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Entre SidÉration ÉphÉmÈre Et Euphorie PassagÈre, Une Nation En QuÊte De SÉrÉnitÉ

Entre SidÉration ÉphÉmÈre Et Euphorie PassagÈre, Une Nation En QuÊte De SÉrÉnitÉ

« Tous, ensemble, taisons nos rancœurs et évitons la logique de l’affrontement qui mène au pire ». C’était le 8 mars 2021. Macky Sall, président de la République du Sénégal, lançait, dans un véritable discours sur l’état de la nation, un appel concis et incarné à préserver notre commun vouloir de vie commune cher à L. S Senghor.

Le Sénégal et notre doux chauvinisme étaient, alors sévèrement, bousculés, par une insurrection d’une rare intensité, qui éprouva notre célèbre unité nationale. Quel Sénégalais n’avait pas été pétrifié d’inquiétude, de déception, puis de tristesse, devant le décès de quatorze jeunes compatriotes ? Qui n’avait pas ressenti un certain malaise devant les scènes inhabituelles de violence, que le Sénégal, réputé havre de paix, de stabilité et de dialogue dans une Afrique subsaharienne fragile, offraient au monde ? Des observations savantes et abondantes avaient risqué une généalogie de quelques soubresauts nationaux parmi les plus marquants (1962, 1988, 1989, 1993, 1994, 2011, et 2021), sans épuiser les impensés de telles crises.

Pour confirmer la profondeur des malentendus et des frustrations qui couvaient, un manifeste d’universitaires, crème présumée de notre société, fut publié dès février 2021. Avec 102 signatures, ce texte ressemblait plus à une déclaration d’une manif d’étudiants. Il pouvait se lire comme une dissertation scolaire en trois parties, avec quelques digressions, sur un État de droit en faillite alléguée au Sénégal. On escompte tellement plus de rigueur d’un collectif d’intellectuels et d’enseignants que le dénigrement simpliste et militants des institutions ! Or, presque plus rien ne les distingue des autres corps présumés prédateurs de l’État toujours soucieux de privilèges exempts de contrepartie.

L’attention pouvait, également, se fixer sur une autre publication de Jeune Afrique. Il s’agissait d’une tribune signée par un collectif moins pléthorique et plus jeune « d’intellectuels, entrepreneurs ou responsables associatifs », plus loin, écrivains, universitaires, journalistes sénégalais (selon l’accroche de l’article). Ils étaient vingt et n’avaient pas dérogé au triptyque consacré de l’opportunisme intellectualisant : une petite intro, un commentaire, subjectif et orienté, intitulé « désarroi et défiance », et des lapalissades, pompeusement, titrées « cinq initiatives audacieuses ». Décidément, cette tiédeur était exaspérante ! Mais, vous aurez mauvaise grâce à sourire, car vous connaissez tous, sûrement, assez de faces de guimauves à lunettes, qui ont réussi à séduire et à intégrer de hautes sphères institutionnelles avec une souplesse absolument fascinante. Un observateur plus sage traiterait ceux-là avec prudence, car, dans la pérennité très probable du système houspillé, se dessine leur insertion ultime et ses pleins pouvoirs. La liste de leurs modèles depuis l’alternance de 2000, trop longue, porte la caution imparable de la volonté divine. Mais, heureux espoir newtonien, il y a aussi, dans le même groupe et dans nos élites réelles, des profils déterminés à vaincre cet habitus.

Faisons l’impasse sur la kyrielle de commentaires, de déclarations individuelles, de prises de positions, de sorties médiatiques, de leçons virtuelles, toujours à destination d’audiences de moins en moins attentives. Heureusement ! Pourquoi hâter un anéantissement mutuel, une disqualification éthique réciproque, qui se passerait d’adjuvants ? Un auteur britannique, Will Self, dans un entretien sur France Inter, disait ceci : « Internet est une cacophonie de voix prétendument subversives, qui s’annulent toutes les unes les autres pour devenir un zéro absolu ». Inutile, donc, de s’éterniser sur des postures, qui avaient pu vous donner l’impression d’être coupable d’homicide involontaire du seul fait de votre distance sur les événements.

Abstraction faite du glauque fait divers qui avait mis le feu aux poudres, la situation pouvait se lire, sans vouloir écarter d’autres complexités ; comme l’expression locale d’un désarroi mondial. C’est ainsi que je l’avais formulée lors de mon passage sur TV5 monde. La paupérisation endémique accentuée par la Covid-19, qui ne générait, en ce moment-là, que deuils, inquiétudes et incertitudes, touchait tous les peuples du monde, et le Sénégal n’est pas l’île bénie de concorde singulière de nos fantasmes. Nos défis sont encore nombreux dans les secteurs les plus essentiels (alimentation, habitat, santé, éducation, emploi, culture, mobilité etc.). On pouvait, au moins, reconnaitre cette évidence, sans céder à une surévaluation ou une négation totale des avancées accomplies.

Mais, le sommet de cette conjecture est la crainte d’atteindre l’émergence escomptée sans garantie certaine d’une ataraxie nationale. Et si l’exécution effective du Plan Sénégal Émergent n’arrivait pas à bout de nos multiples prostrations sociétales et autorisait des perspectives dystopiques ? Si les 1000 milliards de la riposte Covid, le TER, le stade Abdoulaye Wade, l’arène nationale, Dakar Arena, le BRT, le pont de Foundiougne, le port de Ndayane, les routes et les autoroutes, le pétrole et le gaz imminents, et les innombrables et spectaculaires autres réalisations du régime de Macky Sall n’ont pas encore réussi à dérider le peuple sénégalais, c’est qu’il faut, probablement, envisager d’autres émulations. Les événements de mars dernier ne sont pas à circonscrire, à mon avis, à un feu accidentel de paille, ce qui ne ferait qu’élargir l’espace, déjà vaste et ancien, de nombreux et diffus ressentiments.

Les euphories consécutives à la victoire finale des Lions à la CAN, les fiertés affichées à l’inauguration du TER et du stade Wade prouvent que nos aptitudes à l’émerveillement sont intactes. Viser le plus grand bonheur du plus grand nombre par un enchantement durable devrait être l’ambition la plus élevée d’une nation. Pour cela, il faudrait, d’abord, soigner les âmes, même si, l’énoncé, aux relents ésotériques, peut paraître, intellectuellement, audacieux et douteux. Mais, le sentiment d’injustice, accentué par les fake news et de leurs démultiplications par internet, les simplifications manichéennes, les injonctions partisanes des tribunes, les parades sans gêne des parvenus, les recherches de boucs émissaires et les narrations idéologiques, commande une révision des entendements et de notre patrimoine moral. Pour cela, il peut se tenter, d’une part, une généalogie sans fard des propriétés et des prospérités individuelles subites, un blâme de l’usurpation d’autorité et du trafic d’influence, un rejet de l’achat de conscience, de l’intimidation et de l’abus de pouvoir. D’autre part, peut-être, restaurer la culture de l’effort minutieux, qui semble avoir cédé le pas à de grossières pantomimes et de mises en scène égocentrées sur des mérites sans sueur. Toutefois, l’éducation, la science et la culture, souvent injustement déconsidérées en relique coloniale dont il faut chérir les atours prestigieux sans grand intérêt pour la substantifique moelle, demeurent des leviers toujours prometteurs. Leur promotion peut s’entendre comme une condition du dialogue que la nation sénégalaise devrait engager avec elle-même, loin des remaniements cosmétiques.

Latyr Diouf est membre de la Convergence des cadres républicains (CCR) en France.







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