L’évaluation des transitions démocratiques vient de montrer les crises de ces mutations politiques qui n’ont pas réussi à installer durablement la démocratie en Afrique subsaharienne, à l’exception de quelques rares pays (Cap Vert, Ghana, Botswana).
Diverses raisons expliquent cette situation : l’accaparement des pouvoirs politiques et médiatiques par des groupes, ou clans ; le manque de transparence dans la gouvernance socio-économique ; la faible séparation des pouvoirs ; l’évitement des débats d’idées ; la fragilité de la société civile et l’insuffisante acclimatation culturelle d’institutions importées. Il s’y ajoute des pratiques politiques consistant à neutraliser toutes formes d’oppositions crédibles et à tripatouiller les constitutions pour conserver le pouvoir. C’est dans ce contexte de blocage politique que l’on assiste à la recrudescence de coups d’Etat, particulièrement en Afrique de l’Ouest (Mali, Guinée, Burkina Faso). Au moment où certains pays font face à des mouvements sociaux internes découlant de choix politiques peu conformes aux aspirations de leurs populations, ils devront gérer difficilement les effets non seulement de la mondialisation, du covid-19 mais aussi de la crise russo-ukrainienne.
Très engagé dans les affaires africaines en sa qualité de président en exercice de l’Union Africaine (UA), le Président Macky Sall relance le débat sur les mandats présidentiels en Afrique, affirmant son opposition à leur limitation dans la mesure où les élus africains ne disposeraient pas suffisamment de temps pour réaliser leurs programmes de développement. Avant de revenir sur les propos du président, il convient de rappeler ici que l’ancien président, Secrétaire national du PDS, avait demandé une prolongation de son mandat de deux ans afin de boucler ses travaux d’infrastructures dans le pays. Cependant, cette requête lui a été refusée et personne n’ignore la suite : le rejet par les citoyens de son offre politique pour un troisième mandat en 2012.
Des intentions maquillées
Aujourd’hui, le Président Macky Sall, après moult hésitations et quelques ballons d’essais à travers des éclaireurs politiques, n’en pense pas moins que son prédécesseur en jouant sur la prudence et les déclarations d’intention maquillées par une communication politique dissuasive, empêchant les leaders de son camp d’aborder le sujet dans une perspective autre qu’en sa faveur. C’est dire qu’il ne faut pas exclure, dans les projets du Président Sall, cette possibilité de présenter une troisième candidature.
Pourtant, des réformes ont été adoptées pour verrouiller la Constitution afin d’éviter toute velléité de modifier le nombre de mandats. Dans cette perspective, la charte fondamentale dispose en son article 27 : « La durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ».
Par conséquent, le président actuel ne peut prétendre à briguer un troisième mandat au regard de la loi fondamentale. Alors, pourquoi le Président Macky Sall, qui a accompli dix ans à la tête de l’Etat sénégalais, annonce-t-il son hostilité à la limitation des mandats en Afrique.
Est-il inspiré par le cas Kagamé du Rwanda ? Ou a-t-il peur de rendre compte de sa gestion du pouvoir à la fin de son mandat ? En tout état de cause, la non limitation des mandats des présidentiels en Afrique est loin d’être une panacée ; elle n’est guère porteuse de développement économique si l’on se réfère à la plupart des cas où les présidents ont confisqué le pouvoir (Cameroun, Gabon, Togo). Elle conforte l’autoritarisme par la personnalisation du pouvoir, la gestion patrimoniale des ressources publiques, la domination d’un clan sur le pays et l’absence de changements politiques. Ce schéma ne correspond pas à l’esprit démocratique et enferme les Etats africains dans une logique dictatoriale, car les leaders chercheront toujours à rester au pouvoir pour préserver leurs intérêts personnels et ceux de leurs proches au détriment de la majorité des populations. Le pouvoir apparaît comme un espace d’enrichissement personnel, de jouissance et d’accomplissement de soi et de sa famille.
La démocratie suppose des alternances par la limitation des mandats et la participation des citoyens au processus décisionnel. Ecarter cette possibilité est un retour en arrière qui risque paradoxalement de faire perdre du temps à l’Afrique qui a besoin d’avancer vers le progrès économique et social, le renouvellement des élites et de se positionner sur la scène internationale en mutation constante.