Le Président déchu du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, est entre les mains des militaires putschistes depuis plus de trois mois. Les conditions de sa détention ou de sa prise en otage, pour être plus exact dans les termes pour qualifier la situation, ont été renforcées la semaine dernière «pour sa propre sécurité», dit la junte. Une délégation ministérielle de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a été à Ouagadougou du 15 au 17 mars 2022, conduite par la ministre des Affaires étrangères du Ghana, Mme Shirley Ayorkor Botchwey. La préoccupation avait plus été de connaître la durée que le Lieutenant-Colonel Damiba voudrait se donner à la tête de la Transition. Ce dernier s’est fixé un «mandat» de trois ans, en attendant sans doute de s’inspirer de ce qui se fait au Mali voisin. Il est à noter que le Conseil constitutionnel du Faso, qui a délibéré avec des chars d’assaut placés de part et d’autre de son entrée principale, a fini par affubler le chef putschiste du titre de Président du Faso.
A la fin de la visite, la cheffe de la délégation de la Cedeao a assuré que l’organisation sous-régionale, dont son pays assure la présidence en exercice, «n’abandonnera pas le Burkina Faso», un pays qui fait l’objet d’une suspension des instances communautaires. Interpellée par les médias sur le sort du Président déchu, elle indique que «sur autorisation du Président Damiba, nous avons pu le rencontrer et échanger avec lui. Il est bien portant et dans un bon état d’esprit». En d’autres termes, Roch tient le coup comme un roc. Tous ses amis vous diront que Roch Marc Christian Kaboré n’est pas du genre à chialer sur son sort ou à révéler des faiblesses. Il restera digne dans l’épreuve et va continuer de sourire et rester taquin, quelle que soit la dureté des conditions. Il s’était livré aux putschistes en échange de la vie de son épouse et de sa fille, que les hommes du Colonel Damiba menaçaient de passer par les armes. Ainsi, a-t-il aussi évité à ses «deux chéries», le déshonneur et l’humiliation dont avait été victime Mme Simone Gbagbo en Côte d’ivoire. En se rendant aux putschistes, contre l’avis de militaires loyalistes, Roch Marc Kaboré a évité un bain de sang. Depuis le 26 janvier 2022, il se trouve sous bonne garde dans une caserne militaire de Ouagadougou. Il est privé de téléphone et des restrictions lui sont désormais appliquées pour les visites de son épouse. Comme si on voudrait punir, pour on ne sait quel crime, l’ancien Président du Faso !
Roch était-il le mauvais camarade du syndicat des chefs d’Etat ?
La Cedeao laisse faire et son exigence, au tout début du putsch, de la libération «immédiate et sans condition» de Roch Marc Christian Kaboré, est vite apparue comme une rodomontade. On se rappelle que quand le Président Ibrahim Boubakar Keïta (IBK) avait été renversé en août 2020, la Cedeao avait fermement mis en garde les putschistes maliens qu’il ne serait toléré aucune exaction contre IBK ou sa famille. D’ailleurs, IBK avait été assigné à résidence dans son propre domicile de Bamako jusqu’à son évacuation sanitaire aux Emirats arabes unis, sous la surveillance stricte et diligente de la Cedeao. La même préoccupation a été exprimée quant au traitement réservé au Président guinéen, Alpha Condé, renversé le 5 septembre 2021 par le Colonel Doumbouya. Sur insistance de la Cedeao, les militaires avaient été obligés d’assigner Alpha Condé à résidence surveillée au domicile de son ancienne épouse (c’était sans doute une autre forme d’emprisonnement pour lui), jusqu’à son évacuation pour raison médicale à Abu Dhabi, le 17 janvier 2022. Le sort de Roch Marc Christian Kaboré ne semble intéresser grand monde, surtout pas ses pairs chefs d’Etat. Il n’avait peut-être pas d’affinités particulières avec certains d’entre eux, comme IBK pouvait en avoir avec Alpha Condé (Guinée), Nana Akuffo Addo (Ghana), Mouhamadou Issoufou (Niger) et Alassane Dramane Ouattara (Côte d’Ivoire). Roch Marc Christian Kaboré paie-t-il pour n’avoir pas accepté de donner suite à des interventions intempestives de certains chefs d’Etat pour empêcher les procédures judiciaires contre l’ancien Président Blaise Compaoré, protégé par la Côte d’Ivoire depuis qu’il avait été chassé du pouvoir par une insurrection populaire en 2014 ? On sait aussi que le Président Kaboré n’avait quelques similitudes de vue sur bien des questions sous-régionales, qu’avec le président Macky Sall du Sénégal. L’exemple le plus illustratif a été le Sommet de la Cedeao, par vidéoconférence, sur le Mali, tenu le 21 août 2020, qui évoquait l’attitude de la Cedeao vis-à-vis du premier putsch du groupe du Colonel Assimi Goïta. D’ailleurs à ce sujet, dans une chronique intitulée «Macky Sall a sauvé la tête du régime de Assimi Goïta», nous écrivions ces lignes : «Le Président Macky Sall, prenant certainement en compte les intérêts économiques et stratégiques du Sénégal, avait tenu tête devant la volonté de ses pairs, Alassane Dramane Ouattara, Mahamadou Issoufou et Alpha Condé, qui après avoir prôné une intervention militaire immédiate, refusée par le Sénégal et le Burkina Faso, demandaient d’asphyxier le Mali pour contraindre les militaires à rendre le pouvoir. D’ailleurs, les militaires maliens s’étaient montrés très reconnaissants à l’endroit du Sénégal et du Président Sall, qui avait ainsi sauvé leur tête. En jouant la carte de donner foi à leur engagement, Macky Sall et Roch Marc Christian Kaboré du Burkina Faso croyaient en la promesse des militaires de faire long feu au pouvoir.» Le Président Kaboré était quelque peu «désobéissant» à l’égard de ses «aînés», notamment sur le débat relatif à la controversée problématique du troisième mandat présidentiel en Guinée et en Côte d’Ivoire. Roch Marc Christian Kaboré avait poussé la logique jusqu’à préconiser d’inscrire dans la Charte de la Cedeao, l’interdiction de briguer un troisième mandat dans l’espace communautaire. On peut aussi dire que le Burkina Faso de Roch Marc Christian Kaboré n’entretenait pas le grand amour avec la France. Les autorités françaises ont eu bien des occasions de s’offusquer de l’attitude rétive ou de méfiance ou même de défiance de la part de membres du gouvernement burkinabé.
Quand la légitimité électorale et populaire ne sert plus à rien en Afrique de l’Ouest
Qui pourrait se prévaloir d’une légitimité plus affirmée à la tête de son pays que Roch Marc Christian Kaboré ? Il avait été élu pour la première fois le 29 novembre 2015, au premier tour de scrutin avec un taux de 53,49% pour un premier mandat de cinq ans. Une élection saluée pour sa régularité et sa transparence et qui était donnée en exemple à travers le monde. Rebelote ! Le 22 novembre 2020, Roch Marc Christian Kaboré est réélu, toujours au premier tour de scrutin, avec un score de 57,87% des voix. A cette dernière élection, Eddie Komboïgo, le candidat du Cdp, le parti de l’ancien Président Compaoré, était arrivé deuxième avec 15,54% des voix, tandis que l’opposant historique Zéphyrin Diabré de l’Upc occupait la troisième place avec 12,46% des voix. Encore une fois, l’élection a été transparente et les candidats défaits avaient reconnu la victoire du Président sortant. Zéphyrin Diabré avait même accepté de répondre à la main tendue du nouveau vainqueur, qui prônait l’unité nationale afin de répondre aux défis sécuritaires et économiques auxquels le Burkina Faso reste confronté. Zéphyrin Diabré a été nommé ministre d’Etat auprès du Président du Faso, en charge de la Réconciliation nationale et de la cohésion sociale. Malheureusement, des militaires qui ont fini par révéler qu’ils avaient été inspirés par les caciques du régime de Blaise Compaoré, se sont emparés du pouvoir. Les bidasses dirigés par le Lieutenant Damiba n’avaient pas besoin d’aller trop loin pour justifier leur coup. Ils ont copié la rhétorique et la façon de faire des militaires maliens. Ainsi, le prétexte tout trouvé est l’insécurité dans une partie du pays, en proie à des exactions de bandes d’islamistes armés. Dire que pour le même alibi, le Colonel Zoungrana avait lui aussi cherché à renverser le Président Kaboré, quelques semaines plus tôt. Seulement, on constate que les bandes armées continuent, de plus belle, de dicter leur loi aux Forces de sécurité et de défense du Burkina Faso. En effet, depuis que son coup est consommé, le Colonel Damiba n’a pas encore trouvé urgent et nécessaire d’engager un front pour délivrer son pays des islamistes qui tuent des populations civiles et des gendarmes. Rien que la semaine dernière, une attaque de djihadistes a fait 36 morts dont 23 civils et 13 gendarmes dans la région de Dori, dans le Nord-Est du pays. Dans cette même zone géographique, les localités de Inata, Djibo et Titao sont tombées entre les mains des islamistes depuis un mois. Le bilan des nouvelles pertes dans la région, dépasse la centaine de tués. Ironie du sort, le Général Aimé Barthélemy Simporé, qui était ministre de la Défense du dernier gouvernement du Président Kaboré, garde son portefeuille sous la junte. De même que le Colonel Omar Bationo, Secrétaire général de la Défense nationale, qui est nommé ministre de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité. Allez savoir comment on peut corriger les carences sécuritaires de Roch Marc Christian Kaboré en demandant à ses mêmes ministres de rester en poste. Tous les deux ont même pris du galon ! La leçon de l’histoire est qu’il ne suffit plus d’être légitimement et démocratiquement élu pour pouvoir rester à la tête d’un Etat, et que n’importe quel militaire détenteur d’armes létales peut imposer sa loi et s’installer comme chef d’Etat. Qui ne se rappelle pas qu’à la veille de son installation, le 2 avril 2021, le Président nigérien, Mohamed Bazoum, avait failli être emporté par une tentative de coup d’Etat militaire ?
L’histoire rattrape ceux qui fêtaient les putschistes
Trois mois après le putsch du Colonel Damiba, c’est le temps des regrets pour de nombreuses élites politiques et intellectuelles au Burkina Faso. Pourtant, ils se montraient enthousiastes, de nombreux Burkinabè, à l’idée de voir les militaires prendre le pouvoir et promettre de chasser illico presto les islamistes. Ces militaires ne semblent pas avoir la main plus heureuse que leurs camarades maliens. La situation empire. Le Burkina Faso s’enfonce dans le marasme sécuritaire et économique. La classe politique malienne et la Société civile reviennent de leurs désillusions quant aux promesses et professions de foi de Asssimi Goïta. En Guinée, Cellou Dalein Diallo dit, à haute et intelligible voix, toute sa déception causée par les putschistes du Colonel Doumbouya. On ne va pas remuer le couteau dans la plaie pour rappeler que nous avions pourtant prévenu ! Il reste que la Société civile africaine et les démocrates de tous horizons devraient se préoccuper du sort de Roch Marc Kaboré, ne serait-ce que pour se donner bonne conscience ! La Cedeao, qui doit avoir déjà réalisé que les militaires burkinabè la tournent en bourrique, devrait vaincre sa frilosité.