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Dialogue Primordial

Dialogue Primordial

Avec cette belle exposition «Picasso Remix», Olivia Marsaud et Mohamed Al Amine Cissé s’inscrivent dans l’hommage au centenaire de l’événement Picasso à Dakar en 1972 et assument une filiation avec Africa Remix, la grande exposition de Simon Njami, qui a présenté trois années durant (2004-2007) la création africaine contemporaine. «Picasso Remix» est une esthétique de la résonance et une mise en perspective des formes qui s’inscrivent dans un dialogue fécond entre hier et aujourd’hui, autour de la figure de Picasso, artiste inspiré par l’art africain dont les influences se retrouvent à travers son œuvre.

Seize artistes revisitent Pablo Picasso par-delà le temps et l’espace. Si Koko Komégné assume l’influence de l’espagnol dans son travail, d’autres, comme Sandra Seghir ou Roméo Mivekannin, entrent en résonance avec deux toiles célèbres de l’espagnol. Avec «LES PRIMITIFORDIALES», Sandra Seghir propose une œuvre sublime en réponse aux célèbres Demoiselles d’Avignon. La jeune peintre autodidacte, dont on n’a pas fini d’entendre parler, réhabilite les prostitués de Picasso en les sortant de la maison close catalane pour les plonger dans un autre espace, et nous invite à un jeu de perception afin que «le  spectateur puisse créer son propre rapport à l’œuvre».

Dans le même exercice de correspondance et de parallèle, Mivekannin contribue à «Picasso Remix» avec un Guernica majestueux en drap aux mêmes dimensions que le célèbre tableau du musée Reina Sofia à Madrid. Ce Guernica présenté à Dakar rappelle l’acuité de la violence qui sévit à travers les conflits localisés comme en Ukraine ou au Mali et qui nous interpellent sur les menaces qui pèsent sur des vies humaines fragilisées par l’horreur de la guerre.

Le poids du hasard taquin marque l’exposition et illustre le lien spirituel qui existe entre des artistes et des œuvres de périodes et d’aires géographiques différentes dans le temps long de l’histoire de l’art. «Picasso Remix» rassemble des œuvres commandées pour l’exposition du Manège, comme «Africaine Giants», la première toile de la Sénégalaise Audrey D’Erneville dont j’ai été sensible à l’esthétique urbaine issue du graphisme. Mais on y admire d’autres objets conçus sur deux décennies (2000-2022), et qui n’ont ainsi aucun rapport avec l’idée initiale des deux concepteurs.

Les femmes de Nder de Kiné Aw, rencontrent Massacre en Corée, comme les Demoiselles de Carl-Edouard Keïta revisitent la période cubiste du peintre andalou. Les pièces en bronze de Hervé Yamguen sont aussi un hommage -par hasard- à l’œuvre sculpturale de Picasso, certes moins connue que ses toiles.

Il faut saluer le choix des commissaires d’exposer les pièces de Meïssa Fall, artiste singulier qui, de sa niche fabuleuse de l’île de Saint-Louis, recycle des pièces de vélos en œuvres d’art. Comme Picasso, il utilise un guidon et une selle pour proposer à la postérité une Tête de taureau qui, contrairement à l’œuvre de l’artiste espagnol, est démuséifiée et offerte à la vue de tout le monde. L’art se montre à la rue et décolonise son espace d’expression.

Cette exposition pluridisciplinaire, qui convoque diverses formes d’expressions – peinture, sculpture, photographie, céramique -, alterne au gré des œuvres, entre hommage, dialogue, influence, confrontation. Des artistes africains contemporains se mesurent à un maître incontesté, comme pour maintenir intacte la flamme de l’art comme vecteur d’universel et substance dans un monde où la notion du sens n’a jamais été autant interrogée.

«L’art nègre ? Connaît pas !», œuvre de Dimitri Fagbohoun installée en face de l’entrée de la galerie, accueille le visiteur pour tout de suite l’inviter à prendre part au débat sur l’influence de l’art africain chez Pablo Picasso. L’art contemporain africain, en cette période de ferveur de la Biennale, sera à nouveau au cœur du bouillonnement entre artistes, critiques, collectionneurs et amateurs. C’est le lieu de rappeler le cri du cœur de Mohamed Amine Cissé, jeune co-commissaire de l’exposition, lors du vernissage. 

L’ancien banquier d’affaires devenu commissaire d’art indépendant, par sa vocation de passeur d’humanités à travers l’art, nous interpelle : «A l’heure où le débat sur le retour d’œuvres pillées durant la période coloniale continue de faire rage : afin de n’être ni spectateur ni acteurs d’une seconde vague de disparition du travail de nos artistes, et cette fois de manière autrement plus légale, collectionnons, gardons ces chefs-d’œuvre chez nous.»







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