La santé se déshumanise. Elle devient un service marchand. Grave. Pire, elle s‘écarte de sa finalité de sacerdoce et ne prétend plus au dévouement. Un comble pour un corps censé soulager à l’accueil, dissiper l’angoisse en atténuant le mal, amadouer le malade, le guérir et lui redonner un supplément de forces morales.
De nos jours il perd celles-ci au contact de l’univers impitoyable des hôpitaux et de toute la chaîne médicale. Une faune de gens étrangers et abruptes peuplent le secteur et lui rendent de mauvais services. Ils s’habillent en blouse blanche (pour faire in) et déambulent dans les couloirs pour se coller un prestige, un rang, une aura, une allure, ou une figure qu’ils sont loin de représenter. Des airs trompeurs…
Une vraie comédie de boulevard s’y joue à longueur d’année dont les victimes se dénombrent par milliers sur les mêmes séquences temporelles. La santé, trop sérieuse pour être une fiction. Or des acteurs de tout acabit y sont légion.
L’indifférence et le flegme ont envahi les lieux, laissant libre cours aux pratiques des faussaires qui ruinent la dignité des fonctions médicales et édulcorent les vocations. Les faux médicaments s’échangent comme de la cola par le biais d’agents véreux qui, complices des réseaux d’approvisionnement informel, contournent et détournent les règles de procédures sans s’attirer les foudres des hiérarchies débordées, désincarnées, pour tout dire déboussolées.
Un mal pernicieux ronge ainsi le secteur de la santé. Les bons médicaments empruntent des circuits fermés qui ne sont connus que des seuls initiés. Il y a du tout dans cet huis clos inhospitalier. Des microcosmes se développent. Rien ne vient les dissuader. Au contraire, tout dans ce système vicié encourage les mécomptes, les impunités, les perversions et les espérances trompées.
Des témoignages de miraculés font froid dans le dos. Les uns, pour être admis en urgence, ont dû céder des biens précieux. D’autres dont le séjour s’est prolongé, sont retenus contre leur gré jusqu’à effacement de leur ardoise. Maintenant un job nouveau a fait son apparition : des geôliers sanitaires. Et ils opèrent au grand jour ! Les commerces en tous genres prolifèrent à l’intérieur des hôpitaux qui se transforment progressivement en souks, en boutiques ou en coins ambulatoires de vente.
L’hôpital ne répond plus de son doux nom de centre de traitement des affections ou des maladies. En arrière-plan des cours voguent au gré des vents des attitudes douteuses et répréhensibles. Le regard se durcit. Les empathies se dissolvent, preuve que la société se disloque.
Si l’offre médicale existe à une certaine échelle, les infrastructures, elles, flottent en ordre dispersé. Certes il y a eu de réels efforts de rapprocher les unités sanitaires des populations pour réduire les écarts d’accès aux soins. En atteste la cartographie des établissements dédiés. Mais le récent drame de Louga le prouve amplement. « Il ne devrait pas survenir », estime, imperturbable mais gêné, le Ministre de la Santé, Abdoulaye Diouf Sarr. Il manie la langue de bois avec une désinvolture feinte.
D’ailleurs à propos, le Sénégal dispose-t-il d’une politique de santé ? Sommes-nous à cheval sur les normes de l’OMS ? Une jeune dame en travail souffre sans assistance une nuit entière avant de rendre l’âme. Le lendemain : indignation et concerts de désapprobations qui obligent la direction de l’hôpital de Louga à faire face à la bronca. Les arguments avancés sont fallacieux mais bien construits pour passer comme une pilule dorée.
Justement çà ne passe pas ! Pour être précis, çà ne passe plus. Trop c’est trop. L’insoutenable légèreté de l’équipe médicale a accru le spectre d’indignation élargi et approfondi grâce aux réseaux sociaux qui ont poussé les pouvoirs publics à sortir de leur mutisme. Ils craignent, par ce silence que rien ne saurait justifier, de développer un abcès de fixation.
D’autant que la colère gronde et grossit en proportions à mesure que la mort circonstanciée de la pauvre Astou Sokhna gagne en ampleur et affecte de plus en plus de monde atterré qu’un tel scénario se produise au Sénégal. Lassée de ces défaillances qui enragent, l’opinion publique se montre intraitable et n’accorde aucune circonstance atténuante à ces récidivistes d’un autre genre. Un danger couve donc. Presque tout le monde en a conscience. Que faire ?
Pour couper court à l’effet domino, des missions sont dépêchées sur le théâtre du drame dans une précipitation très visible. Que vont-elles rapporter de leur expédition dès lors que le directeur est limogé et certains de ses collaborateurs cueillis pour les besoins de l’enquête ? Pas grand chose. D’autant que des cas similaires non suivis d’effet étaient survenus dans d’autres circonscriptions médicales. Motus et bouches cousues…
La mesure du défi est bien appréhendée, semble-t-il. Puisqu’à son tour, le Chef de l’Etat réclame des résultats de l’enquête dans les meilleurs délais. En clair, les services hospitaliers, à force d’être alignés sur des logiques marchandes, s’éloignent de leur vocation initiale consistant en une inclusion médicale. Ce n’est que justice médicale.
Au-delà des milliards engloutis, la santé requiert un état d’esprit et une mentalité pour cerner les maux dont souffrent les patients. Les particularités de chacun sont un atout qu’il faut valoriser pour dominer les épreuves de vie. Notre pays attire compte tenu de ses plateaux médicaux et de la qualité intrinsèque des soins prodigués par de très hauts profils de santé qui font autorité. Situation qu’il faut bien avoir en tête pour comprendre que les acquis ne sont jamais ni figés, ni définitifs. A cet égard, l’Ecole de Médecine préserve néanmoins son standing. De ce fait le rayonnement médical est en soi un attribut d’attractivité.
Les comportements décriés ici ou là proviennent d’un délitement de la formation et de l’éducation. A quoi s’ajoute la notoire indiscipline des agents de santé, très syndiqués au demeurant, et des élus municipaux insensibles à toute idée de rationalité. Toutefois, les effectifs pléthoriques découlent de la libéralisation des écoles de formations, des infirmières et des sages-femmes notamment qui pullulent sans contrôle et sans missions d’inspection. C’est le trop-plein d’effectifs dans Dakar et le désert médical dans les régions ! Où se trouvent alors le patriotisme et l’équité territoriale ?
L’inclusion médicale n’est pas qu’une vue de l’esprit. Elle signifie égalité et fin des discriminations financières basées sur le pouvoir d’achat. Après tout, la santé reste une priorité : sauver des vies et non… en perdre.