Des mutineries dans des casernes au Burkina Faso semblent se muer en une prise inconstitutionnelle du pouvoir. Les deux élections présidentielles qui ont élu et réélu Roch Marc Kaboré semblent déjà loin. Le Burkina voit un coup d’État en cours tenter d’enrayer sa marche démocratique. Après le Mali et la Guinée, un autre pays de la sous-région succombe aux démons du coup d’État militaire ; de surcroît un pays qui fait face à une menace terroriste féroce sans réussir à l’endiguer durablement.
La Cedeao, conformément à ses textes, va sévir ; elle qui est déjà embourbée dans le dossier malien. Naturellement, certains vont applaudir, saluer le putsch et brandir leur haine des institutions républicaines qu’ils jugent corrompus et inféodées à la France. Le Sénégal voit sa ceinture de sécurité en proie à des convulsions difficiles. Nous sommes en face d’un cercle de feu allant de Conakry à Ouaga en passant par Bamako. Et récemment, un expert sérieux rendait compte d’une tension latente au cœur du pouvoir à Bissau.
Le même soir, entre Dakar et Ouaga, la différence de température était saisissante. Au moment où le putsch se perpétrait au Burkina Faso, les Sénégalais avaient les yeux rivés sur leurs écrans pour suivre les résultats des élections locales. L’opposition a gardé ou raflé de grandes villes et infligé des défaites cuisantes à la majorité, là où celle-ci jusque-là paraissait indétrônable. Dans de nombreux pays, il faut attendre la chute du chef de l’État pour s’en prendre aux membres de sa famille jadis au cœur de l’appareil du pouvoir. Au Sénégal, par la magie de la démocratie, un journaliste, énarque, homme d’affaires prospère, président de l’association des maires du Sénégal et frère du président de la République, peut être battu dans les urnes par un fait-diversier. Le ministre de la Santé, chef des cadres du parti au pouvoir, tête de liste de la majorité dans la capitale, a mordu la poussière dans son fief face à un jeune homme de 34 ans. Dans plusieurs autres collectivités du pays, ce sont des hauts-fonctionnaires et des ministres qui ont perdu devant des jeunes novices en politique. Le lendemain, tout le monde a vaqué à ses occupations. C’est le charme de la démocratie, où le jour du vote, les suffrages sont l’unique moyen pour départager les candidats au capital financier et symbolique très divers.
Cette démocratie que nous entretenons depuis Senghor, et qui nous différencie de nombreux voisins, mérite d’être sacralisée. Les élections constituent la respiration de la démocratie et la garantie de renouvellement du personnel politique. Les résultats du scrutin de dimanche montrent une nouvelle fois que le débat sur le fichier électoral ou l’appartenance politique du ministre de l’Intérieur relèvent de l’agitation et de la posture et non d’une démarche rigoureuse. La preuve, quand les résultats ont été favorables dans de grandes villes à l’opposition, plus personne n’a soulevé des objections au sujet de l’organisation. Un ami me disait qu’il fallait que nous passions de la maturité électorale à une maturité politique. Celle-ci à mon avis passe, entre autres, par l’accès de l’opposition aux médias publics et l’instauration par les médias de la culture du débat d’idées. Il faudrait également que les hommes politiques, par opportunisme, arrêtent de ternir l’image des fonctionnaires qui organisent chaque scrutin et celle de nos institutions républicaines.
Le Sénégal reste une démocratie de faible intensité. Mais nous sommes un modèle pour de nombreux Africains. Il nous incombe d’en finir avec le débat sur les règles du jeu afin d’inaugurer un débat de contenu programmatique, qui élèverait le niveau du personnel politique et celui des citoyens.
Il faudra quelques semaines pour compiler tous les résultats et analyser finement le verdict des urnes. Mais d’ores et déjà une lecture s’impose à moi. Le courant intellectuel auquel je me réclame ; celui d’une gauche exigeante sur la république, radicale sur les questions sociales et progressiste sur les enjeux sociétaux a disparu du paysage politique du pays. Il laisse la place à la vacuité idéelle que tente de masquer l’argent et l’arrogance et au populisme le plus extrême. La reconquête d’une surface politique pour le socialisme démocratique et républicain passera par les urnes. Au travail !