les «vous» anonymes, ceux qui l’ont lâchement insultée sur les réseaux sociaux, etc. Diary Sow dit encore : «Je me suis sentie emprisonnée par l’opinion des autres.» On peut dire qu’elle a rendu coup pour coup ? Vous me direz…
En attendant, si quelqu’un pouvait se dévouer et expliquer à notre brillante étudiante que c’est comme ça par ici, dans cette société qui vous met des corsets : on se conforme, on fait un peu comme tout le monde, on fait la révérence, bien bas de préférence, et on demande la permission avant de sortir. On ne part pas comme ça waay, ça ne se fait pas de se lever un jour, de prendre ses affaires, et le large avec !
La disparition de Diary Sow, c’était un peu comme si on nous avait chipé notre totem, l’une de nos plus précieuses statues, une partie de notre patrimoine national. Et vous savez bien, on récupère comme on peut le succès des honnêtes gens.
Sans oublier l’image que l’on se fait de nos «premiers de classe» : binoclard à boutons de préférence, taiseux, rêveurs, le nez dans le bouquin, classiques, dociles. Le look ? Vous oubliez hein ! Une «Meilleure élève», c’est mal fagoté, et certains de nos compatriotes disent l’avoir trouvée trop apprêtée, trop coquette (on en reparlera de cette constante intrusion dans le corps des femmes), puis trop littéraire pour une scientifique, trop mature pour une jeune femme née quand Ablaye Wade est enfin devenu président de la République.
Dans cette histoire, les plus virulents, ou les moins indulgents, ont peut-être été les plus déçus, les plus impliqués, les passionnés : les plus inspirés ont d’ailleurs dit que l’étudiante était ainsi passée de «l’excellence, à l’insolence». Si Diary pouvait se rapprocher de l’Equipe nationale de football…ils sont habitués, je crois : la médaille, et le revers. Dites-lui encore qu’on va continuer à lui rabâcher que c’est grâce à l’argent du contribuable qu’elle a eu sa bourse, c’est comme ça, et que son statut patrimonial va lui valoir d’être constamment infantilisée : on va refaire son éducation, ou lui refaire le portrait, c’est selon, sans parler de tous ceux qui vont se projeter sur le personnage, fantasmer là-dessus, sur la petite fille que tout le monde souhaiterait avoir, studieuse et bouquineuse, une anti-Tom Sawyer
En attendant, qu’elle veuille l’admettre ou pas, il y a beaucoup d’ellemême dans ses personnages. Jusqu’à quel point sont-ils autobiographiques ? Allez savoir : on y parle de «désirs étouffés», de «cette vie à laquelle je n’avais pas droit», il y a ce personnage-là qui dit ne pas vouloir d’une «vie terne, sans folie». Entre les lignes, beaucoup de questions existentielles, de questions sur l’identité, une, plurielle : «Une éternelle recherche de celle que je pensais être»… «C’était un peu comme s’il y avait deux versions de mon être. Je ne sais plus laquelle est la vraie ou laquelle contrôle ma vie. J’ai parfois l’impression que cet alter ego s’accroche, refuse de me quitter et se nourrit de mes faiblesses.»
Bon, allez, dit comme ça, c’est sec, direct, mais moi aussi «Je pars»
A jeudi !
Ps : Une pensée pour une autre Miss, Miss Sénégal cette fois, qui se faisait appeler «la girafe», ou «Ndiol Tocc Tocc» à l’école. On va appeler ça «La revanche» ?