La semaine dernière, je parlais du grand classique, l’écrivain et diplomate russe, Fiodor Tiouttchev, qui nous a appris de façon fort sage, dans son livre La Russie et l’Occident, qu’«on ne peut comprendre la Russie par la raison». Si on ne peut comprendre la Russie par la Raison comme c’est le cas actuellement avec Poutine, on peut essayer d’expliquer sa réaction par l’histoire. Zbigniew Brezinski, le conseilleur à la sécurité nationale de Jimmy Carter, américain d’origine polonaise, qui se vantait d’être le seul Polonais à pouvoir tenir tête à la Russie, disait : «Si la Russie renonce à l’Ukraine, elle renonce à être un empire pour être une Nation.» Tout est dans cette déclaration de Brezinski. Poutine ne veut pas que la Russie renonce à être un empire pour être une Nation. Il veut reconstituer l’empire éclaté, pour reprendre le livre de Helene Carrère d’Encausse, qui avait senti la dislocation de l’Urss à cause de la question des nationalités, bien avant que l’empire ne s’effondre.
Poutine est dans une dynamique de reconstituer l’empire russe dont la déclinaison soviétique n’était qu’une parenthèse, et si Kiev qui est le berceau de la Russie comme le Kosovo l’est pour la Serbie, est rattaché à l’Occident, il n’y a plus d’empire. Même l’Union soviétique était dans une logique impériale avec le Georgien Joseph Staline et l’Ukrainien Nikita Khrouchtchev à la tête de l’empire.
Si on ne peut comprendre la Russie par la Raison, on ne peut non plus comprendre la guerre de Poutine que par l’histoire de la Russie, qui lui interdit de réduire Kiev en cendres, de même que la ville de Odessa, dont le nom a été donné par la Grande Impératrice Catherine II, qui adorait les classiques grecs, particulièrement Homère, au point de baptiser la ville Odessa. Historiquement Kiev, Odessa, Sebastopol ou la Crimée font partie intégrante de l’histoire, de la culture et du patrimoine russe, mais aujourd’hui est-il raisonnable de se fonder sur l’histoire pour envahir des pays, comme l’a fait Hitler avec l’Autriche en 1938, avec l’Anchluss, ou avec les Sudètes en Tchécoslovaquie, pour rattacher des minorités allemandes au Reich, ou plus récemment comme l’avait fait Saddam Hussein avec le Koweït ? Evidemment non, parce que se baser sur l’histoire pour régler des conflits politiques, mènera le monde dans une guerre sans fin.
Les guerres de Poutine en Tchétchénie et en Géorgie hier, et aujourd’hui en Ukraine, sont des guerres impériales. Elles sont anachroniques dans un monde post-soviétique et post-guerre froide. Cette dernière guerre d’Ukraine est la première guerre mondialisée et l’opinion mondiale a été braquée contre la Russie, qui pourra avoir une victoire militaire mais perdra à terme la guerre, comme les Américains au Vietnam après l’offensive du Têt des Viêt-Cong sur Saigon, ou la bataille d’Alger qui a vu les paras français gagner la bataille militaire et l’Etat français perdre la guerre.
Cette mondialisation de la guerre est le Talon d’Achille de la stratégie de Poutine. La guerre fut naguère un conflit entre des Rois, avant d’être des conflits entre des Etats et des nations, mais est devenue aujourd’hui une bataille d’opinion. Et sur ce plan, Poutine a déjà perdu la guerre bien avant son offensive militaire, contrairement à Macky Sall, qui avait réussi à gagner la bataille de l’opinion contre Yaya Jammeh, avant d’envoyer ses chars terminer le travail.