Dans le luxueux palais de Koulouba, les longues nuits blanches s’enchainent autour d’Assimi Goita le maitre des lieux, sur lequel tous les regards sont fixés. Des hommes en armes, agités, circulent dans de longs couloirs. D’autres, visiblement moins excités par la nouvelle tendance, passent discrètement leur temps à planifier, coordonner au téléphone dans ces énormes bureaux aux murs épais.
Certes la grosse mobilisation nationale du vendredi 14 janvier 2022 a redonné confiance aux dirigeants par son succès et son ampleur, mais démontre surtout que les maliens solidaires à la junte, sont plus déterminés que jamais. Cependant cette adhésion populaire aura-t-elle une durée dans le temps ?
Pour l’instant, l’homme fort de Bamako devra en toute sérénité prendre au quotidien de grandes décisions vis-à-vis de l’opinion et de la France avec qui, la guerre est ouverte désormais. Compte tenu des actes posés de part et d’autre. Malgré le combat qu’il mène pour repousser les djihadistes, ses pairs africains viennent de lui tirer dans le dos avec les sanctions que l’on connait, pour le livrer à la face du monde qui suit l’événement, au tout puissant Emmanuel.
Pourtant ; Assimi savait dès le début de son combat que les risques étaient énormes, quand il s’agit de prendre le pouvoir par les armes et de s’y maintenir comme il entend le faire. Il savait aussi qu’il allait croiser sur son chemin l’un des plus puissants du monde qui veut rester le Maître du jeu, surtout lorsque ses intérêts sont menacés au sein de ses anciennes colonies.
En Afrique_ çà aussi le Colonel putschiste le savait_ à la différence des autres anciennes puissances coloniales, la France a conservé son influence, et ses troupes en vertu de divers accords militaires plus ou moins secrets. Ce fut même une condition exigée par la France dès 1960. Ce qui est aujourd’hui la raison d’être des armées françaises au Sénégal, à Djibouti, en Côte d’Ivoire, au Gabon, et bien sûr au Mali, ce pays tant convoité qui brûle toutes les lèvres.
Pour soi-disant « pacifier » le Mali ravagé par la guerre contre les djihadistes, mais aussi en réalité pour sauvegarder des intérêts économiques et géopolitiques, les opérations Serval et Barkhane furent lancées successivement avec les résultats dérisoires que l’on sait. Misère et désolation.
Et ce qui devait arriver arriva…
« J’ai été choqué par les propos du premier Ministre malien a dit Macron qui les qualifie de honteux et d’inacceptables. Je sais que les Maliens ne pensent pas ça », a t-l poursuivi en soulignant que « la légitimité du gouvernement actuel est démocratiquement nulle ».
« Nous sommes exigeants parce que nous sommes engagés, nous voulons lutter contre le terrorisme et pour la sécurité », a-t-il ajouté. « Nous sommes là parce que l’Etat malien l’a demandé. Sans la France, le Mali serait dans les mains des terroristes », selon lui.
« Nous allons continuer les projets de développement » au Mali aux côtés de la communauté internationale. Mais « ce travail ne peut pas être fait si les dirigeants ne prennent pas leurs responsabilités », a-t-il prévenu d’un ton ferme, acerbe.
Les fins de règne se reconnaissent au pourrissement des mots dit-on.
Je voudrai dire au peuple malien qui a heurté l’orgueil français ; de bien décrypter le message à peine voilé d’Emmanuel Macron qui, choqué, est en train de nous rappeler que même si la politique africaine de son pays est occulte, elle ne relève pas du Ministère des Affaires étrangères. Elle est à la discrétion de la Présidence, notamment à travers la cellule africaine de l’Elysée et, dans une moindre mesure, le ministère de la coopération, qui, hélas n’existe plus de nos jours. Ce qui donne à Macron toutes les cartes en main pour laver cet affront que vient de lui lancer tout un peuple. Il n’hésitera pas à passer à l’offensive. Je parle de cette France-là qui, il y’a huit ans, avait juré et promis au Mali de lui rendre sa légitimité.
La petite histoire nous apprend qu’en défiant les grandes puissances telle que la France, beaucoup de chefs d’états sont morts ou déchus du pouvoir. Laurent Gbagbo, pour ne citer que lui, en a fait les frais. Quand la communauté internationale (Etats-Unis, France et la Grande-Bretagne) a voulu le déposer en 2011, elle s’était servie de la CEDEAO. Encerclé dans sa résidence présidentielle d’Abidjan avec son épouse Simone son fils Michel et une poignée de fidèles, Laurent Gbagbo se battra jusqu’à son dernier souffle.
Il sortira vaincu de cette bataille, humilié, exilé pendant une décennie.
“La France n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts”, c’est la célèbre formule que Macron a héritée de De Gaulle qui n’a eu jamais de regret en usant de tous les moyens pour éliminer physiquement les dirigeants africains qui ont tenté de se libérer du joug de la métropole.
En observant ce qui se passe en ce moment au Mali, on est bien tenté de croire qu’il y’a bien des raisons de craindre le pire. Ce qui nous renvoie aux images tragiques qui eurent marqué le peuple de côte d’Ivoire.
On se souviendra encore des hélicoptères de la force Licorne mitraillant le pont Charles-de-Gaulle : Tout un symbole.
En effet, l’armée française n’avait pas hésité à aller jusqu’au bout pour empêcher les milliers de manifestants, affluant des quartiers nord d’Abidjan, et d’assaillir la base du 43e bataillon d’infanterie de marine (Bima), où étaient regroupés les ressortissants étrangers, elle a ouvert le feu sur ce peuple noir souverain. Je revois les images de cette soirée sanglante du 06 novembre 2004, cette scène spectaculaire des balles traçantes et des obus frappant le parapet dans des gerbes d’étincelles, tandis que crépitait une DCA ivoirienne impuissante, n’était qu’un acte de plus dans la tragédie franco-ivoirienne.
Je suis désolé de rappeler des événements aussi douloureux…
Aujourd’hui encore, cette même France (j’avais déjà parlé de son arrogance) est montée sur ses grands chevaux pour en découdre avec la junte militaire. En se servant de la CEDEAO d’abord pour bien isoler sa proie et de la mordre au cou, Emma attend la réaction d’Assimi qui, je l’espère, sais ce qu’il fait.
Les crimes commis par les dirigeants français sont bien connus et consignés dans des livres écrits par des historiens, chercheurs, et les documentaires réalisés par des journalistes courageux.
Cependant, la France, sans le dire tout haut comme l’a fait le Président de la transition malienne, reste favorable au dialogue, très attendu au sein de la communauté internationale.
Enclavé au cœur du Sahel, le commerce malien qui dépend grandement des ports de Dakar et d’Abidjan, risque de connaître de graves perturbations si la situation actuelle perdure. En attendant, la tension continue de monter. Les sanctions internationales ne sont que des mesures coercitives qui s’appliquent contre des États qui représentent une menace à la paix et à la sécurité internationales. Si les objectifs qui sont poursuivis au moment de les imposer sont de faire modifier le comportement de la junte militaire, cela va également diminuer la marge de manœuvre de la junte et la fragiliser dans les prochains jours si un règlement de la crise n’est pas trouvé.
Le Mali va-t-il basculer ou changer le cours de l’histoire ? C’est la grande question que je me pose à la fin de chaque journée, agacé par tout le mal qu’on nous fait en voulant faire de cette partie de l’Afrique un patrimoine français. Ce monde est vraiment injuste.
En tout état de cause et sans être prétentieux, je voudrai appeler Macron à plus de retenue pour une ou deux raisons simples :
La réputation de la France en Afrique francophone s’est beaucoup dégradée au cours des dernières années. Les propos, caricatures et images qui critiquent sa présence sur le continent sont de plus en plus nombreux à circuler sur les réseaux sociaux. Lors de manifestations organisées dans plusieurs pays (en République centrafricaine en 2013, au Sénégal en 2015, au Niger en 2019, au Mali de 2020 à 2022, etc.), des slogans tels que « À bas la France ! », « France, dégage ! » sont scandés partout et le drapeau tricolore brûlé à maintes occasions.
Baye Emma ne soyez pas aveugle : Réfléchissez à tous ces signaux d’alerte.
Qui qu’il arrive, Assimi assumera, même s’il est pris entre deux feux.
Mamour BA, écrivain.