Dans sa parution du 02 juin 2019, l’hebdomadaire Jeune Afrique a titré à propos de la BNP (Banque nationale de Pars) – Paribas : « La banque française s’apprête à céder ses filiales africaines au Gabon, en Tunisie, au Mali, au Burkina Faso et en Guinée. En cause, les tensions avec les partenaires locaux et le faible dynamisme de ces marchés ». Une décision qui serait prise à l’issue d’une réflexion stratégique. La BNP est la société mère des BICI africaines dans lesquelles elle veut céder ses participations, mettant fin à une aventure qui date de 1962 pour ce qui concerne la BICIS, sa filiale du Sénégal. Dans sa livraison du 25 mars 2022, le journal Financial Afrik annonce à son tour que « BNP Paribas poursuit son désengagement de l’Afrique ». « Après la vente de ses filiales aux Comores, au Gabon, au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et en Tunisie, la première banque en France et dans la zone euro par les actifs envisagerait de céder dans les prochaines semaines un de ses derniers joyaux de la couronne en Afrique francophone (BICIS et BICICI de Cote d’Ivoire), et selon nos informations, le mandat de la cession des parts de BNP Paribas à la Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie du Sénégal (BICIS) a été confié à Rothschild & Co ». Selon Financial Afrik du 03 avril 2022, la décision de cession à des privés aurait déjà été prise en Conseil d’Administration. Depuis quelques années, BNP Paribas a entamé une « réflexion stratégique » qui semble avoir abouti à la décision d’un désengagement programmé de ses filiales d’Afrique francophone, au profit d’opérateurs privés. Le retrait annoncé de la BNP de son réseau africain n’est pas anodin ; il se situe en droite ligne de celui du groupe bancaire français BCPE (Banque populaire-Caisse d’épargne) qui a cédé, courant 2019/2021, ses actions de la Banque commerciale internationale (BCI) au Congo, de la Banque internationale du Cameroun pour l’épargne et le crédit (Bicec), et de la Banque tuniso-koweïtienne (BKB) au groupe marocain Banque Centrale Populaire (BCP).
La Bicis dans le top 6 des banques du Sénégal
Pour ce qui concerne le Sénégal, rappelons que la BICIS, qui fait partie du top 6 des banques, appartient à BNP Paribas à hauteur de 54,11% et à l’Etat du Sénégal pour 24,89 %. Elle totalise environ 20 agences à Dakar et 12 agences régionales, et son bilan consolidé est de 483, 639 milliards de fcfa à fin 2020. Cette décision de cession, si elle venait à être confirmée, marquerait sans doute la fin des banques commerciales de détail (appelées ainsi pour les distinguer des banques d’investissements ou d’affaires) filiales de banques françaises dont le business model était centré sur la réalisation de marges entre le taux moyen des dépôts de la clientèle et le taux des prêts accordés aux demandeurs de crédit, principalement en charge des comptes des grandes entreprises françaises. Quelles pourraient être les raisons essentielles d’une telle décision concernant notre pays, si l’on sait qu’elle fait suite à la cession voici quelques années de banques comme le Crédit du Sénégal par le Crédit Lyonnais, et la BIAOS (Banque internationale pour Afrique occidentale – Sénégal) par la même BNP au groupe bancaire « Attijaari Bank » du Maroc ? Nous avons souvenance pour la BIAOS, que le principal motif avancé par la BNP était qu’elle n’avait pas vocation à entretenir deux réseaux bancaires concurrents (BICIS/BIAO). Cette décision de cession était intervenue après que la Banque de France lui eut intimé l’ordre d’acquérir (contre son gré) la majorité les actions de la COFIFA, société mère de la BIAOS. La cession de la BIAOS s’était réalisée dans des conditions spéciales. En effet, elle avait été cédée au franc symbolique à l’Etat du Sénégal après sa mise à neuf (apurement des créances douteuses par apport d’argent frais). Pour ce qui concerne les cessions déjà effectuées par la BNP depuis 2019, le groupe bancaire a parlé de recentrage d’activités au détriment du retail, et la concentration sur le portefeuille des grandes entreprises. D’autres raisons apparaissent en filigrane, à la lecture des rapports annuels d’activité. Dans son rapport annuel 2020, la BICIS évoque la très forte concurrence entre les banques de la place dans le segment des particuliers, avec des pratiques de surenchère notamment les rachats de crédits. Cette concurrence serait le fait des établissements de taille moyenne, et aurait tendance à effriter les parts de marchés des plus grandes banques. Elle devrait s’accentuer à l’avenir avec les nouveaux projets d’installation de banques annoncés. Au-delà de la concurrence des établissements moyens, il faut à notre sens rajouter celle relative à la révolution technologique ayant bouleversé le cœur de métier des banques traditionnelles. On assiste, en effet, à l’émergence de nouveaux acteurs sur le marché, du fait de l’introduction du digital rendant plus souples, plus accessibles et moins coûteux les services bancaires et financiers.
Quand les FINTECH bousculent les banques traditionnelles
Ces opérateurs de type nouveau, ce sont les FINTECH, plus souples, peu consommatrices de ressources humaines et plus rapides dans les prestations de services comme les dépôts de fonds, les ordres de paiement divers et les transferts de fonds. Avec un smartphone, les utilisateurs peuvent, à partir d’applications simples, recevoir de la monnaie électronique, se la faire payer en monnaie fiduciaire et transférer des fonds vers un destinataire de leur choix, y compris à l’international pour des frais de transferts modiques. Les banques classiques ont des services spécifiquement dédiés aux opérations de caisse et de transfert ; mais ceux-ci sont désormais désertés, du moins pour ce qui concerne les petites opérations, au profit des FINTECH. Conscientes des effets dommageables de la non prise en compte de la révolution digitale, que d’aucuns caractérisent de nouvelle révolution industrielle, certaines banques organisent des partenariats avec les Fintech. C’est le cas de la FINTECH Wave en collaboration avec la Banque nigériane UBA au Sénégal. Le Nigeria, l’un des pays les plus engagés en Afrique en matière de FINTECH, attire les capitaux d’investisseurs mondiaux de premier plan notamment des États-Unis, d’Europe et d’Asie. Dans le rapport Harnessing Nigeria’s fintech potential, il est fait état des circonstances favorables au développement des FINTECH liées notamment à l’augmentation du taux de pénétration des smartphones en lien avec la jeunesse de la population, le tout sous-tendu par la volonté des autorités réglementaires d’accroître l’inclusion financière et le paiement sans cash.
Le Nigeria compte aujourd’hui plus de 200 sociétés de FINTECH.
Au-delà des FINTECH, les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), les néobanques (établissements financiers 100 % en ligne et non reliées à une banque traditionnelle) et autres acteurs prennent de plus en plus de place dans le secteur et remettent ainsi en question le rôle des banques traditionnelles sur certains segments d’activités. Avec l’arrivée de banques africaines depuis une vingtaine d’années, la concurrence s’accroît davantage avec comme conséquences une surenchère sur les taux et sur le prix des services entrainant la compression des marges d’intermédiation, et des commissions perçues sur les services connexes. De surcroît, les banques classiques, disposant de réseaux d’agences plus denses, subissent un poids de charges d’exploitation plus lourd par rapport aux banques panafricaines et aux établissements moyens à effectifs plus réduits et autres FINTECH. Ainsi, dans un contexte de changement rapide induit par des avancées en matière de technologie financière, et faute de pouvoir opérer sans frais des restructurations drastiques d’effectifs et de fonds de commerce alors que le produit net bancaire résulte aujourd’hui des revenus sur titres (souverains en particulier), des crédits aux particuliers (salariés) et beaucoup moins des produits perçus sur la clientèle commerciale, on peut comprendre que les banques classiques puissent envisager d’opérer un retrait du paysage actuel et changer de business model. Pour conclure, il faut préciser que la cession des actions de la BNP Paribas détenues sur la BICIS, va entraîner ipso facto un changement d’actionnaire de référence, lequel aura la charge de la gestion. Par conséquent, cette opération suscite légitimement quelques interrogations. Concernant les futurs acquéreurs, s’agit-il de groupes exerçant des activités de banques, ont-ils des réseaux de correspondants leur permettant de mener des opérations de commerce international ? Quels sont les engagements pris en termes de développement de l’activité sur une durée à définir ? L’Etat a-t-il exercé son droit de préemption ? Il s’agit d’apporter des éclairages sur les modalités de la cession pour que nul n’en ignore. La BICIS est une banque de très bonne réputation qui n’a connu depuis près de 60 ans aucune crise notable touchant à son intégrité. En cela, la nouvelle structure de substitution devrait pouvoir servir le développement du Sénégal et non faire l’objet de spéculation à moyen terme consistant à la céder dans un second temps à un autre réseau bancaire au détriment des Sénégalais. Le Sénégal est l’un des rares pays de l’UEMOA à ne pas compter dans son paysage une banque sénégalaise d’envergure africaine, à capitaux privés sénégalais majoritaires. Le champion bancaire sénégalais reste encore à créer.