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Gestion De L’eau Et SouverainetÉ Alimentaire

Gestion De L’eau Et SouverainetÉ Alimentaire

Le Forum Mondial de l’Eau se tient cette fois ci au Sénégal du 21 au 26 mars courant. Cet évènement est le plus grand rassemblement des différents acteurs du secteur de l’eau dans le monde. L’évènement est d’importance, et il convient par conséquent de saluer les initiateurs qui ont décidé de tenir cette rencontre, pour une première, en Afrique subsaharienne. Le discours d’ouverture du Président du Conseil Mondial de l’Eau, M. Loïc Fauchon, nous a paru désabusé voire empreint de lassitude. Les prévisions sont inquiétantes en effet.

Selon le World Resources Institute (Institut des ressources mondiales, spécialisé dans les questions environnementales), 14 mégalopoles du monde sur 20 font face à une pénurie d’eau ou sont en situation de sécheresse.

 En outre, en 2030, près de 40% de la population mondiale vivra dans une zone de stress hydrique élevé (situation où la demande en eau est supérieure à l’offre). La thématique de ce sommet se rapporte à 4 préoccupations majeures, à savoir la sécurisation de la ressource en eau, le droit à l’eau, la mobilisation des ressources financières pour la mise à disposition des usagers du liquide précieux, et la diplomatie indispensable à l’extinction des conflits autour des bassins, liés à la rareté de la ressource.

En Afrique subsaharienne, 40 % de la population n’a pas accès à l’eau potable. C’est une situation de crise dans la mesure où l’accès à l’eau et à l’assainissement a été reconnu comme un droit humain en 2010 par l’ONU. Le défaut d’infrastructures est le véritable problème de l’accès à l’eau, car ceux qui détiennent les ressources financières escomptent en retour, outre le remboursement, la valorisation de leurs financements sous forme d’intérêts à recevoir. En revanche, ceux qui ont la charge de fournir l’eau à leurs populations, à savoir les Etats, sont contraints de s’adresser aux bailleurs et autres marchés financiers par voie d’emprunt, quitte à accepter les modes de gestion (Partenariat Public Privé) donnant tout apaisement au prêteur de deniers quant à l’efficacité de la gestion commerciale et la sécurisation du remboursement.

Les investissements hydrauliques sont onéreux

L’accès à l’eau étant un droit humain, les Etats ne peuvent facturer la ressource aux populations à son prix réel ; ils sont par conséquent contraints d’accorder des subventions d’équilibre permettant aux gestionnaires de couvrir les charges d’exploitation et les remboursements de prêts. Subventionner le prix de l’eau, et payer la dette lorsque les revenus de l’eau n’en permettent pas la couverture, voilà les charges herculéennes pesant sur les épaules des Etats africains, déjà lourdement chargés des contraintes de la gestion de leurs budgets nationaux en déficit structurel. Le président du Conseil mondial de l’eau, Loïc Fauchon, a appelé dans son discours à l’annulation de la dette de l’eau pour les États et collectivités les plus pauvres, à la mise en place d’un Fonds bleu international émanant des financements du climat, au couplage de financements non conventionnels en eau et en énergie afin de sécuriser l’accès universel à l’eau, et enfin au recours à des financements hybrides. Ces perspectives traduisent à notre sens la vanité de tous les schémas de financement proposés depuis une vingtaine d’années dans le cadre de l’atteinte des objectifs du millénaire des Nations Unies, notamment les recours aux marchés bancaires et financiers, les financements innovants de toutes sortes proposés ici et là, en particulier dans le Rapport Camdessus.

Qu’en est-il pour le Sénégal ?

D’avis d’experts, le potentiel hydraulique du pays couvre largement les besoins de la population. En effet, seuls trois pour cent (3 %) des eaux de surface et environ de 30 % des eaux souterraines seraient utilisés pour l’eau d’alimentation humaine (hydraulique urbaine et rurale) et l’agriculture. Les ressources souterraines et superficielles sont fragiles parce qu’agressées principalement par le sel dans les zones côtières, et accessoirement par le fluor, le fer, les nitrates, les pesticides non maîtrisés (zone des Niayes).

En réalité, le seul sous-secteur bénéficiant de financements substantiels est l’eau potable urbaine. La raison en est que son exploitation génère des revenus aptes à faire face au remboursement des concours financiers ayant permis l’érection du patrimoine, lequel est constitué d’infrastructures de matériels de production, de transport et de distribution de l’eau aux usagers. Les autres secteurs, y compris l’assainissement urbain permettant de préserver la qualité de la ressource, manquent cruellement de moyens financiers (ONAS). Pour ce qui concerne l’agriculture, les infrastructures hydro agricoles pour la maîtrise de l’eau sont les plus indispensables mais les moyens financiers y relatifs sont les plus difficiles à mobiliser auprès des partenaires financiers internationaux. C’est la raison pour laquelle l’après-barrage est davantage incarnée aujourd’hui par la fourniture de l’électricité que par le développement agricole des Etats. Au-delà de la question financière, le secteur de l’eau souffre d’un problème organisationnel du fait de l’éclatement des centres de gestion et de décision.

Le cadre juridique de l’eau est très complexe au Sénégal

La gestion des ressources en eau est régie par un certain nombre de textes législatifs et réglementaires, à savoir le Code du Domaine de l’État, qui traite du statut juridique des ressources en eau, le Code de l’eau, qui détermine les régimes d’utilisation des eaux et organise leur préservation et leur protection, le Code de l’assainissement, le Code de l’environnement, le Code de l’hygiène et les règlements divers. Les acteurs sont nombreux et relèvent de départements ministériels différents. La Direction de la Gestion et de la Planification des Ressources en Eau (DGPRE), relevant du ministère en charge de l’Hydraulique, est la principale structure en charge la gestion des ressources en eau de surface et eaux souterraines du Sénégal.

Sa mission fondamentale est d’assurer une gestion intégrée des ressources en eau du pays. Elle est chargée d’élaborer des études générales relatives aux ressources hydrauliques et le plan directeur d’utilisation des ressources en eau, de l’inventaire, de la planification et de la gestion des ressources en eau. Les prélèvements d’eau et rejets sont soumis à réglementation, et doivent donc donner lieu à paiement de redevances de la part des usagers pour les prélèvements sur la ressource et les rejets des industries riveraines. Faute de moyen cette direction parvient difficilement, hélas, à assurer une police de l’eau permettant de gérer la ressource, en particulier d’assurer sa protection.

Les redevances de rejets souffrent d’un déficit de recouvrement auprès des pollueurs, et il n’y a pas d’application de mesures coercitives. L’obligation de traiter les rejets polluants n’est pas respectée par les pollueurs ; la plupart des rejets sont effectués dans les milieux naturels sans autorisation ni retraitement préalable. Le Conseil Supérieur de l’Eau (CSE) décide des grandes orientations d’aménagement et de gestion des ressources en eau du Sénégal ; il arbitre les différends nés des utilisations diverses de l’eau (alimentation en eau potable des populations urbaines, rurales, l’élevage, l’agriculture, la pisciculture, la sylviculture, les industries, les mines, l’énergie hydro-électrique et même la navigation).

Le Comité Technique de l’Eau (CTE) étudie toute question relative à la gestion de l’eau pour le compte et à la demande du CSE. Les Collectivités locales sont en charge de la gestion des ressources naturelles et de l’environnement par le code des collectivités locales depuis la réforme de 1996. Les Administrations autonomes comme la SAED et la SODAGRI gèrent l’eau pour les besoins agricoles de leurs localités d’intervention.

La SONES, l’ONAS, la SEN’EAU gèrent l’eau urbaine et l’Office du Lac de Guiers gère le Lac de Guiers. En conséquence, c’est toute l’architecture organisationnelle de l’eau qu’il faut revoir pour davantage de centralisation, ainsi que le choix des investissements, en particulier agricoles de sorte à s’inspirer de l’expérience de pays exposés au stress hydrique comme le Maroc, exportateur net de fruits et légumes en Afrique. En conclusion, les ressources en eau tant superficielles que souterraines sont présentes en quantité dans notre pays. Toutefois, l’insuffisance des ressources financières pour leur protection face aux agressions chimiques, anthropiques, et la construction d’infrastructures idoines, en limitent l’exploitation. Dans un contexte où la dépendance alimentaire vis-à-vis de pays tiers nous contraint à assurer notre souveraineté alimentaire, une vigoureuse politique de l’eau doit être réamorcée.

L’ouverture à outrance au commerce international dans ce domaine a montré ses limites. La crise alimentaire de 2008 et celle en cours en Ukraine nous imposent la souveraineté alimentaire. La rareté des ressources financières doit nous conduire à privilégier de nouveaux modèles de promotion de notre agriculture, comprenant la mise en place de divers modes de protection. Il faut rompre d’avec les logiques marchandes détachant la gestion de l’assainissement de celle de l’eau. Les collectivités territoriales, du fait de leur proximité, doivent être renforcées dans leurs prérogatives de protection de la ressource en zone urbaine, péri urbaine et rurale.

Pour l’alimentation en eau potable, le système PPP a fait son temps. Le partage des revenus de l’eau entre l’exploitant et l’Etat est source de dispersion de revenus ; il ne permet pas le renouvellement en temps utile des infrastructures pour accompagner le croît démographique sans à-coups. Il faudra par conséquent bâtir de nouvelles stratégies en matière de gestion de l’eau pour ne pas être surpris en 2050 (dans 30 ans), date à laquelle la population africaine est prévue pour atteindre 2 milliards d’individus à nourrir mais aussi à alimenter en eau.

Abdoul Aly Kane







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