Le niveau de pauvreté est tel, dans certains ménages sénégalais -et pas seulement dans le monde rural-, qu’il serait aventureux pour un dirigeant responsable de vouloir mettre totalement fin aux politiques de subventions. En toute vérité, les subventions sur certains produits alimentaires et services sont des filets de sécurité indispensables à la stabilité même de ce pays.
Dans un pays où les statistiques officiels enregistrent 51% de taux de pauvreté, il est indispensable de mettre en place des politiques d’atténuation, pour ne pas parler de «lutte contre», comme préconisé par certains officines internationaux. Le véritable défi est de faire en sorte que les subventions arrivent vraiment à ceux à qui elles sont destinées, et ne servent pas à faire le bonheur de ceux qui n’en ont pas besoin. En d’autres termes, les subventions ne doivent pas financer la pauvreté du Sénégal.
Le gouvernement sénégalais continue de s’endetter afin de payer des dettes qui ont été contractées pour financer des produits consommés par des personnes qui ont largement les moyens de s’en procurer, même sans les incitatifs à la baisse.
Nous nous sommes offusqués il y a une semaine, de ce que la subvention à l’énergie va connaître une hausse de 100% dans la nouvelle Loi des finances rectificative, tandis que les augmentations de salaires des enseignants vont nécessiter 100 milliards de francs Cfa supplémentaires. Le même document revoit à la baisse les recettes fiscales de l’Etat, contrairement aux prévisions de la Loi des finances initiale de 2022.
C’est vrai que cette hausse de la subvention se justifie par la situation économique difficile engendrée par la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Cette guerre n’affecte d’ailleurs pas que la fourniture en produits pétroliers. Déjà, dans certains pays de la sous-région, on commence à rationner les fournitures des céréales. D’autres ont décidé de laisser flamber les prix de certains produits alimentaires. Au Sénégal, où l’on préfère laisser agir «la main invisible du marché», l’Etat se soumet au chantage de certains corps professionnels comme les meuniers ou les boulangers, dans l’espoir de maintenir à la baisse les prix.
On peut se demander si les effets de cette politique ont jamais été évalués. Il est en effet intéressant de savoir ce qui justifie de subventionner de manière uniforme le courant payé par les ménages logés dans des quartiers comme Point E, Fann Résidence ou les Almadies, et celui consommé par les familles des quartiers pauvres de nos villes et hameaux.
Hors des ménages, les entreprises du secteur extractif sont les plus gros consommateurs d’énergie au Sénégal, et leur courant est également subventionné. Or, elles ont chacune les moyens de payer leur facture d’électricité au prix coûtant, vu que certaines en produisent même une quantité non négligeable. Dans le même ordre d’idées, une renonciation par l’Etat, aux taxes douanières et fiscales sur la farine de blé, le lait et riz, ne fait essentiellement que les affaires de ces couches de la société qui ont les moyens de payer ces produits, même à des prix non subventionnés. Les producteurs locaux, eux, n’ont pas les mêmes avantages.
La meilleure des choses à faire pour l’Etat, serait certainement de mieux cibler ses subventions. Les bourses familiales et transferts d’argent aident certainement les pauvres à atténuer les effets de la crise, mais ne les aident pas à acquérir des moyens de faire vraiment face aux chocs à moyen et long termes.
Comment veut-on réussir une politique de développement avec un budget dont l’essentiel des recettes sert à payer les salaires d’une minorité de la population, les fonctionnaires, et à rembourser les dettes contractées justement pour le bien de ladite minorité ? Comment veut-on réussir une politique agricole visant l’autosuffisance alimentaire quand on laisse des produits étrangers venir étouffer la production nationale sur son propre marché ? L’Etat s’est-il jamais demandé pourquoi tous les milliards injectés chaque année dans le secteur n’ont pas encore permis d’assurer l’autosuffisance en riz ? Comment en est-on arrivés à tuer la filière tomate ou l’industrie huilière ?
Si l’on veut continuer à subventionner indistinctement les produits exportés, on finira par sonner le glas de la petite industrie de transformation qui nous reste, et l’on continuera de mettre des freins à l’expansion de notre agriculture. Et ainsi, on devra trouver toujours plus d’argent pour financer les bourses familiales et autres mécanismes de Cash transfer, parce que la pauvreté, elle, continuera de se développer. L’ironie de l’histoire est que les pays qui poussent nos dirigeants à ouvrir nos marchés à la concurrence, sont les plus fermés à l’entrée des produits étrangers sur leurs marchés. Et ils se disent adeptes de la libre circulation des marchandises…