Politiquement, en disant qu’elle va proposer le Sénégal au Conseil de sécurité de l’Onu, Marine Le Pen cherche à se démarquer de Zemmour et montrer qu’elle est tellement convenable et respectable qu’elle ne peut réduire le pays de Senghor à quelques trafiquants de drogue. «Tout ce qui est excessif est insignifiant», disait Charles Maurice de Talleyrand.
Zemmour a été tellement excessif qu’il est devenu insignifiant électoralement. De l’onde de choc du 21 avril 2002, avec Jean-Marie Le Pen au second tour, au 17 avril 2022 avec Marine Le Pen pour la deuxième fois au second tour, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et Madame Le Pen a réussi à gagner son pari : normaliser et banaliser le discours d’extrême droite et laisser Zemmour incarner le Jean-Marie le Pen des années 1980.
Madame Le Pen a fait un ravalement de façade, un changement d’emballage en passant du Front National au Rassemblement national mais les convictions sont les mêmes. Seul l’emballage verbal a changé. Paradoxalement il y a un dénominateur commun entre Marine Le Pen et les jihadistes et autres salafistes qu’elle combat : la dissimulation. Cette dissimilation qu’elle a tellement réussie que sa présence au second tour est devenue un non-évènement politique, contrairement au 21 avril 2002 quand Jean-Marie Le Pen accéda au 2e tour. Le 21 avril 2002, le front républicain pour barrer la route à Le Pen, était un réflexe naturel qui a transformé le second tour de la Présidentielle en un combat Le Pen contre la France, rappelant un single de Tupac Shakur : «It is me against the world.»
Vingt ans après, avec Marine Le Pen au second tour pour la deuxième fois, le front républicain qui n’était plus un réflexe, encore moins une évidence en 2017, est devenu évanescent en 2022 parce que le Rassemblement national est devenu un parti normal et la fille n’est pas aussi clivante que le père, qui réduisait l’holocauste à un «point de détail de l’histoire» alors que la fille est devenue tellement normale qu’elle avait été invitée par la radio juive Radio J.
En termes de sociologie électorale, cette Présidentielle est très intéressante parce qu’elle confirme la thèse de mon professeur Pascal Perrineau, à l’époque au Cevipof (Centre d’études de la vie politique française) qui disait que le clivage Gauche/Droite n’était plus un bon référent pour analyser et comprendre les dynamiques de la vie politique française et qu’il fallait remplacer le clivage Gauche/Droite par celui qui oppose les partisans de la France ouverte à ceux de la France fermée.
Les partisans de la France fermée sont les extrêmes aussi bien de gauche qui comme Don Quichotte sont en croisade contre les moulins à vent de la mondialisation, que de droite qui veulent mettre la France sous verre en l’enfermant dans le passé et la nostalgie de sa grandeur passée. Le premier tour de la Présidentielle montre clairement que la France, qui avait jadis une ambition universaliste depuis le siècle des lumières et la Révolution de 1789, y renonce de plus en plus pour devenir un pays provincial. Comme je le disais il y a quelques semaines dans ces colonnes.
La France est le seul pays qui se passionne pour le grand débat sur son déclin alors que les Américains, après avoir dominé le 20e siècle, cherchent comment éviter le déclin afin de dominer aussi ce nouveau siècle. Le deuxième tour du 24 avril, au-delà du choc Macron/Le Pen, est aussi l’heure du choix entre une France ouverte et une France fermée.