L’aide à la presse continue de diviser les ayants droit.
Pour la petite synthèse, avant 1996 date de démarrage, au Sénégal, d’une aide de l’Etat à la presse, il y avait d’un côté des médias d’Etat qui bénéficiaient et d’ailleurs qui continuent de bénéficier de subventions directes et indirectes de la part du gouvernement et, de l’autre côté, des médias privés qui devaient assurer les moyens de leur survie.
Face à une presse indépendante très critique à son encontre, l’Etat avait même mis en place, quoique l’ayant autorisée, une méthode pour la faire taire à terme.
C’est dans ce contexte économique contraignant que des promoteurs de journaux ont eu l’idée d’intervenir, pour la première fois en 1996, auprès du gouvernement de Diouf, en vue d’obtenir une aide publique à la presse. Ils ont alors dénoncé avec la dernière energie la hausse du prix du papier liée à la dévaluation du franc CFA survenue en 1994 en Afrique francophone, en réclamant son exonération, avant de demander ouvertement une aide étatique directe et indirecte et un accès équitable des médias à la publicité des entreprises publiques. Pour pousser l’Etat à céder à leur demande, ils avaient même menacé d’organiser une marche de protestation. Cette pression était tellement forte qu’elle a eu un écho favorable auprès des représentations diplomatiques accréditées au Sénégal, notamment celles de la France et des Etats-Unis, qui faisaient partie des principaux soutiens de la presse indépendante, perçue à l’époque comme un baromètre des processus de démocratisation en Afrique, et qui ont en partie fait céder l’Etat sénégalais.
C’est ainsi que l’aide de l’Etat à la presse au Sénégal est née.
Cette décision était révolutionnaire car les médias dits indépendants en étaient les principaux bénéficiaires. Or, ces médias étaient connus pour leurs discours corrosifs et leur rôle de relais de la contestation politique et sociale à l’encontre du gouvernement sénégalais.
Dire qu’à l’époque, l’aide n’avait bénéficié qu’à quatre journaux que sont Sud Quotidien, Walfadjiri, Le Témoin et Nouvel Horizon.
Ainsi depuis 1996, l’Etat sénégalais accorde son aide à la presse, s’accrochant au sacro-saint principe de la généralisation qui consiste à donner à chaque organe de presse sa part, ce qui ne milite pas non plus en faveur d’un dispositif d’aide efficace, de surcroît, dans un contexte marqué par une floraison d’organes de presse.
Il est tout de même important de préciser qu’entre 1996 et 2021,
l’allocation globale passée de l’aide à la presse au fonds d’appui et de développement de la presse, a été portée à 700 millions FCFA contre 40 millions CFA.
Si le CORED, membre du conseil de gestion du fonds qui fixe les critères d’éligibilité à l’allocation, décide de corser les critères pour en bénéficier, on doit applaudir des deux mains.
Depuis toujours, beaucoup ont décrié le partage et l’utilisation de cet argent par certains patrons de presse, qui non seulement, ne se conforment pas à la législation du travail mais en parallèle vivent dans l’opulence , laissant les reporters dans des conditions précaires.
Certains sont sans contrats de travail, n’ont pas de cotisations à L’IPRES et à la Caisse de sécurité sociale et ne bénéficient pas d’une prise en charge médicale pour se soigner en cas de maladie.
La décision du tribunal des pairs de changer la donne vient à son heure. Désormais, pour être éligible au Fonds d’appui pour le développement de la presse (Fadp), il faut au moins cinq contrats en bonne et due forme pour les journalistes et les techniciens et aussi l’entreprise de presse doit être en conformité avec la législation sociale et fiscale en vigueur, on se doit de les encourager et de les soutenir.
Selon une étude intitulée : « Bilan et perspectives de l’aide de l’État à la presse au Sénégal » réalisée par le Pr Mor Faye, les pays où l’aide à la presse a des effets sur la vie des entreprises de presse, des objectifs préalables sont clairement définis, les domaines dans lesquels les entreprises de presse sont aidées pour leurs besoins exprimés. Ces derniers sont soit satisfaits soit non satisfaits en fonction de la pertinence des projets présentés. En France, par exemple, dans le cadre des aides directes à la presse qui visent à développer la diffusion des titres, à renforcer le pluralisme des médias et à encourager la modernisation des entreprises de presse, ce sont des projets de développement ou de modernisation d’éditeurs qui sont déposés. Lorsqu’ils sont retenus, ils sont financés sur la base de cahiers de charge que les demandeurs sont tenus de respecter.
Selon toujours l’enquête, dans les pays africains comme le Bénin, souvent cité en exemple en matière d’aide à la presse, il existe un relatif effort de cadrage de cette aide. Depuis 1997, l’État béninois alloue à la presse privée une enveloppe annuelle de 300 millions de Francs CFA, au titre de l’aide publique, répartie en deux volets : l’aide aux organes de presse et l’aide à la formation. Le montant de cette enveloppe n’a pas évolué malgré le fort accroissement du nombre de bénéficiaires. Par contre, les modalités d’utilisation de cette aide ont beaucoup évolué, suite aux critiques formulées par les acteurs du secteur des médias béninois.
Alors qu’en France et au Bénin des efforts sont faits pour veiller à ce que l’aide de l’Etat profite aux entreprises de presse et à la profession de journalistes, au Sénégal c’est loin d’être le cas. De nombreux témoignages concordants montrent que le montant alloué à la presse sénégalaise profite plus aux patrons de presse qu’aux entreprises de presse :
« On donne des chèques s à des directeurs d’organes, surtout à des propriétaires d’organes, ils en font ce qu’ils veulent. Certains achètent des voitures ou des villas, d’autres s’offrent des épouses ou des voyages… Ce ne sont pas des clichés que je donne. J’ai travaillé comme directeur de publication d’un organe dont je n’étais pas le propriétaire. Il a reçu, en avril 2001, 28 millions au titre de l’aide de l’Etat à la presse pour la couverture des élections législatives qui se déroulaient en ce moment-là. Il a fallu ferrailler avec le propriétaire du journal pour obtenir 1 million 250 mille francs CFA. J’avais menacé de le dénoncer auprès du Président Wade qui le ferait auditer, à l’époque les audits étaient la bête noire de tous ceux qui avaient à gérer. J’ai appelé aussi un ami, directeur de publication d’un autre quotidien. Lui aurait reçu 56 millions, deux fois le montant que j’ai reçu. Son patron n’a injecté dans la campagne électorale que 2 millions».
Ces pratiques réelles ou supposées de détournement du fonds au détriment des entreprises de presse sont d’autant plus plausibles qu’il n’existait pas au Sénégal, de dispositif d’évaluation et de contrôle de l’utilisation de l’aide de l’Etat à la presse. Lorsque les patrons de presse sollicitent cette aide, ils ne déposent pas de projets médiatiques clairs sur la base de devis pour financement, ils se contentent généralement d’évoquer le respect des critères que la plupart des bénéficiaires ne remplissent pas, du reste. Quand ils se représentent l’année suivante pour formuler une autre demande, l’Etat ne se souciait pas de l’usage fait de l’aide de l’année précédente dans la mesure où aucune facture de dépense n’était exigée. Juste dire que l’échec du fonds d’appui et de développement de la presse vient essentiellement du fait qu’il s’agit d’un fonds direct octroyé, sous forme de chèques ou virements, sans que les pouvoirs publics n’exigent des patrons de presse des contreparties claires en termes de développement du secteur des médias. La vérité est que le fonds souffrait aussi d’un manque de mécanismes d’évaluation et de contrôle. C’est une situation dont les modalités d’attribution sont d’autant plus curieuses qu’elles vont à l’encontre des principes de base des finances publiques qui exigent que tout argent versé par l’Etat soit audité pour que les contribuables en connaissent l’utilisation et l’utilité. Aujourd’hui, pour être réellement efficace, le fonds d’appui devrait être réinventé en mettant au centre l’obligation de résultats. Il devrait être dépolitisé en confiant sa gestion à une instance indépendante de l’Exécutif sénégalais comme le CORED qui est en train de poser des jalons pour que le fonds puisse enfin profiter aux ayant-droits .
Aly Saleh Journaliste/Chroniqueur