L’étranger qui débarque pour la première fois à Dakar peut se surprendre à se poser cette question : « comment font-ils ces gens-là pour vivre à longueur d’année dans cette atmosphère infernale de bruits en tous genres qui ne semble malheureusement gêner personne ? »
A vrai dire, ce qui se passe dans notre société en termes de nuisances sonores devrait interpeller tout le monde. On dérange les gens ! On les perturbe dans leur quiétude ! On élève le niveau de leur stress. Et personne ne bouge pour dire halte à ces « activités » qui mettent gravement en danger la santé morale, physique et psychologique des populations.
Vous vous rappelez ce film d’André Cayatte où un ouvrier, à force d’être soumis à un bruit infernal, avait fini par craquer ? Tout cela pour redire encore une fois que Le bruit et le tapage sonore peuvent rendre fou. Cette scène hallucinante dans le film en dit long sur les ravages du bruit : cet ouvrier écrasé par les cadences infernales du travail à la chaîne, et privé de sommeil par les cris de son bébé, balance ce dernier par la fenêtre du huitième étage de son immeuble. C’est dire !
Et nous qui subissons tous les jours ces agressions sonores avec « thiants », « dahira » et autres muezzins rivalisant à qui mieux mieux dans la pollution sonore ! Cette omniprésence de la pollution sonore dans les quartiers populaires et autres villes de l’intérieur est révélatrice du désordre et de l’indiscipline qui règnent en maîtres dans notre société. Hélas !!!
Un groupement humain qui se veut porteur de progrès social, économique et culturel ne peut s’offrir le luxe de vivre en permanence avec le bruit d’autant plus qu’aujourd’hui il est démontré que le bruit tue.
Mais paradoxe, dans ce pays de croyants qu’est le Sénégal, on n’est pas trop regardant sur les torts qu’on porte aux autres surtout si ces torts sont causés sous la bannière de la … Religion. C’est malheureux mais beaucoup ont une compréhension biaisée de la religion. Ils pensent qu’ils sont dans leur bon droit et ne se rendent même pas compte du tort immense qu’ils causent à leurs prochains.
Et le comble avec ces chants, danses à connotation religieuse et autres « zikroulah » (le fait de psalmodier certains noms de Dieu), c’est qu’on utilise des hauts parleurs puissants qui exposent les oreilles à de hauts niveaux sonores.
Ces agissements auxquels personne ne semble accorder attention de peur d’être traités de mécréants, font souffrir terriblement certaines couches de la population. N’ayant aucun recours, elles prennent leur mal en patience tout en sachant les gros risques encourus au plan sanitaire !
Des recherches poussées sur la problématique révèlent que le bruit peut être responsable de maladies cardio-vasculaires, de problèmes de santé mentale grave et autres affections invalidantes. Ecoutons ce qu’en dit une voix autorisée, le professeur Gerald Fleischer de l’université de Giessen en Allemagne: « Un niveau sonore moyen ou élevé provoque à la longue stress, fatigue et irritabilité. ” “ Le bruit ne fait pas que priver l’individu de la joie de vivre ; il peut l’épuiser physiquement et affectivement ”, Selon le professeur Makis Tsapogas, quand il s’ajoute à d’autres facteurs de stress, le bruit peut engendrer dépression et maladies organiques.
Comme on le voit, le bruit est source de problèmes graves au niveau sociétal. Interpellant la société dans son ensemble, il m’a paru intéressant de recueillir l’avis d’un spécialiste attitré sur la question qui nous occupe.
Pour Oustaz Taïb Socé, l’Islam est contre toute pratique pouvant indisposer le voisin : « Dieu n’a jamais dit de nuire à ses voisins pour dispenser Sa parole. Dans tout le Coran, vous ne verrez jamais un verset incitant au tapage. C’est contraire aux enseignements du Coran et du Prophète Mouhamad Psl. Vous savez, il y a des relations dans lesquelles Dieu n’intervient pas. Par exemple les torts causés au voisinage. L’Islam accorde une attention particulière au respect du bon voisinage. On ne doit sous aucun prétexte, importuner, ni priver de son sommeil ou de repos son voisin »
Qui respecte ces belles prescriptions dans ce pays ? Personne ! Dans ces conditions, faut-il continuer sous prétexte de considérations religieuses qui n’en sont pas à fonctionner sur un registre en porte-à- faux avec les exigences du monde moderne. La question est posée !
Au fait, des dispositions réglementaires existent dans le corpus de nos lois pour interdire de porter atteinte par des faits et gestes à la quiétude et à la tranquillité de ses voisins. Mais comme toujours, ces conventions sont loin d’être respectées.
Je crois savoir que nous devons revoir de fond en comble certains modes de fonctionnement de notre société en total déphasage avec les impératifs de développement.
Figurez-vous que dans un pays en voie de développement, de surcroit pauvre et endetté comme le nôtre, des centaines de milliers de jeunes, voire plus, faute d’activités saines pour les occuper utilement, décident de mettre leur vie au garage avec comme seule « activité » la déclamation des noms de Dieu, accompagnés…de chants et danses aux mobiles religieux. Et cela pendant des heures !
Faites le tour de nos quartiers populaires certains jours de la semaine, vous aurez un pincement au cœur avec cette jeunesse livrée à elle-même, dansant et chantant au nom de Dieu, le tout dans un tapage difficilement acceptable en ce 21ème siècle. Et le plus dramatique dans tout cela, c’est beaucoup parmi ces jeunes qui célèbrent Dieu à leur manière sont sous l’emprise de la drogue.
Suivons ce reportage réalisé par un magazine de la place au sein même de l’Université de Dakar : « En principe, c’est ici que la loi devait être le plus respectée pour bien des raisons, explique un étudiant. Mais c’est le « bordel » (sic) total. Nous sommes dérangés à toute heure et chaque jour que Dieu fait par des camarades au nom de la liberté de culte. Il n’y a pas un seul endroit de l’université qui n’abrite pas aujourd’hui des Dahira, Thiant ou Khadra. On ne peut même pas se reposer ou lire dans les chambres ». Y a problème ! Problèmes sérieux !
Faut-il laisser cette situation anachronique perdurer ? Je crois que non ! L’Etat central et les mairies plus particulièrement doivent prendre leurs responsabilités pleinement. Dans aucun pays sérieux cheminant allègrement vers l’émergence, on ne voit ces pratiques d’un autre âge. Dans certains pays, le maire est le principal acteur de la qualité de l’environnement sonore local.
C’est vrai que les cérémonies religieuses ne sont pas mauvaises en soi. Seulement, elles doivent être strictement encadrées. Qu’est-ce qui empêcherait nos mairies de construire des salles de spectacles qui pourraient abriter ce genre de manifestations ? Ces infrastructures socio-culturelles pourraient viser deux objectifs : procurer à la mairie des rentrées d’argent tout en permettant aux populations en général de vivre dans un espace social moins bruyant.
Dans une salle fermée avec portes et fenêtres insonorisées, chaque groupe, suivant ses préoccupations, pourrait mener ses activités sans pour autant déranger le voisinage.
Le monde bouge ! Nos pays doivent se mettre à l’heure du progrès en rompant définitivement avec certaines mœurs qui heurtent la morale, le bon sens…bref toutes les valeurs de civilités.
Tout compte fait, les sociétés qui font trop de bruit dans ce monde de compétition féroce risquent de rater le train du progrès. Les grandes idées, les grandes œuvres qui ont bouleversé sensiblement la marche du monde n’ont pu être produites que dans le …silence.
Qu’on ne se trompe pas : cette petite « révolution » à laquelle j’appelle de tous mes vœux exige et exigera beaucoup de courage et de détermination au motif que changer fondamentalement la réalité des choses n’est pas aisé. Mais comme dit l’autre : le chemin est difficile voire très complexe mais ne renonçons pas : il y va de l’équilibre moral et mental de la société dans son ensemble !
Pour dire vrai, notre société doit revenir aux fondamentaux sans lesquels il n’y a aucune possibilité de développement. Et ces fondamentaux sont le savoir-vivre et les civilités.
Au demeurant, une société a besoin d’un minium d’organisation pour pouvoir prospérer. Une société qui se veut pérenne ne peut être à la merci de pratiques indignes de notre époque.