De tous les dangers qui, sur le front africain, guettent Emmanuel Macron à l’orée de son second mandat, le plus grave est sans doute celui de la gorbachévisation. Ce symptôme hante en effet les réformateurs qui, confrontés à un système sclérosé et à bout de souffle, privilégient le recours à une flopée de demi-mesures, là où la situation historique exige le recours à un big bang.
S’ensuivent une perte de contrôle graduelle mais irréversible des événements, le délitement des soutiens au projet de réforme et une reprise en main du processus inachevé de transformation par les forces du raidissement et de l’entropie.
Blocages systémiques
Nous n’en sommes, certes, pas à ce point, et les derniers soubresauts de la Françafrique ne présentent que peu de ressemblances avec ceux qui accompagnèrent l’effondrement de l’empire soviétique. Emmanuel Macron n’est pas Mikhaïl Gorbachev. Du reste, s’agissant de son bilan africain, nombre de signes de changement sont là. À la surface, il est vrai. Car mis bout à bout, ils ne font, pour le moment, ni mouvement de fond ni structure, mais dessinent un arc. Et ceci, décidément, compte.
D’autres indices témoignent cependant, non d’une volonté de maintien du statu quo, mais de la permanence de points aveugles nourris et renforcés par une longue tradition d’inertie. C’est qu’en profondeur, ni la rente de la Françafrique ni l’imaginaire qui sous-tend le complexe postcolonial ne sont complètement taris. Des dynamiques centrifuges portées par de nombreux réseaux anciens et acteurs parallèles sont encore à l’œuvre. À toutes les échelles.
La plupart des blocages sont systémiques. Il ne s’agit pas seulement des légendaires pesanteurs bureaucratiques, des oppositions sourdes, des luttes pour le maintien de positions acquises et des résistances passives au sein même de la technostructure. Certains autres relèvent d’un vieil habitus colonial difficile à extirper, qu’il serait vain de nier.
D’autres encore sont la conséquence de l’inadaptation des outils et dispositifs institutionnels, des conflits de tutelle nécessitant des arbitrages clairs et rapides mais qui se font attendre, des guéguerres incessantes entre les différents acteurs et agences impliqués dans la mise en œuvre des choix effectués, de l’absence de coordination entre les innombrables pôles et guichets, des consultations interminables – souvent sans véritable valeur ajoutée – avec des interlocuteurs sans cesse changeants, et, surtout, de l’extraordinaire affaissement des capacités d’analyse, de vision et de prévision aussi bien dans le champ civil que dans le domaine militaire.
Fatigue intellectuelle et émotionnelle
À tous ces facteurs, il convient d’ajouter les effets de fatigue. Celle-ci est physique, intellectuelle mais aussi émotionnelle. Cinq années d’hyperactivité, de crises et d’imprévus de tous genres ont endurci plus d’un, mais elles ont aussi laissé sur le carreau maints acteurs essoufflés, voire découragés. Autant l’expérience et la mémoire seront indispensables pour l’étape qui s’annonce, autant du sang neuf sera nécessaire pour mener à bien de nouveaux projets de haute intensité requérant une imagination neuve et un désir de changements véritablement structurels.
En effet, un deuxième quinquennat sans horizon neuf et sans énergie décuplée ne décrédibiliserait pas seulement le projet de sortie de la Françafrique. Il contribuerait également à la démobilisation des bonnes volontés de part et d’autre. Faire comme si tout était d’ores et déjà en place, comme s’il suffisait de s’inscrire tranquillement dans la continuité de ce qui a été esquissé au cours du mandat précédent, avec quelques menues corrections et inflexions ici et là, serait donc une option défaitiste, et ouvrirait la voie à l’échec.
L’esprit de Montpellier
La priorité est d’accélérer la « remise en relation » de l’Afrique, de la France et de l’Europe, en droite ligne de la démarche entamée à Ouagadougou, et dont le nouveau sommet Afrique-France de Montpellier aura été le point d’orgue. Cette « remise en relation » requiert un profond repositionnement de la France sur le continent pris comme un tout et, surtout, comme un acteur géopolitique potentiel.