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Le BaptÊme Du Feu

Le BaptÊme Du Feu

On pouvait entendre les taons bourdonner en voletant, juste au dessus de la colonne en tenue bariolée qui serpentait sous le couvert végétal en ce début de matinée. Le sous-lieutenant Sandiakhoum Sene écrasa d’une tape sonore, une espèce de grosse mouche qui se prenait pour le comte Dracula, sur son cou dégoulinant de sueur. Ce bruit mat alerta Ifra Fall, le combattant qui progressait devant lui, un caporal-chef chevronné qui se retourna vers son chef, avec un regard interrogateur. Le jeune officier athlétique découvrait enfin le terrain, comme il avait été affecté en zone opérationnelle, dès sa sortie de l’école d’application. Il avait eu la chance de bénéficier d’un stage d’aguerrissement et avait pu s’entraîner avec ses hommes qui l’appelaient par son indicatif d’autorité : «Yëkk » (Taureau). Ceux-ci, triés sur le volet, l’avaient adopté d’emblée, malgré sa relative inexpérience car il présentait toutes les qualités d’un bon leader. Ils chahutaient parfois son indignation devant leur langage fleuri. Toutefois, ils le couvaient tous d’une admiration non feinte.

Sa section, la 2e, progressait en sûreté dans le sillage de la section d’éclairage et de renseignement (Ser) qui s’était d’abord déployée, pour éviter la surprise au chef, s’infiltrant le long d’un thalweg sinueux. Le caporal Marcel Diandy qui marchait juste derrière le sous-lieutenant souffla dans sa direction : « je ne voudrais pas être un oiseau de mauvais augure, mais ce silence n’augure rien de bon, c’est le ‘’murmure de la mort’’ ». Un silence lourd de sous-entendus plombait l’atmosphère moite du bosquet

Quel travail de Yaaye-la-maman !

Le chef de section appela discrètement l’opérateur de drone mis à sa disposition par le commandant de compagnie et lui demanda de préciser la configuration du terrain, en direction d’un talus qui se dévoilait à 700 m, légèrement sur la gauche de l’itinéraire qu’il avait emprunté. L’appareil passa au dessus des têtes casquées, avec son chuintement étouffé et immédiatement, le moniteur montra le terrain en contrebas. Les capteurs thermiques révélaient un pickup grisâtre qui avait dû être volé à l’occasion d’un braquage des bandes armées.

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La deuxième image présentait dans un halo lumineux, des hommes en tenue vert-olive qui débarquaient des caissettes de munitions et se réunissaient, dans une clairière, à 300 m du talus repéré. C’était l’ennemi signalé par les gars de la Ser : une dizaine d’hommes. Les faciès patibulaires et les barbes hirsutes de certains de ces bandits étaient noyés dans des volutes de chanvre indien dont le lourd parfum si caractéristique chatouillait déjà les narines de la colonne militaire en approche. Des renseignements obtenus de source sûre avaient confirmé qu’ils avaient planifié une embuscade pour ralentir la progression amie.

Le secteur qu’avait choisi l’ennemi aurait pu lui être favorable, s’il avait eu le temps de bien installer son élément de guet-alerte pour prendre à partie la colonne de guerriers modernes, casqués de kevlar et aux torses enveloppés de gilets d’un nouveau modèle. Les coordonnées Utm fournies au sous-lieutenant Sandiakhoum par le chef de la Ser étaient bien exactes. A présent, la chance avait tourné. Il avait juste suffi d’une rapide étude du terrain et d’un survol de drone, pour éventer l’embuscade en préparation. Tapha Thiam, alias « Thiam yengal », le « nagrou motorisé » boute-en-train de la section murmura : « c’est le travail de maman, ils croyaient pouvoir nous avoir… ».

La section amie avait pu s’approcher, en naviguant au Gps, pour contourner le piège que leur destinait cette troupe de bandits mal fagotés dont certains avec leur patois haché devaient être des mercenaires. Le sous-lieutenant Séne se repassa mentalement le « drill » acquis récemment, avant de désigner les groupes chargés de l’appui et de la couverture. Les fusils d’assaut de dotation dont quelques uns comportaient un dispositif lance-grenades et les mortiers de 81 mm de la compagnie, en surveillance sur les directions initialement confirmées par le drone lancé, conféraient une supériorité manifeste sur l’ennemi. Une fois son dispositif installé, le chef de section avait débordé en direction du talus, par l’ouest.

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Arrivé à 200 m de l’objectif, au signal, il demanda des tirs courbes sur les bandits qui étaient en mauvaise posture, tout effet de surprise perdu. Leurs cris d’orfraie faisaient écho aux détonations sourdes de tolite et le pickup gris, atteint par une roquette antichar, explosa dans une boule de feu, criblant d’éclats les ennemis les plus proches. Le conducteur, traumatisé par le blast était d’ailleurs devenu une véritable torche humaine dont les relents se superposaient à l’odeur acre de la cordite. Le tireur d’élite et les staccatos variés des fusils d’assaut amis accompagnèrent les échos du fusil-mitrailleur qui avait d’abord neutralisé le groupe ennemi. C’était la débâcle, des grenades achevèrent un binôme qui avait pu installer son Pkms doté d’un bipied boueux, pour briser l’assaut. Les bras des survivants se levèrent au ciel. D’une voix gutturale, ils criaient à tue-tête: « je me rends », en s’agenouillant d’eux-mêmes.

« Thiama Yengal » à l’article de la mort…

Huit Ak47 furent récupérés, ainsi que quatre RPG7 flambants neufs et des chasubles de roquettes. Un émetteur-récepteur en bon état de fonctionnement pendait à la ceinture de celui qui semblait être le chef, vu ses jumelles et son porte-carte. La victoire était totale. C’était quand-même grisant pour la section amie qui ne déplorait qu’un blessé dont le côté droit portait une tâche sanguinolente qui s’élargissait à vue d’œil. Il s’agissait du soldat Tapha Thiam qui avait un rictus de douleur et essayait tant bien que mal d’enlever son gilet pare-balles, pour constater l’ampleur de la blessure.

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Son voisin de droite et binôme de toujours déchira un paquet de pansement pour lui apporter secours. Il lui souleva la veste et soudain, s’esclaffa de manière sonore. Tapha, les yeux vitreux, le regarda effaré. L’insulte à la bouche, il apostropha son ami qui riait à gorge déployée alors que lui, « Thiama yengal », était à l’article de la mort. Il maudissait en même temps son oncle qui lui avait garanti l’invulnérabilité dont il se croyait définitivement pourvue, le fameux « toul ».

En fait, le soldat blessé avait été atteint … par les bouts acérés d’une souche abandonnée par les coupeurs de bois clandestins, après être tombé, cheville prise dans une grosse racine. Quel malchanceux celui-là. Il s’en tirait quand-même à bon compte cette fois-ci. Autour de lui, l’hilarité devint générale. Ce sont ces rires amplifiés qui réveillèrent le sous-lieutenant Sandiakhoum Séne. Il sortit de sa torpeur et réalisa qu’il émergeait d’une sorte de rêve. La chaleur poisseuse sous-bois n’avait rien à envier à celle d’une étuve. Il s’était assoupi, lors de la halte de sa section et ses ronflements sonores avaient déclenché les rires de ses hommes.

L’ambiance redevint vite calme. Le jeune officier écrasa un taon posé sur son cou et se retournant, vit le caporal-chef Ifra Fall qui lui souriait et le caporal Marcel Diandy qui écouvillonnait son fusil lance-grenades. Le rêveur referma les yeux quelques secondes, en pensant que c’était un présage de son grand-père qui, s’affairant autour de ses canaris de couleur ocre, lui avait prédit une nuit que celui qui lui tendrait un piège n’était pas encore né. Il se réveilla pour de bon, en sachant que cette véritable prémonition serait son baptême de feu avant la fin de la journée.

*Extrait du magazine de l’Armée de Terre «Guelewar»







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