Dans un contexte post-pandémie Covid-19 exacerbé par l’onde de choc de la guerre russo-ukrainienne sur le pétrole, le gaz et les produits alimentaires, le Sénégal aura presque réussi l’impossible avec la levée, sur le compartiment islamique du marché financier mondial, de la somme record de 330 milliards F Cfa en obligations Sukuk.
La démarche de diversification des instruments de dette est à saluer, après l’Eurobond de 508 milliards de F Cfa, moins d’un an plus tôt, en juin 2020 exactement pour notre pays.
Avec le niveau-record du prix du baril de pétrole et de celui du gaz, les pays exportateurs d’hydrocarbures, en majorité islamiques, engrangent énormément de devises, d’où la forte adhésion suscitée auprès des investisseurs et institutionnels du Moyen-Orient, qui ont souscrit massivement aux coupons Sukuk avec un taux de couverture supérieur à 110%, en seulement 3 jours.
L’obligation Sukuk comme une alternative à l’endettement classique pour le financement des projets et infrastructures dans le respect de l’éthique et la morale islamiques du développement dans la solidarité, s’affirme comme un instrument efficace et compétitif pour les pays de la Ummah islamique, et les autorités du Sénégal en charge de la politique économique et financière l’ont bien compris.
Le Sénégal traverse, depuis la survenue du Covid-19, une zone de turbulence, les gains de croissance traduits en termes de recul de la pauvreté et d’augmentation des revenus moyens par habitants subissent le choc de l’impact de la pandémie et plus récemment de l’inflation imposée par la guerre russo-ukrainienne. Tous les pays de la planète observent des pressions inflationnistes induites par le pétrole, le gaz et les céréales, et dans nos pays importateurs en tout et pour tout, les prix des denrées alimentaires ont fortement augmenté.
Aujourd’hui, les nouveaux paradigmes de développement nous dictent et imposent une souveraineté sanitaire et surtout alimentaire sur fond d’instabilité géopolitique mondiale, car nous savons tous que deux puissances nucléaires s’affrontent par procuration en Europe et l’économie mondiale mettra beaucoup d’années à se relever des conséquences de la pandémie du Covid-19 et du conflit russo-ukrainien.
Dans ce contexte, il était plus logique, pour notre pays, d’affecter les revenus d’emprunt Sukuk aux urgences liées à la survie des populations dans les domaines de la nutrition, la santé, l’éducation et le logement.
Le paiement anticipé ou l’amortissement des dettes liées aux sphères ministérielles de Diamnadio n’est ni stratégique, ni urgent, ni utile pour nos populations dont le pouvoir d’achat est sérieusement affecté, le futur des familles sénégalaises plus que jamais incertain, avec un secteur éducatif et sanitaire en crise cyclique, et enfin une qualité de vie des populations en zone urbaine compromise par des logements dont le loyer est devenu hors de portée pour le salarié moyen.
L’affectation des fonds Sukuk aux sphères ministérielles ne cadre pas avec les urgences liées à la sécurité alimentaire et sanitaire qui conditionnent la résilience de notre pays et sa survie. Tout au plus, elle ne fait qu’augmenter le fardeau d’endettement que les futures générations devront supporter. Ces futures générations doivent dès à présent être mieux éduquées, mieux soignées et mieux nourries, afin de leur garantir les conditions de création de la richesse économique de demain, qui permettra de payer les dettes consenties aujourd’hui.
Alternativement, les fonds Sukuk seraient mieux affectés à sécuriser les parts stratégiques du Sénégal, voire même augmenter substantiellement nos parts dans les sociétés de projets en charge de l’exploitation du pétrole et du gaz de notre pays. Dans les pays du Moyen-Orient qui aujourd’hui nous prêtent de l’argent, les sociétés d’exploitation du pétrole comme Saudi Aramco appartiennent exclusivement aux peuples.
Ainsi, les majors présents n’étant relégués qu’aux rangs d’assistants techniques et de sous-traitants. Le pétrole et le gaz -comme les télécoms aujourd’hui- seront les futurs relais de croissance de notre économie et les capitaux nationaux doivent déjà s’y investir massivement pour en maximiser nos intérêts. Il faut aligner nos priorités et urgences avec les objets d’endettement publics de l’heure, pour un pays qui compte 65% de moins de 35 ans dans sa population de près de 17 000 000 habitants.
Moustapha DIAKHATE
Expert et Consultant en Infrastructures
Ex Conseiller Spécial PM
Ex Conseiller Spécial Présidente Cese