Et si on s’attardait sur la guerre d’influence menée par la France contre le gouvernement malien de transition, qui passe largement inaperçue ? Les sanctions économiques prises par la Cedeao contre Bamako frappent tout de suite les esprits, chacun y voyant un instrument de guerre économique visant à assiéger les nouvelles autorités maliennes de transition afin de les ramener à la raison.
Mais une campagne de délégitimation plus insidieuse est à l’œuvre, qui impose des mots, un récit, un discours sur le Mali. Ces mots, serinés à longueur d’articles, de documents vidéo et audio, et que nous reprenons naturellement, imprègnent nos esprits, façonnent notre lecture des évènements, nous soumettent intellectuellement. Des esprits mal informés, désarmés, sont d’autant plus réceptifs à des options politiques privilégiées par les tenants du discours dominant.
Soldats de fortune
Quand les autorités françaises répètent à l’envi que le gouvernement malien de transition recourt à des « mercenaires », en l’occurrence ceux du groupe russe Wagner, il est difficile de ne pas y voir une tentative de décrédibilisation des autorités de transition. Même au sein d’un public peu au fait de l’histoire des relations internationales, le mot « mercenaires » a une connotation très négative : il évoque des individus sans foi ni loi, prêts à semer chaos, destruction et mort sur commande. Le moins que l’on puisse dire est qu’un gouvernement qui fraye avec des profils pareils mérite au minimum indifférence ou mépris. Et si, par le plus grand des hasards, il venait à être renversé, qui donc le déplorerait ?
Il est regrettable que la crédibilité du gouvernement français lui-même ne soit pas remise en question lorsqu’il dénonce le recours supposé d’un État tiers aux mercenaires. Car si un mercenaire est un soldat de fortune, sans affiliation officielle aux forces armées d’un pays donné, et qui mène des opérations officieuses au bénéfice de commanditaires étatiques ou privés, alors, ce qu’il est convenu d’appeler « la Françafrique », et dans laquelle Paris tient le rôle central, ne se serait vraisemblablement pas développée sous la forme qui lui est connue sans l’industrie du mercenariat.
Par exemple, dans un rapport publié le 1er février 2018 sous le titre « Le Crapuleux Destin de Robert-Bernard Martin » et qui révèle le rôle joué par le fameux mercenaire français Bob Denard au côté du gouvernement génocidaire au Rwanda en 1994, l’association Survie indique : « Ces révélations démontrent une nouvelle fois que l’implication des autorités françaises est multiforme, car elles ne pouvaient ignorer les activités d’un mercenaire resté régulièrement en contact avec les services de renseignement tout au long de sa carrière, y compris en 1994 sur le sujet du Rwanda. » La position de la France est-elle que le recours à des « mercenaires » se justifie lorsqu’il est le fait d’un gouvernement allié et rencontre les intérêts de l’Hexagone ?