Ce pays est à pleurer.
On n’y parle que politique. Politicailleries politiciennes de préférence. Ce n’est pas nouveau, certes, vitrine de la démocratie en Afrique, nous a-t-on estampillés, depuis le milieu des années 1980 et même avant. Et nous l’avions mérité, dans une Afrique alors sous la coupe réglée d’autocrates et de dictateurs ubuesques. Régnant sur des nations à partis uniques, presse monolithique et prisons débordant d’opposants, s’ils n’avaient pas été pendus ou fusillés.
Pendant ce temps, au Sénégal, le multipartisme intégral faisait concert avec une presse indépendante foisonnante, et une liberté syndicale réelle. Comme un chœur soutenant cette orchestration, un foisonnement culturel et intellectuel conséquent. Une animation sociale et religieuse conviviale.
Et puis, cerise sur le gâteau, une cohabitation intelligente entre tous ces secteurs, jouissant tous à fond de leur liberté à exercer leurs activités, sans entrave aucune. Le tout tenu ensemble par une seule chose. La Ré-pub-li-que
On imagine bien que les débats et controverses, autorisés, que dis-je, encouragés par le système consensuel, furent denses. Jamais, ils n’ont viré au caniveau, ainsi que malheureusement on le voit aujourd’hui. Cela nous valut une perception par les autres fort flatteuse. Les Sénégalais sont intelligents entendait-on, ici et là, en Afrique et ailleurs. J’imagine que de tenir un tel échaffaudage parraissait un exploit dans les têtes bourrées de préjugés des Occidentaux. Et aux yeux d’Africains tenus en laisse alors par les dictatures évoqués tantôt, c’était proprement incroyable. Il devait y avoir un truc ! Quelques sceptiques indécrotables étaient d’ailleurs en attente d’un effondrement de tout ça, un jour ou l’autre. Un édiorialiste d’un pays voisin avait même, suite aux remous des années 1987,88 et 89, avec pour apothéose ce que nous avons ici appelé avec pudeur, les événements Sénégal-Mauritanie, prédit la fin imminente du système.
Il n’en fut rien. Année blanche universitaire, État d’urgence, emprisonnement de l’opposant le plus célèbre d’Afrique, j’ai nommé Abdoulaye Wade, rien n’a pu ébranler la sérénité des Sénégalais au point de remettre en cause le système et les piliers sur lesquels il reposait. Les institutions ! En conservant son dynamisme et ses imperfections, certes, le même système a conduit, avec intelligence et sérénité, à une alternance à laquelle les impatients avaient commencé à ne plus croire.
Puis, nous avons progressivement changés pour avoir le débat public que nous avons aujourd’hui : insultant, invectivant, menaçant, clivant, intolérant, inquisiteur. Et je laisse les auditeurs juger eux-mêmes, si ce pays peut aujourd’hui espérer être qualifié d’intelligent. Pendant que des pans entiers de ce que j’hésite à qualifier d’élite, sont en train de scier la branche sur laquelle nous sommes assis : La Ré-pub-lique laïque et démocratique.
Et c’est pourquoi mon cœur pleure. Très réticent à se mêler d’une pareille castagne granguignolesque.
Or, se taire est une torture…