Entre abandon de l’Etat, déformation de l’islam née d’une crise financière ou responsabilité des colons, les spécialistes s’ajustent sur leur désaccord. Dans un webinaire organisé par l’Ipar (Institut prospective agricole et rurale), il a été disséqué les origines de l’instabilité au Sahel.
Ilot de paix à une certaine époque, l’Afrique de l’Ouest devient de plus en plus le terreau de l’instabilité. Le Mali se perd dans ses coups d’Etat, tandis que la Guinée s’engouffre dans une refonte systémique de son administration dirigée par les militaires. Et récemment, le Président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, qui avait lu pour la Cedeao les sanctions infligées au Mali, a été déposé par son armée qui peine à trouver la solution sécuritaire au problème terroriste.
Comment cela a-t-il pu arriver ? Pourquoi ? Voilà, entre autres, les questions qui ont poussé des sommités intellectuelles à se pencher, à travers une conférence virtuelle, sur la crise au Sahel et à proposer des solutions hier à l’occasion de la Journée internationale des Think thanks.
Longtemps analysée comme le résultat de la démission de certains Etats sur une partie de leurs territoires, cette crise sécuritaire qui menace l’Afrique de l’Ouest n’est pas un défaut de démocratie. «Ceux qui disent qu’il n’y a pas une avancée démocratique au Sahel n’étaient certainement pas là à l’époque du parti unique. Le parti-Etat a longtemps gouverné nos Etats. Il a fallu lutter pour connaître ce que nous vivons aujourd’hui», a déclaré le Pr Abdoulaye Bathily. Qui, par conséquent, écarte la négation d’une démocratie à l’origine de l’instabilité.
Pour Dr Jean Hervé Jezequel, directeur Sahel chez Crisis group, Ce n‘est ni plus ni moins que la conséquence de la guerre froide entre la Russie et les Occidentaux. «Cela peut être perçu comme une possibilité d’ouverture ces coups d’Etat. Il y a actuellement un desserrement de la Communauté internationale. Les élites politiques doivent apporter une offre. On est dans un tournant historique. Comment le mettre à profit ? C’est tout l’enjeu», a analysé Dr Jezequel. Moins dans les perspectives et plus dans le diagnostic, Dr Bakary Samb de Timbuktu institute, estime qu’il faut déjà reconnaître ses erreurs. «La Communauté internationale doit reconnaître qu’elle a accusé un retard de 40 ans sur la question. Dans les années 90, avec les ajustements structurels, les Occidentaux étaient en cure et on a assisté à l’arrivée des pétro-dollars avec cette déformation de l’islam», a déclaré Bakary Samb pour situer l’origine «du djihadisme dans le Sahel». En plus, précise-t-il, «avec les ajustements structurels, on parlait de moins d’Etat. Cela a affaibli les Etats. Pour une solution, on a longtemps privilégié l’aspect militaire. Et face à cela, sur les 20 stratégies présentées dans le Sahel, toutes les 19 ont été conçues sans les Sahéliens». Bakary Samb préconise un développement intégré pour écarter l’idéologie terroriste. «Il faut mettre en synergie toutes les solutions basées sur nos réalités.»
De l’avis de Dr Mamadou Goïta, Directeur exécutif de l’Institut de recherche et de promotion des alternatives de développement, c’est le colon qui est un des responsables de cette crise. «Nos Etats sont nés dans une déformation congénitale. On a hérité de la gestion des affaires publiques des colons. Nous avons des instruments politiques qui ne répondent pas à nos réalités. En plus, on assiste dans nos Etats à un accaparement des ressources. La Société civile est déconnectée de nos réalités, la Cedeao doit changer», a déclaré Mamadou Goïta.