Le continent africain n’est responsable que de 2% à 3 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone provenant de sources énergétiques et industrielles. Mais il souffre de manière alarmante des effets de la crise climatique, comme le montrent les rapports de l’ONU et d’autres organisations.
Sur le plan positif, l’Afrique dispose d’un énorme potentiel d’atténuation des effets du changement climatique, notamment grâce à ses forêts tropicales humides. Les forêts tropicales du Bassin du Congo, en Afrique centrale, sont parfois appelées le deuxième poumon de la Terre (après l’Amazonie) en raison de leur capacité à stocker du carbone.
En plus des arbres de la forêt, le bassin abrite les plus grandes tourbières tropicales du monde, découvertes en 2017. Les scientifiques estiment que ces tourbières stockent du carbone d’une valeur équivalente à environ 20 ans des émissions de combustibles fossiles des États-Unis. Le bassin du Congo est également riche en biodiversité et en minéraux. Tant que cette région riche et stratégiquement importante n’est pas détruite, l’Afrique peut contribuer à la lutte contre le changement climatique sur le plan mondial. Les forêts tropicales et les populations du Bassin du Congo sont gravement menacées par le changement climatique mondial et d’autres facteurs humains. L’exploitation forestière commerciale, l’exploitation minière, l’agriculture extensive, le développement des infrastructures, l’urbanisation rapide, la consommation d’énergie et le braconnage transnational des espèces sauvages en font partie.
LE RÔLE NÉGLIGÉ DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES
Les universitaires et les décideurs politiques ont tendance à considérer les sciences pures comme les seules disciplines capables d’offrir des solutions aux défis écologiques. Ils négligent parfois le rôle des sciences sociales et humaines, y compris les arts et la littérature, dans la lutte contre le changement climatique et les problèmes environnementaux. Mais cela est en train de changer, grâce à des domaines interdisciplinaires émergents, tels que les humanités environnementales. Elles utilisent des sources telles que les textes littéraires et artistiques. Ce domaine emprunte également des méthodes à des disciplines telles que la communication, l’histoire, la philosophie, les sciences politiques, la sociologie et l’anthropologie. Ma récente thèse de doctorat soutient que les textes littéraires et les études critiques de ces textes ont un rôle à jouer en vue de sauver le Bassin du Congo.
En m’appuyant sur l’écocritique postcoloniale et l’activisme littéraire environnemental, j’ai examiné une sélection de romans, de pièces de théâtre et de poèmes d’écrivains du Bassin du Congo. Leurs textes dépeignent ou condamnent les problèmes climatiques et environnementaux tels que la déforestation, l’activisme climatique des jeunes, le braconnage des animaux sauvages, la pollution de l’eau douce et l’urbanisation non planifiée. Ils remettent également en question des pratiques telles que l’injustice environnementale et les violations des droits des populations locales et autochtones. En bref, les textes littéraires représentent les problèmes climatiques et écologiques de manière à les rendre plus palpables et plus accessibles. Je suggère que la littérature peut servir d’appel à l’action climatique. Elle peut montrer comment les individus, les communautés et les institutions contribuent, atténuent ou s’adaptent au changement climatique, à la perte de biodiversité et à la dégradation de l’environnement. Les textes littéraires sont utiles pour la communication environnementale et ont la capacité de représenter la complexité.
LA RECHERCHE
Les auteurs dont j’ai étudié les œuvres sont : Athanasius Nsambu Nsahlai, Ekpe Inyang, Gaston-Paul Effa, Patrice Nganang, et Osée Colins Koagne du Cameroun, Étienne Goyémidé de la République Centrafricaine, Assitou Ndinga et Henri Djombo du Congo-Brazzaville, In Koli Jean Bofane du Congo-Kinshasa ou de la République démocratique du Congo et Nadia Origo du Gabon. J’ai analysé la manière dont leurs textes dépeignent les problèmes climatiques et écologiques du Bassin du Congo et y apportent des éléments de réponse. Par exemple, les romans Cheval-roi d’Effa, Temps de chien de Nganang, et The Buffalo Rider de Nsahlai représentent les relations entre l’humain et l’animal. Les romans Congo Inc : Le Testament de Bismarck de Bofane, Le Silence de la forêt de Goyémidé et Les Marchands du développement durable de Ndinga promeuvent les systèmes de connaissances et les pratiques autochtones des peuples Babinga et Ekonda. Ils remettent en question les aspects néfastes du capitalisme néolibéral, de la mondialisation et du développement durable. Des pièces de théâtre comme Water Na Life d’Inyang et Le Mal de terre de Djombo traitent respectivement de la pollution de l’eau douce et de l’urbanisation désordonnée. Les textes littéraires peuvent contribuer de multiples façons à la résolution de ces problèmes. Ils peuvent sensibiliser aux enjeux écologiques et favoriser la communication sur les différents problèmes environnementaux.
L’un des problèmes environnementaux du Bassin du Congo est la déforestation et ses conséquences pour l’humain et la nature. En 2020, des taux croissants de perte de forêts primaires ont été signalés dans le Bassin du Congo, avec la République démocratique du Congo et le Cameroun en tête du classement. Cette question est analysée dans des pièces telles que The Hill Barbers d’Ekpe Inyang et Le Cri de la forêt d’Henri Djombo et Osée Koagne. Ces pièces identifient les causes de la déforestation et suggèrent des moyens de l’enrayer. La littérature peut également motiver les gens à s’attaquer au changement climatique et amplifier le travail des activistes. Je soutiens que les écrivains du Bassin du Congo tels que Inyang, Djombo, Koagne et Origo ont prédit l’émergence d’un activisme climatique mondial chez les jeunes. Cet activisme est illustré par la Suédoise Greta Thunberg, l’Ougandaise Vanessa Nakate et le RD-Congolais Remy Zahiga, entre autres. Ces auteurs représentent de jeunes personnages africains, comme les enfants volontaires de la pièce Les Bénévoles de Djombo, qui luttent contre le changement climatique et les crimes environnementaux. La littérature est donc à la fois une source d’inspiration et un moyen de communication pour l’activisme climatique des jeunes dans le Bassin du Congo et bien au-delà.
CÉLÉBRER LE LIEN ENTRE L’HUMAIN ET LA NATURE
Les textes littéraires rappellent également aux humains leur relation avec le reste de la nature, y compris les animaux, les rivières et la terre. Des romans tels que ceux de Nsahlai, Effa et Nganang illustrent les enchevêtrements entre l’humain et l’animal. Des pièces de théâtre comme Water Na Life et Le Mal de terre mettent en évidence les enchevêtrements homme-eau et homme-terre. Elles montrent comment la mauvaise gouvernance et l’ignorance des liens entre l’humain et la nature conduisent à des problèmes écologiques. Non seulement les textes littéraires mettent en évidence les violations des droits de l’homme et des droits de la nature, mais ils décrivent également les conséquences de ces violations. La littérature peut également aider à dissiper les idées préconçues et les mythes. On peut en citer cette idée coloniale et raciste d’une Afrique édénique : une nature africaine imaginaire vierge et débarassée de toute présence humaine. C’est une idée qui alimente le colonialisme vert en Afrique. Et elle sous-tend le modèle très contesté de conservation de forteresse dans le Bassin du Congo. La conservation de forteresse consiste à chasser les populations de leurs forêts ancestrales au nom de la préservation de la nature. Si des mythes tels que celui de l’Afrique édénique sont identifiés et éliminés, les conservationnistes pourront être plus inclusifs et respectueux des populations locales et autochtones et de leurs systèmes de connaissances. Des romans comme Congo Inc. de Bofane, Le Silence de la forêt de Goyémidé et Les Marchands du développement durable de Ndinga sont utiles à cet égard. Ils mettent en avant les connaissances et les pratiques des personnes qui ont habité les forêts du Bassin du Congo depuis des temps immémoriaux.
LES PERSPECTIVES
La crise climatique et environnementale mondiale n’est pas seulement une crise du capitalisme et de l’industrialisation. C’est aussi une crise de la culture. C’est pourquoi il faut se débarrasser des métaphores culturelles et des idées philosophiques telles que la séparation entre l’humain et la nature. Ces idées ont longtemps encouragé la domination et l’exploitation de la nature et des animaux par les humains. À travers le cinéma, la musique et la littérature, les humains en sont venus à se construire une image d’eux-mêmes comme étant différents et supérieurs au reste de la nature. Mais la littérature peut aussi célébrer les enchevêtrements entre les humains et la nature et s’inspirer de cultures telles que celles du Bassin du Congo. De manière très significative, la littérature offre des moyens considérables pour communiquer sur des questions complexes telle que l’actuelle urgence climatique mondiale. La littérature peut donc contribuer, en plus d’autres disciplines académiques et efforts – politiques, scientifiques et technologiques – à protéger la biodiversité et les populations du Bassin du Congo.
PAR KENNETH TOAH NSAH
* EXPERT IN cOMPARATIVE lITERATURE AND ENVIRONMENTAl HUMANITIES, AARHUS UNIVERSITY (THEcONVERSATION.cOM)