L’ancien Premier ministre, Abdoul Mbaye, président du parti Action pour la citoyenneté et le travail (Act), préconise un boycott, par l’opposition, des élections législatives prévues le 31 juillet 2022. Devraiton rappeler que sous le régime de Léopold Sédar Senghor, comme sous Abdou Diouf ou Abdoulaye Wade, le boycott d’élections, par toute l’opposition ou une partie de celle-ci, n’avait jamais empêché la tenue des élections ? Et à chaque fois, la Cour suprême ou, par la suite le Conseil constitutionnel (quelles que furent leurs compositions), avait validé les scrutins. C’est dire que si d’aventure l’opposition suivait la préconisation de Abdoul Mbaye en décidant de boycotter les prochaines élections, le régime de Macky Sall ne manquerait point de les organiser. Mais il est évident que Abdoul Mbaye ne sera pas suivi dans son idée.
Il voudrait prendre prétexte de l’instauration du système de parrainage pour boycotter les élections. En effet, la loi électorale fixe le parrainage d’une liste de candidatures aux Législatives par un nombre d’électeurs représentant 0,5% au minimum et un maximum de 0,8% des citoyens inscrits sur le fichier électoral. Ainsi, il faudrait obtenir un minimum de 34 580 électeurs et un maximum de 55 327 pour pouvoir participer aux prochaines élections législatives. Tout porte à croire que Abdoul Mbaye et son parti, Act, ne pourraient réunir le nombre suffisant de parrainages. Et pour cause ! Lors des dernières élections législatives de 2017, la coalition Joyanti. Debout citoyens !, qu’il avait mise en place, n’avait pu obtenir qu’un maximum de 14 231 voix (presque le tiers du minimum de parrainages demandés pour les prochaines législatives !), sur l’ensemble des bureaux de vote du pays et de la diaspora, dont 1495 voix à Dakar.
Fortement déçu par ces résultats, Abdoul Mbaye avait adressé une lettre à ses compagnons, le 24 août 2017, pour expliquer ce mauvais score par la «pagaille dans la tenue des élections». En effet, quelque 47 listes avaient participé à ce scrutin, avec des fortunes bien diverses. Qui pourrait en vouloir au système de parrainage, nouvellement instauré en 2018, qui tend à constituer un filtre pour recaler les listes fantaisistes car, faudrait-il encore le rappeler, sur les 47 listes en compétition en 2017, seules 14 avaient pu obtenir au moins un siège de député ; d’ailleurs seules 5 listes parmi elles (Benno bokk yaakaar, Wallu Senegaal, Manko taxawu Senegaal, le Parti de l’unité et du rassemblement (Pur) et la Convergence patriotique Kaddu askan wi) avaient pu couvrir le quotient national de 55 147 voix. Tous les députés élus sur d’autres listes, l’ont été grâce au «plus fort reste». Sur ce tableau, l’Union citoyenne Bunt-bi avait fermé la marche avec 18 268 voix, qui lui avaient permis d’obtenir un siège de député.
La coalition Joyanti n’avait obtenu que le quart du quotient national ! Dire que Abdoul Mbaye s’était tellement investi personnellement dans cette campagne, jusqu’à emprunter des bus «Dakar dem dikk», des «cars rapides» et même distribuer des sandwichs et du «café Touba» dans les rues de Dakar et les marchés. On voit qu’il apparait spécieux de mettre en cause le système de parrainage. A travers les réseaux sociaux, Abdoul Mbaye fulmine de plus belle. Il indique en outre qu’en «demandant la précision de la commune d’inscription par fiche pour une élection ayant une base départementale, le régime de Macky Sall introduit une difficulté supplémentaire dans la collecte des parrainages pour les élections législatives». Cela peut faire sourire, pour ne pas dire plus. Franchement quelle difficulté y’aurait-il, pour une personne qui remplit une fiche, de préciser, sur la même fiche, la localité où les informations ont été collectées ? Il est puéril ou peut-être théâtral de chercher à se faire du mauvais sang pour cela. Tout semble être prétexte pour masquer des carences à réunir les parrainages demandés. Dans l’absolu, la collecte des parrainages obéit à une nécessité de mettre de l’ordre dans la pagaille déplorée par Abdoul Mbaye lui-même en 2017. D’ailleurs, l’homme abhorrerait la pagaille jusqu’à préconiser, sur la liste Joyanti en 2017, de classer les candidats sur la liste proportionnelle, au gré de leur apport financier pour contribuer au financement de la campagne électorale.
Mohamed Guèye, responsable du parti Act à Pikine Nord, avait rué dans les brancards, le 12 juin 2017, avec un groupe d’autres personnes investies, pour dénoncer devant les médias que «les occupants des 10 premières places ont tous casqué fort, avec des prix qui variaient entre 1,5 million et 2,5 millions de francs». Ces candidats frustrés avaient fini par claquer la porte de la coalition Joyanti. Filtre pour filtre, allez savoir ! Dans le concert des récriminations contre le système de parrainage, on ne peut pas ne pas remarquer la voix de l’avocat parisien, Me Abdoulaye Tine, qui avait saisi la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) contre le système de parrainage qui l’avait empêché de poser sa candidature à l’élection présidentielle de 2019. Cette Cour avait enjoint le Sénégal, dans une décision du 26 avril 2021, de réviser le système de parrainage citoyen en vue d’une meilleure adaptation. Le gouvernement du Sénégal avait réagi, estimant que la Cour avait outrepassé ses compétences et qu’en tout état de cause, il précisait qu’il n’appliquerait pas la décision en vertu du droit de souveraineté du Sénégal. On verra que lors des discussions sous l’égide du Dialogue national initié au lendemain de l’élection présidentielle de 2019, les acteurs politiques étaient restés divisés sur la question du parrainage, même si d’autres voix de l’opposition avaient pu se joindre à celle du pouvoir pour s’accorder «sur la nécessité de maintenir le système du parrainage sous certaines conditions».
Un consensus était ainsi impossible à trouver sur cette question. Me Abdoulaye Tine, qui semble ne se signaler sur la scène politique sénégalaise qu’en période électorale, vient pour sa part de lancer un «appel à la résistance» contre l’application du système de parrainage. Sous quelle forme cette résistance s’organiserait-elle ? Me Abdoulaye Tine ne le dit pas, mais on peut augurer qu’il ne songerait pas, le moins du monde, à préconiser au Sénégal ce qu’il ne saurait se permettre en France où il vit.
Quelle locomotive pour accrocher le wagon de Abdoul Mbaye
Abdoul Mbaye avait préconisé une troisième voie politique et voulait se démarquer de la classe politique traditionnelle. C’est ainsi qu’il avait pris ses distances avec les autres coalitions de l’opposition, comme Taxawu Senegaal dirigée par Khalifa Sall ou Wallu (Abdoulaye Wade). Seulement, il a pu mesurer ses limites et celles de sa démarche solitaire. C’est peut-être ce qui expliquerait que lors des dernières élections locales du 23 janvier 2022, l’Act s’était amarrée à la coalition Wallu, dirigée par le Parti démocratique Sénégalais (Pds). Sans doute que l’ancien Premier ministre de Macky Sall s’est durement fait violence, car on entend encore sonner, dans les oreilles, les diatribes féroces qu’il avait lancées à l’endroit du régime déchu de Abdoulaye Wade, lors de sa déclaration de politique générale, le 10 septembre 2012. C’est aussi de guerre lasse que Abdoul Mbaye avait rejoint la coalition du Pds, d’autant qu’il lui avait été impossible d’embarquer, lors des élections locales de janvier 2022, dans la coalition électorale constituée principalement par Pastef (Ousmane Sonko), Taxawu Senegaal (Khalifa Sall), Pur (Serigne Moustapha Sy) et le Grand parti (Malick Gakou). Tout le monde connait les problèmes crypto-personnels entre Abdoul Mbaye et Ousmane Sonko. La bonne volonté et l’entregent de Malick Gakou n’ont pu arriver à les mettre côte à côte autour d’une table, encore moins sur une même liste électorale. C’est ainsi que Abdoul Mbaye avait été à la base de l’initiative de la coalition Jotna, mais n’avait pas non plus réussi finalement à continuer à s’entendre avec Thierno Alassane Sall, entre autres.
De toute façon, il est évident que d’autres formations politiques ou coalitions réussiront à rassembler les parrainages nécessaires pour prendre part aux prochaines Législatives et n’entendront pas laisser la voie libre à Benno bokk yaakaar. Ainsi, Abdoul Mbaye sera alors bien obligé de chercher à accrocher son wagon à une locomotive électorale, à moins qu’il ne décide d’un boycott personnel et unilatéral. Au demeurant, s’il choisit de ne pas chercher à participer au scrutin, personne ne pourrait juger de ses forces ou faiblesses réelles. Mais s’il se ravise pour briguer les suffrages des électeurs, on pourrait augurer qu’il cherchera à s’allier de nouveau avec le Pds, mais il reste que de nombreux responsables du parti de Me Abdoulaye Wade gardent encore de l’amertume pour n’avoir pas pu oublier les durs propos de Abdoul Mbaye à leur encontre en 2012. Aussi, à l’évaluation du scrutin du 23 janvier 2022, certains au Pds se sont demandés ce que leur alliée, Act, a pu leur apporter en termes de suffrages. Le Pds fera-t-il montre, avec les élections législatives du 31 juillet 2022, de mansuétude pour offrir des places de député à Abdoul Mbaye et son parti ? Qui sait ? Abdoul Mbaye surprendrait son monde en rassemblant les parrainages requis.