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La Chute De Bamako

La Chute De Bamako

C’est fait ! Emmanuel Macron, en tant que chef des armées et président en exercice de l’Union européenne, quitte le Mali. Qui l’eût cru ! Assimi Goïta, depuis le 1er coup d’État, fait tourner en bourrique Emmanuel Macron. Sur le papier, c’était David contre Goliath. Et pourtant ! La chute de Bamako, c’est la petite histoire d’un bras de fer entre deux hommes Macron-Goïta et c’est la grande histoire d’une nouvelle page entre la France et l’Afrique.

Bamako, le Diên Biên Phu sahélien. La bataille de Bamako a bien eu lieu. Elle a duré plus de 17 mois, du 1er coup d’Etat jusqu’à l’annonce du retrait des troupes françaises et européennes, en passant par l’expulsion de l’ambassadeur français du Mali. Cette bataille n’a fait aucun mort ! Elle était avant tout politique et diplomatique sur fond de résultats de lutte contre le djihadisme peu convaincants. Elle a tout de même contribué à la fin provisoire d’une relation historique et amicale entre deux pays, la France et le Mali. Ce n’est pas rien !

Cette bataille de Bamako, la France l’a perdue. Le retrait de Barkhane et de Takuba, même si celui-ci est à l’initiative de Macron, a été précipité par les autorités transitoires maliennes. Contrairement, à la majorité des analyses sur le sujet, la bataille de Bamako, selon moi, n’est pas comparable à l’Afghanistan (retrait « ordonné » des armées occidentales), mais plutôt à notre ancien Diên Biên Phu en termes de conséquences et de symbole (chute d’un empire). Pour Bamako, c’est assurément le prélude de la fin d’une hégémonie française de plus de 60 ans en Afrique.

En effet, la défaite française à proximité du petit village dans le Haut Tonkin avait sifflé le début de la fin de l’Empire colonial français. Certains historiens français l’assimilaient à Alesia (Gaulois) et à Waterloo (Napoléon). Désormais, il faudra ajouter à la liste de nos déroutes, Bamako (Macron). C’est, à n’en pas douter, la fin d’une ère de la France en Afrique, la fin de l’exclusivité dans son pré carré. Même si les armées françaises et européennes trouvent refuge au Niger et dans les pays voisins du golfe de Guinée, ce repli laissera des traces politico-psychologiques.  Naguère la défaite de Diên Biên Phu fût fêtée à Alger et Rabat. En Afrique subsaharienne, la France sera dorénavant perçue comme un colosse aux pieds d’argile dont les heures de gendarme d’Afrique sont comptées.

C’est bien l’armée française en Afrique qui est ciblée dans le revers acté par Paris le 17 février. C’est bien les deux piliers de la souveraineté française en Afrique (et a contrario l’absence de souveraineté des États africains) – l’armée et le franc CFA (bientôt Eco), qui sont dans le viseur d’une nouvelle génération d’élite africaine. C’est bien la marche vers l’ultime étape de l’indépendance, jusqu’alors inaccomplie, des pays africains qui est en jeu dans la bataille de Bamako. Elle sera longue encore à se dessiner (l’arrivée de Frontex au Sénégal : partage de souveraineté !). Mais, comme pour Diên Biên Phu, le processus est irréversible. Les jeunes africains veulent une nouvelle Afrique, plus souverainiste, plus patriotique, plus efficace moins corrompue. Et le soutien d’un régime africain à la France peut lui être fatal comme au Burkina Faso, la chute déclenchée par les convois de Barkhane.

L’armée française, par des traités de coopération opaques, était présente dans la région sahélienne depuis le début des indépendances africaines. Parfois, elle faisait la pluie et le beau temps pour le maintien des régimes autoritaires à l’instar de Ndjamena en 2008. Barkhane avait posé ses quartiers depuis 9 ans au Mali, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La zone des « trois frontières » est devenue la cuvette-piège de Diên Biên Phu : l’armée française s’enlise. Le duo choc militaire-civil, Goïta-Maïga, est la bête noire de la France, comme Hô Chi Min-Giap. Ils incarnent la résistance face aux dernières reliques du passé colonial : le franc CFA et l’armée. Un vent de libération souffle partout dans les anciennes colonies françaises, c’est ainsi qu’une partie de la population des pays en question perçoit le départ de la France.

La Russie a bon dos. Diên Biên Phu, ce fut aussi le constat amer d’hommes politiques français irresponsables qui n’ont pas voulu voir la vérité en face : l’ère de la décolonisation débutait. Bis repetita avec Bamako ! Le sentiment anti-français a été imputable à quelques hérétiques africains, soutenus par « l’armée de l’ombre » de Poutine. Emmanuel Macron, en la présence de Macky Sall, le 17 février, à l’Élysée, accuse les Maliens et la Russie. Tout comme à Diên Biên Phu, les autorités françaises ne maîtrisent plus l’analyse des évolutions géopolitiques en cours. Le sentiment anti-français, ce n’est pas l’affaire d’un petit groupe sectaire ou d’un État « ennemi », c’est bien une lame de fond que la France, elle-même, a alimentée depuis des décennies.

La France diabolise les Maliens et Russes. Pourtant, à y regarder de près, c’est la politique néocoloniale de la France qui est en cause dans la bataille de Bamako. Et rien d’autre ! Les gouvernants français qui se sont succédé depuis 1958 en sont les principaux responsables. La France, au Mali, se rêvait encore en communauté française du Général de Gaulle. Ce pays étranger interdisait l’armée malienne d’entrer à Kidal. Ce pays étranger s’opposait à la négociation avec certains groupes armés alors que les Touaregs furent invités aux négociations d’Alger par la France. Ce pays étranger favorisait le découpage politique territorial, préparant un fédéralisme honni par Bamako. Ce pays étranger soutenait le régime IBK aux abois. Ce pays étranger balayait d’un revers de main l’enquête des Nations Unies faisant suite à un bombardement d’un mariage. Ce pays étranger a foulé le protocole diplomatique dont le chef des armées et sa première visite à Gao (IBK est parti à la rencontre de Macron). Les présidents récalcitrants, trop compréhensifs avec leur opinion anti-française, furent rappelés à l’ordre par le protocole de Pau.

La France joue la politique de l’autruche. Pourtant, à y regarder de près, la France se comportait au Mali comme un État ultra dominateur sous prétexte que ses militaires se sacrifiaient. La France a abusé de ce sentiment de culpabilisation d’un État ayant demandé l’aide à son ancienne puissance coloniale, via les réseaux socialistes. Le Drian est le symbole d’une Françafrique qui ne meurt jamais. L’affaire des passeports et la « Bretagne connexion » soulèvent la question des conflits d’intérêts et celle des contreparties de l’assistance militaire française. Une commission parlementaire devrait enquêter sur ces agissements. La présence française, en Afrique, n’est pas fortuite. Elle a toujours eu pour objectif de protéger ses intérêts dont sa politique d’indépendance énergétique en faveur de laquelle Emmanuel Macron vient d’annoncer un nouveau programme nucléaire.

Emmanuel Macron s’égare dans ses explications de retrait de l’armée française. La vérité de la bataille de Bamako, c’est que nous n’avons pas vu venir les coups d’État, pourtant très prévisibles. Nous étions sûrs de nos acquis, de nos soutiens et de notre force au Mali. Là fut la principale difficulté ! Les nouveaux hommes forts du Mali n’étaient plus nos marionnettes. Les élections présidentielles de fin février 2022, sur un territoire à peine 25 % contrôlé par les autorités maliennes, n’étaient qu’un prétexte pour l’arrivée de nouveaux politiques civils dans le giron de la France. La tentative de reprise en main d’Emmanuel Macron avait déjà échoué avec le second coup d’État.

Il est facile de mesurer l’hypocrisie de Paris et sa fuite en avant. Emmanuel Macron dénie toute défaite en dépit du départ de l’armée française. Le président, à quelques mois de la présidentielle, se dépatouille tant bien que mal en montrant du doigt la junte militaire et Wagner. Pourtant, en 2008, la France n’a pas été gênée de soutenir Idriss Déby alors que son palais était protégé par des mercenaires de l’Europe de l’Est. Plus récemment, Emmanuel Macron a loué la négociation dans la résolution des crises internationales. Il s’exprimait sur l’Ukraine. Emmanuel Macron n’a jamais accordé une telle indulgence au Mali : il a voulu imposer la loi du plus fort. Il s’en mord les doigts.

Les premiers lendemains de la chute de Bamako (hors Mali). La France a commis trop de fautes politiques et diplomatiques dans le dossier malien. C’est presque un cas d’école ! Les diatribes de Le Drian et de Parly ont démontré que la France perdait ses nerfs. Ces deux ministres ont donné du grain à moudre à la junte militaire pour revigorer sa population. Ils ne devraient plus faire partie du prochain gouvernement si Emmanuel Macron est réélu. Et une enquête parlementaire devrait être créée pour comprendre le fiasco de Barkhane et en tirer des enseignements. La justice française devrait être saisie sur des conflits d’intérêts si cela est avéré en l’espèce.

Le président français a tiré sur la corde de la victimisation relayée par la presse française. C’est à se demander si Wagner et la junte militaire n’étaient pas l’excuse toute trouvée pour se débarrasser d’un lourd fardeau dont il a hérité en 2017. Pendant 5 ans, le président français n’a jamais su trop quoi faire de cette patate chaude de Barkhane. Il y a donc beaucoup de bluff de la part d’Emmanuel Macron dans l’annonce du retrait. À vrai dire, il est plutôt soulagé, cela va même libérer des énergies pour se consacrer au rêve Eurafricain de Macron. Ce n’est pas un militaire, mais un financier.

La victimisation d’Emmanuel Macron interpelle sur ses vraies responsabilités. Pendant 5 ans, il n’y a eu aucune stratégie, aucune vision. Son amende honorable de ces derniers jours où il reconnaît tardivement, après la chute de Bamako, que les sensibilités des opinions publiques ont évolué ne saurait l’absoudre de nos soldats morts au Mali. Emmanuel Macron, depuis le Général de Gaulle, a été le président le plus actif sur la scène africaine. Sans doute a-t-il été séquestré par la Françafrique (qui se transforme, s’adapte, mais ne disparaît pas), par son ministre des Affaires étrangères, par le lobbying militaire et son industrie.

À vouloir trop en faire, Emmanuel Macron a montré aussi ses limites : il nous a fait perdre notre relation historique avec le Mali ! Malgré ce mauvais bilan, la chute de Bamako n’aura aucune incidence sur la présidentielle à venir pour deux raisons : d’une part, les états-majors de ses opposants ne sauront pas en tirer profit ; d’autre part, comme pour Diên Biên Phu, l’opinion publique française, malgré une forte présence de la diaspora africaine, s’intéresse peu à ce qui est lointain : l’Afrique en fait partie à plusieurs égards !

Pour la politique africaine de la France, elle vivra encore des jours heureux. Les deux chiens de garde de la Françafrique – Macky Sall et Alassane Ouattara, ont réitéré leur soutien à Emmanuel Macron. Ces deux derniers se renforceront et obtiendront plus de garantie et de financement de la part de Paris (via l’Union européenne si nécessaire). Mais que la France prenne garde ! La chute de Bamako aura un effet domino. Dont la bataille de Dakar dans deux ans !

edesfourneaux@seneplus.com







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