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Mort De La Parturiente Astou Sokhna, Autopsie D’un SystÈme De SantÉ Sur La Sellette

Mort De La Parturiente Astou Sokhna, Autopsie D’un SystÈme De SantÉ Sur La Sellette

Le discours dominant sur les raisons des dysfonctionnements et de l’inefficacité des systèmes de santé en Afrique subsaharienne se focalise d’habitude sur le manque de moyens, la pauvreté́ des plateaux techniques et une mauvaise gestion financière. Mais, en vérité́, ceux qui émettent ces jugements sont piégés par les préjugés économistes et technicistes qui ont fini par s’imposer comme critère d’évaluation de l’offre de santé. En d’autres termes, il semble établi que relever le défi du nombre et de la qualité́ du matériel, des infrastructures et équilibrer les comptes garantiraient aux malades une bonne prise en charge sanitaire.

C’est dans cette perspective qu’une réforme hospitalière a et́é initiée au Sénégal en 1998. Elle avait comme principal objectif de performance de doter les structures de santé d’une gestion financière saine. Pour cela, il fallait transformer les hôpitaux en entreprises dénommées désormais Établissement public de santé (EPS).

Réussir cette réforme apparaissait alors aux yeux des décideurs politiques, notamment, comme une sorte de panacée pour redonner aux structures de santé leur lustre d’antan. Mais cette analyse a occulté un pan du problème. Il est vrai que les hôpitaux souffrent d’un manque criard de personnels qualifiés, de matériels performants, de respect d’une orthodoxie financière. Pourtant, tous ses maux ne sauraient être circonscrits dans de telles insuffisances. Les problèmes éthiques sont tout aussi prégnants. Le sort réservé aux malades constitue un baromètre pertinent pour mesurer le niveau de non-respect de l’éthique envers les patients. Il semble donc que le Sénégal n’est pas seulement en retard sur le plan financier et structurel : il l’est également sur le plan éthique. La hantise à renouer avec la performance dans la gestion financière, afin de garantir la qualité́ des soins, a comme corrélat collatéral une atonie éthique. Cette situation découle du fait que par « qualité́ des soins » beaucoup n’entendent généralement que la disponibilité́ des soins curatifs de qualité.́ Le respect de l’éthique dû aux malades est rarement pris en compte dans une telle préoccupation. Pour preuves, des scandales liés à la mauvaise prise en charge des malades dans les structures de santé sont de plus en plus récurrents. Depuis quelques temps, ils sont régulièrement relatés dans la presse et les réseaux sociaux.

Le cas Astou Sokhna est le dernier en date. Il fait suite à d’autres qui ont défrayé la chronique dans un passé relativement récent: le cas de la jeune Bineta relaté dans le rapport de Human Rights Watch de 2013 intitulé « abandonnés dans l’agonie. Le cancer et la lutte pour le traitement de la douleur au Sénégal » : « Elle est décédée le 1er mars 2013, chez elle, sans aucune forme de soutien médical. Après des mois de douleurs intenses, qui n’ont jamais été soulagées, Bineta est morte dans des circonstances atroces. » Récemment, on se souvient du cas du bébé brûlé et asphyxié dans les locaux de la clinique des Madeleine le 07 octobre 2021. Ces événements ne sont que la partie visible de l’iceberg. Personne ne peut dénombrer la masse d’anonymes qui a été contaminée par les maladies nosocomiales, blessés au cours d’une intervention, transformés en cobaye pour tester indûment une thérapeutique, tuée par faute d’une négligence, de l’incompétence ou de l’incurie d’un personnel de santé désinvolte ou cupide. C’est pourquoi on est en droit de s’interroger sur les vraies causes d’un tel phénomène, au-delà de l’échec de la réforme hospitalière susmentionné. La première est à rechercher dans le contenu des curricula de formation.

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Curieusement, quand on visite celui de l’ENDSS (L’école nationale de développement sanitaire et social), il dit explicitement : « Dispenser des soins infirmiers individualisés et/ou communautaires dans le respect de l’éthique et des valeurs socioculturelles. » Mais combien d’infirmiers se souviennent de ces injonctions dans leurs pratiques de tous les jours ? D’ailleurs, combien d’entre eux y ont été réellement formés ? On peut gager très peu. Par contre pullulent un peu partout des écoles de santé dont le contenu de la formation laisse visiblement à désirer. De surcroît, dans la formation des sages-femmes aucun volet éthique n’apparaît dans les modules de formation. Il faut le dire pour le déplorer la formation des personnels de santé n’insiste pas outre mesure sur le volet éthique.

Pourtant, l’Arrêté 005776/MPS/DES du 17 juillet 2001 de la charte des malades stipule clairement en son article un : « L’accès au service public hospitalier est garanti à tous les malades sans discrimination aucune.», l’article deux : «Les Établissements Publics de Santé Hospitaliers garantissent un accueil et des soins de qualité ; ils veillent au soulagement de la douleur. » Il s’y ajoute, comme l’a remarqué le professeur Eva Marie Coll Seck, le vendredi 11 mai 2012, lors du baptême de l’Unité de Formation et de Recherche des Sciences de la Santé (Ufr/2S) de l’Université Gaston berger : «La charte doit être connue de beaucoup de personnes analphabètes».

Pour cela, l’affichage de la charte dans certaines structures de santé révèle plus du cosmétique que d’une véritable opération d’information. La Professeure ajoute d’ailleurs dans la même veine : «Cette charte semble n’avoir aucune portée pédagogique». Le document n’est en rien contraignant pour obliger au respect des droits des malades. Pire, la Charte ne s’adresse qu’aux hôpitaux. Elle n’est pas élargie à tout le système de santé. Elle devrait être pourtant incorporé à un Code de santé, dont le pays ne dispose toujours pas. Une aberration si l’on sait que l’article 8 de la Constitution garantit à tous les citoyens le droit à la santé. Ce qui pose fondamentalement la responsabilité pleine de l’État à toute entorse à l’éthique médicale.

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A contrario, la Charte de la personne hospitalisée de la France pose de manière explicite en ciblant entre autres les femmes parturientes : « les établissements de santé assurent les examens de diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes en tenant compte des aspects psychologiques de chacun d’eux. Ils leur dispensent les actes de prévention, d’investigation de diagnostic ou de soins – curatifs ou palliatifs- que requiert leur état et ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, leur faire courir des risques disproportionnés … » Ce qui jure d’avec les articles laconiques de la Charte des malades du Sénégal. Quid du Code de déontologie des sages-femmes Sénégal ? Depuis 1960, aucun texte législatif ou réglementaire spécifique, n’a été élaboré pour régir la profession de sage-femme. C’est en 2017, avec la 2017-14 du 20 janvier 2017 relative à l’exercice de la Profession de Sage-femme au Sénégal et portant création de l’Ordre des Sages-femmes et des Maïeuticiens que la profession est dotée d’une législation qui lui spécifique.

Dans le préambule de la loi, il est cependant bien dit « L’organisation de la profession est donc devenue une nécessité afin de garantir la qualité des services, la protection des patientes et des nouveau-nés ainsi que l’autonomie des professionnelles. » Ces éléments se retrouvent mutatis mutandis dans le Code de déontologie des médecins, des chirurgiens-dentistes. Il en est de même dans le préambule du Code harmonisé de déontologie des médecins et des chirurgiens dentistes dans l’espace CEDEAO : « L’État, garant du service public, doit veiller à l’accès équitable de tous à des soins de qualité.́ L’État doit mettre en place un dispositif réglementaire qui concilie la protection du patient et celle du praticien ». Le drame vécu par la famille de Fatou Sokhna aurait pu être évité si l’article 9 du Code était appliqué : « Lorsque le praticien est en présence d’un malade ou un blessé en péril ou lorsqu’il est informé d’une telle situation, il doit lui porter secours, à défaut, il doit s’assurer qu’il reco̧it les soins nécessaires.» Au regard d’ailleurs de l’article 30a et 30e , la non prise en charge du patient dans un délai raisonnable, la preuve d’un négligence grave et/ou prolongé constituent une faute professionnelle et une conduite déshonorante. Ce qui faut le cas de la parturiente de Louga, d’après les conclusions du rapport diligenté par les autorités médicales.

Pour une application effective de ces différentes dispositions juridiques, il urge, comme l’a maintes fois rappelé le professeur Abdoul Kane, cardiologue, très préoccupé par les questions d’éthique au sein de sa profession, de faire dialoguer la médecine avec les sciences humaines pour espérer sortir de ce paternalisme, lit de tous ces errements de ses derniers temps et d’autres plus anciens. Une humanisation du secteur exige, qu’à la base, la dichotomie entre les facultés de médecine et celle des lettres soit dépassée. Il est impératif de former le personnel de santé aux humanités pour donner un supplément d’âme à la profession comme dirait Henri Bergson. Pour cette raison, nos praticiens doivent sortir du paradigme obsolète d’une médecine paternaliste qui infantilise et objectivise le malade.

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La nouvelle tendance des législations de santé des pays avancés met la centralité sur le malade. C’est ce qui a motivé, par exemple, en France le vote de la « Loi n0 2002-303 du 04 mars 2002 relative aux droits des malades et á la qualité du système de santé ». Le principal enseignement du vote cette dernière est que la formation à l’éthique doit être accompagnée d’une législation contraignante pour permettre d’attraire à la barre d’un tribunal les contrevenants à la loi. Sinon, d’autres Astou Sokhna continueront, de façon dramatique, à défrayer la chronique. Il y a lieu cependant de ne pas vouer aux gémonies tout le personnel médical. Bon nombre d’entre eux exercent leur métier dans le plus grand professionnalisme. Beaucoup sont imbus de valeurs sûres et font honneur à leur profession.

Seulement, dans toute profession existent des brebis galeuses qui en constituent la face hideuse. Car, la médecine moderne, comme son père fondateur l’a perçue dès le départ, Hippocrate, va toujours de pair avec l’éthique. C’est pourquoi dans son Corpus, Le Serment occupe une bonne place et constitue un véritable viatique tout praticien comme le stipule l’article 35 du Code harmonisé de déontologie des médecins et des chirurgiens-dentistes dans l’espace CEDEAO. N’y dit-il pas ceci : « Dans toute la mesure de mes forces et de mes connaissances, je conseillerai aux malades le régime de vie capable de les soulager et j’écarterai d’eux tout ce qui peut leur être contraire ou nuisible. » Il n’hésite pas à lancer la sentence suivante : « Si je respecte mon serment sans jamais l’enfreindre, puissè je jouir de la vie et de ma profession, et être honoré à jamais parmi les hommes. Mais si je viole et deviens parjure, qu’un sort contraire m’arrive ! »

A ce titre, primum non nocere (en premier, ne pas nuire) reste la seule posture éthique du praticien, le seul palladium de la profession médicale. Et, cet impératif ne saurait être antagoniste à une quelconque exigence d’objectivité ou d’efficacité thérapeutique.

Dr. Alioune BABOU

Professeur de philosophie

Coordonnateur du forum civil/région de Thiès, Membre du bureau exécutif







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