La France dont la liberté demeure la première des valeurs semble aujourd’hui tomber dans une dictature des médias et dans la crise de ses propres repères. Mais à vrai dire, ce que la liberté comme la pensée commence à devenir l’image même de l’acceptation de toute parole véhiculée par les médias et les politiques qui semblent être vues par beaucoup comme louables dans une société liberticide. Et je dis bien acceptation. Or, penser, c’est dire non, nous apprend le grand philosophe Alain pendant que la Déclaration du 26 août 1789, elle, nous rappelle en son article 11 l’importance, la valeur et le statut de la liberté de penser et de communiquer ses pensées, donc d’expression, dans un pays de droit où l’individu est et reste plus qu’un mot, plus qu’un sujet de droit, mais la plus pure et précieuse substance de la société.
Je sais, certains pourraient me reprocher pour le cas que j’aimerais soulever, notamment, la polémique qui entoure Idrissa Gana Gueye, qu’on a là un acte posé et non point une pensée.
Cependant, il faudra saisir que l’acte détaché de la pensée n’est que l’apanage des animaux d’abord, et ensuite, des hommes et des femmes que les bêtises ou certaines maladies psychiques (démence par exemple) privent de raison et d’esprit. En revanche pour ceux et celles qui bénéficient entièrement de leur lumière — et par là, entendons bien leur raison —, l’acte reste toujours le prolongement de l’idée, et parfois même et le plus souvent, d’une conviction bien ancrée dans l’âme. Ainsi, dans ce texte-ci, il est évident que je ne m’écarterai pas de cette logique.
Mais rappelons les faits d’abord. Le samedi 14 mai 2022, Idrissa Gana Gueye aurait refusé de jouer face à Montpellier en raison des flocages aux couleurs multiples représentant le drapeau homosexuel. En effet, son nom figurant sur la liste des convoqués d’abord y disparaît ensuite quelques heures avant le début du match. Ce qui par conséquent fait réagir les politiques français comme sénégalais, les fédérations, les clubs, les compatriotes du joueur, etc. Et beaucoup crient au scandale, à l’homophobie, « au refus de l’autre » selon la lettre du conseil d’éthique de la Fédération française de football adressée à Idrissa Gana Gueye.
Mais que pouvons-nous dire de cette affaire à la lecture des textes juridiques et de la philosophie ?
À la lumière des textes juridiques
Commençons par préciser que sur cette affaire, relativement aux lois, mon propos tient en deux choses : Liberté de pensée et liberté d’expression. Il en est ainsi parce que le refus tout comme l’acceptation de participer à une activité ou une entreprise, quelle qu’elle soit, permet à l’individu d’exercer ses droits-libertés garantis dans les sociétés où posséder un droit et l’exercer n’est guère un danger pour soi, mais le synonyme même de l’épanouissement personnel et une prérogative consommée. Et la France dans l’esprit de ses lois n’en est pas une exception.
En effet, l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui reprend l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme précise :
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».
On comprend par-là la portée générale et les conséquences de cette liberté en ce sens qu’elle s’applique à tout le monde, pas seulement à ceux qui critiquent sans être critiqués ou à ceux qui ont le privilège de voir sans être vus. Et étant l’un des pays signataires de la CDFUE, la France est liée à ce texte. Parallèlement, elle est bien tenue de le respecter.
Or, les médias français, certains organismes de défense des droits des minorités en France tout comme les Français qui s’acharnent sur Idrissa Gana Gueye à cause de son refus de participer à un match — refus qui je rappelle tombe dans l’empire des deux libertés ci-dessus —, sont bien les seuls qui refusent les lois françaises. Car ils refusent la liberté de choix ou de « conviction » d’un individu bien consacré par le CDFUE. Du reste, le préambule de la Constitution de 1946 proclame sans ambages les libertés de pensée et d’expression, et les élève mieux encore au rang des principes constitutionnels. Et quid de ces deux libertés sinon la possibilité de choisir ses vérités dans les secrets de la pensée et celle de révéler à autrui sa pensée comme le précise la doctrine ? N’est-ce pas ce qu’a fait Idrissa Gana Gueye comme le fit comparativement en 1967 Mohamed Ali aux USA en refusant de servir au Vietnam ? N’est-ce pas encore vrai que la Déclaration de 1789 dont chaque article rappelle le sang des martyrs français lors de la révolution française brandit ces libertés ? Les exemples, arguments et textes juridiques peuvent être multipliés, mais l’urgence est de dire qu’Idrissa Gana Gueye dans cette affaire n’a fait que crier ses droits-libertés au même titre que tous ceux et toutes celles qui le font en France, et qui sont par ricochet protégé(e)s et défendu(e)s. Dès lors, toute mesure allant dans le sens de le toucher négativement serait liberticide, totalitaire et anti-démocratique.
À la lumière de la philosophie
Voltaire écrit dans son Dictionnaire philosophique paru en 1764 :
« Il ne tient qu’à vous d’apprendre à penser ; vous êtes nés avec de l’esprit ; vous êtes un oiseau dans la cage de l’Inquisition ; le Saint-Office vous a rogné les ailes, mais elles ne peuvent revenir…Osez penser par vous-même. » Et c’est bien cela et rien d’autre qu’a osé faire Idrissa Gana Gueye : penser par lui-même loin de la dictature des politiques sportives. Et voilà que nous apparaît son refus d’être l’ombre d’une décision en contradiction avec sa liberté, l’acte posé qui dérange ceux qui ne savent concevoir l’autonomie de l’autre en dehors de leurs combats, et un silence comme parure de sa posture. Et comme on peut le voir, sa démarche comprend dans cette affaire une triple dimension : pensée, acte et silence.
En effet, il m’apparaît évident que nous sommes aujourd’hui dans une France où « la crise d’opinion » est la chose la mieux partagée. C’est que tout le monde fait ce que le monde dit. Tout le monde a les mêmes discours, les mêmes combats, les mêmes ambitions… Tout le monde accepte ce que tout le monde accepte. Car la soumission et le refus de l’individualité y font loi aujourd’hui. Car encore, tout est quasiment tendance en France. Et Étienne de La Boétie nous aurait dit que la servitude volontaire n’a jamais été aussi bien effective qu’aujourd’hui dans le pays dont l’histoire de la pensée est l’une des plus fécondes au monde.
Mais fort heureusement, il y a toujours quelque part des révoltés au milieu des terres, des convictions relatives par essence, au cœur des valeurs qui n’ont que la prétention d’un bel universalisme à sens unique. Des hommes et des femmes dont les pensées comme les actes font plus de bruit que les propos creux des médias et des individus qui s’évertuent à mettre tout le monde dans la même caverne à travers la propagande et le lynchage médiatique. Les minorités de la minorité. Et Idrissa Gana Gueye, à travers son choix, illustre bien mes propos.
À vrai dire, la question fondamentale à poser dans cette affaire est relative à mon sens au mal qu’il y a à refuser de porter un combat auquel on ne s’identifie pas, d’être un « activiste de 90 min » d’une cause en contradiction avec sa liberté de conscience. Et encore, est-ce qu’un joueur qui conclut un contrat de joueur est/ou doit être obligé à porter les combats du club pour lequel il joue au mépris du contenu de son contrat et de ses convictions personnelles ? Est-ce vraiment cela de l’homophobie et le refus d’acceptation de l’autre ? Est-ce bien cela la haine de l’homme pour l’homme, la violation des lois de la France, etc.
L’évidence répond ici à travers le choix de chacun comme liberté ; elle ne répond pas par la « bêtise qui insiste toujours ». Car nul ne doit être inquiété pour ses positions. Conséquemment, tous ceux qui critiquent Idrissa Gana Gueye pour son refus, refus qui traduit l’expression profonde de sa liberté, sont contre la liberté elle-même, et à commencer par la leur dont ils font usage dans cette affaire. Parce qu’encore, ce qui les dérange, c’est qu’Idrissa Gana Gueye a osé être le contraire de celui qu’ils voulaient qu’il soit : un homme qui sait dire non. Et voyons, n’y a-t-il pas une voix de l’échec qui réveille déception et ego au devers de leurs âmes ? Mais penser, c’est dire non. Et peut-être que le surhomme de Nietzche n’est finalement qu’un homme simple qui sait comme Idrissa Gana Gueye dire non à tous ceux qui auraient voulu l’entendre dire oui en baissant la tête.
Zacharia Sall est poète sénégalais vivant en France.