Décembre 1982, au jour de Noël, Ziguinchor, capitale de la région de Casamance de l’époque, s’est réveillée avec une gueule de bois. Des individus instrumentalisés par Abbé Augustin Diamacoune Senghor avaient mis la ville sens dessus-dessous pour une cause indépendantiste mal fondée. Le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc), dont ils ont usurpé le nom, était l’œuvre d’hommes politiques au discours et à la méthode bien structurés, une attitude totalement différente des actions d’éclat mal inspirées que mènent depuis lors les animateurs du mouvement.
En effet, les émeutiers de 1982 ont péché dans l’énoncé de leur motif axé sur les disparités économiques et des abus de pouvoirs dont seraient coupables les agents de l’administration affectés dans la région. Un alibi d’autant plus simpliste que bien d’autres terroirs, notamment le Sénégal-Oriental et la région naturelle du Fouta, ont enduré le poids des disparités dans des proportions plus pénibles. La seule différence étant le caractère discontinu de la géographie du Sénégal dans sa partie Sud, un fait colonial issu du tracé des frontières de la Gambie.
Théories délirantes de Diamacoune…
Au lendemain des émeutes, les responsables politiques de la Casamance ont organisé un grand rassemblement à la place de Gao, pour tempérer les révoltés et recoller les morceaux d’une cassure dont ils redoutaient l’exacerbation. Hélas ! Ils ont eu beau haranguer la foule et organiser des entrevues secrètes le mal a persisté. Dans la tête des révoltés, l’idée d’une indépendance de la Casamance s’était amplifiée avec les théories délirantes de l’Abbé Diamacoune qui dispensait des leçons d’histoire, en éludant toutes les vérités susceptibles de démotiver ses ouailles. D’où la radicalisation d’un groupe de meneurs sous le commandement de Sidy Badji et Léopold Sagna qui s’étaient déjà illustrés par leurs états de service dans l’armée. Ainsi est née la branche armée du Mfdc avec des éléments qui se sont implantés successivement dans le Banjal (arrondissement de Nyassia), le Balantacounda (arrondissement de Niaguiss), le Fogny (département de Bignona) et dans le parc national de Basse-Casamance (département d’Oussouye) notamment à Youtou, Djirack, Boukoutingo…
Les affrontements avec les forces de défense et de sécurité avaient atteint leur point culminant pendant les années 90 ; il est malsain d’en établir le bilan car la plaie est toujours béante malgré les multiples séances de médiations et négociations. Les accords préliminaires de Toubacouta en mars 1992 et les protocoles de Bissau, Cacheu, Banjul et Foundiougne démontrent à suffisance que l’Etat a fait montre de souplesse et d’une bonne disponibilité pour que la paix et la concorde règnent en Casamance comme partout ailleurs au Sénégal. Il s’y ajoute que, sur le plan économique, la Casamance est positionnée au titre des programmes spéciaux pour des investissements de taille se chiffrant à des centaines de milliards de francs au cours des quarante dernières années, afin d’impulser une dynamique de développement avec bien entendu l’engagement soutenu des populations. Les réalisations en cours participent d’un certain nombre de recommandations qui figuraient, en 1993, dans le plan d’action de l’honorable Marcel Basséne (Paix à son âme) alors chargé de la Mission de pacification. Evidemment, l’on nous objectera que le staccato des armes est loin d’être estompé et les populations en accusent les dommages collatéraux au point d’aller se réfugier encore en territoire gambien.
L’assassinat de Léopold Sagna pour la gloire de Salif Sadio
Pour une bonne compréhension des choses, il sied de rappeler que les maquisards, autoproclamés branche armée du Mfdc, ont perdu la raison depuis février 1994 du fait d’une conspiration qui a bouleversé leur commandement. Sidy Badji en était le chef incontesté, solidement épaulé par Léopold Sagna dont l’expérience, acquise au bataillon des commandos de l’Armée nationale, constituait naturellement un atout dans le déroulement des opérations. La place et le rôle qui lui étaient dévolus ont vexé Salif Sadio qui a toujours aspiré à disposer d’une faction autonome pour n’en faire qu’à sa tête. Son heure de gloire a sonné le jour où, avec l’autorisation de Diamacoune, Léopold s’est fait conduire à Dakar pour une entrevue avec l’État-major particulier du Président Abdou Diouf. Cette mission facilitée par Moussa Diouf promoteur touristique à Jiromaït, a sonné le glas de Léopold ; dès son retour dans le maquis il été mis aux arrêts et plongé dans une fosse sur ordre de Salif Sadio qui lui a infligé un traitement cruel, sans aucune chance de survie. L’hebdomadaire « Le Témoin » d’alors avait prévenu du péril que Salif Sadio provoquerait en prenant le commandement du maquis. Après Léopold, il a éliminé tous les autres chefs de faction qui n’approuvaient pas ses méthodes. Dès lors que l’Etat est défié voire acculé, malgré toutes les concessions faites pour tendre la perche à Salif Sadio et les scélérats de son acabit, il ne saurait être question de cautionner des manœuvres tendant à divertir les forces de défense et sécurité. Les opérations en cours doivent se traduire, pour de bon, par la libération de la moindre portion du territoire avec des moyens continuellement consolidés pour assurer la sûreté nationale et la sécurité des personnes et des biens.
Mbagnick Diop
Ancien journaliste du« Témoin » à la retraite
Spécialiste de la Casamance