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Un Peuple Sans Couture

Un Peuple Sans Couture

Je suis allé le week-end dernier acheter «Le super-héros» (Neas, 2022), le dernier recueil de nouvelles de mon ami Magueye Touré, brillant et discret directeur de la Francophonie du Sénégal. Magueye fait partie de ces fonctionnaires de l’Etat qui allient à leur responsabilité publique une belle carrière d’écrivain. Il est d’ailleurs regrettable que des gens comme lui, ne reçoivent pas le minimum de la reconnaissance due à leur talent devenu du reste rare dans la haute administration.

Arrivé à la librairie Clairafrique, je tombe sur le vigile qui me manifeste une certaine courtoisie, tranchant avec l’abord glacial, s’il n’est pas discourtois voire empreint de vulgarité, devenu la norme dans les lieux publics de notre capitale. Bureaux, commerces, restaurants, galeries, tout y passe. On a même l’impression que les «maîtres» des lieux se sont lancé un défi de qui sera le plus désagréable vis-à-vis du visiteur. Mon histoire d’amour avec les vigiles de Dakar est tumultueuse, ponctuée de regards méprisants, de défiance voire parfois d’hostilité non feinte. Mon «visage de pauvre», ce sac éternellement couché sur mon dos me donne sûrement un air d’écolier en errance que rien ne devrait conduire à des lieux dédiés aux adultes respectables. Le vigile du jour est différent : il était sympathique. De courte taille, teint clair, il flottait dans un polo vert usé, trop large pour ses frêles épaules. Les rudesses du Ramadan se reflétaient sur son visage éprouvé par une journée de privation.

Après une demi-heure de vagabondage dans la librairie, j’ai pris le livre de Magueye et me suis décidé à payer pour rentrer. Et là, le maître des lieux, seul parmi les livres, décida d’écouter bruyamment un audio reçu sur WhatsApp. Les versets du Coran ont fusé dans ce lieu du savoir et du silence de manière à répandre la parole d’Allah dans toute la salle. Clairafrique est une librairie catholique fondée en 1951 à Dakar. C’est un établissement diocésain, dont le directeur est nommé par l’archevêque de Dakar, chef de l’Eglise catholique sénégalaise. Dans cette succursale du catholicisme sénégalais, le Coran résonnait sans que cela n’émeuve grand-monde. Je n’ai noté aucune voix discordante. Cette scène, qui serait lunaire dans d’autres pays et pour des millions de gens ailleurs, est normale dans un pays dont j’aime à rappeler qu’il est la patrie de Dieu. C’est cela le Sénégal : pays de tolérance et de métissage, où laïcité ouverte ne signifie pas le rejet du religieux, la confrontation des confessions ou encore la tentative hégémonique de quelques grognards anticléricaux.

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La république héritée de Senghor et des pères fondateurs sacralise le vivre-ensemble, la rencontre des cultes au service d’une foi commune : la république. Celle-ci œuvre au renforcement de la démocratie, de la laïcité et de l’égalité pour se conformer à la Constitution et aux principes qui régissent son acceptation en tant que norme supérieure s’imposant à tous.

C’est la république qui permet cette scène de la librairie. Elle, qui unit ce vigile musulman et son employeur, l’Eglise, est le rempart contre les extrémismes morbides et le ferment du vivre-ensemble.

C’est la république, ciment du Sénégal malgré les changements politiques et les contradictions sociales, qui est aujourd’hui menacée par diverses velléités extrémistes. Ces courants représentés notamment par les bigots d’And Samm Jikko Yi et de Jamra et par de curieux prêcheurs relayés par des médias qui ont déserté leur responsabilité afin de verser dans le racolage de toutes les idées saugrenues dans l’espace public.

Il y a une tentation de la guerre civile dans notre pays. Le Sénégal d’hier disparaît sous les coups non coordonnés d’hommes politiques, d’activistes islamistes et d’une pelletée de conspirationnistes du net. Il est tragique de poser un regard sur un pays qui s’étiole devant les vents affreux de la démagogie et du populisme autoritaire. Les républicains cèdent de jour en jour par lâcheté et par couardise devant la vague brutale qui veut éteindre tout discours de raison, de principe, de liberté et d’ouverture au profit de la posture morale, de l’intolérance religieuse, de l’enfermement identitaire et du populisme démagogique.

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Parce qu’ils sont les veilleurs précieux de notre maison commune, les républicains doivent faire face pour être à la mesure des mots sacrés de notre hymne national : demeurer un peuple sans couture tourné vers tous les vents du monde.







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