Le système de parrainage, introduit au Sénégal à l’occasion de l’élection présentielle de février 2019, continue de susciter des polémiques. La classe politique d’alors avait considéré le système comme un moyen mis en place par le pouvoir pour bloquer des adversaires alors que celui-ci avait jugé nécessaire de réduire les candidatures et ipso facto les dépenses liées à l’organisation des élections.
Effectivement, le parrainage avait permis de réduire le nombre de candidats à cinq seulement contre quatorze en 2012 et le budget consacré à l’organisation du scrutin, notamment dans l’impression des bulletins ; ce qui avait impacté positivement le vote.
Dans l’élan de protestation de l’opposition et de la Société civile, une formation politique sénégalaise du nom de «Union sociale et libérale», avait saisi la Cour de Justice de la Cedeao qui, par Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/10/21 rendu le 28 avril 2021, avait invalidé ce critère d’éligibilité qui venait d’être généralisé à tous les candidats aux élections présidentielle et législatives et introduit dans le Code électoral.
Depuis cette date, la classe politique sénégalaise et la Société civile brandissent ce texte pour demander au gouvernement du Sénégal de surseoir au système de parrainage. La question que nous avons le droit de nous poser est la suivante : les Sénégalais ont-ils suffisamment lu et compris ce texte de la Cour de Justice de la Cedeao ? Sans vouloir installer la polémique, et en nous positionnant à la place d’un profane du droit, notre réponse est absolument non.
Ainsi, la requérante, en l’occurrence, l’Union sociale et libérale (Usl), avait motivé sa requête par le fait que le gouvernement du Sénégal, par ce système de parrainage, avait procédé à «une violation des droits des partis politiques par l’exclusion des deux tiers des partis politiques légalement constitués». Seuls 122 partis pourront satisfaire l’exigence de la loi pour participer à l’élection. Il s’agit juste d’un calcul basé sur le résultat obtenu en divisant le nombre d’électeurs inscrits par le minimum exigé équivalant au tiers des 300 partis politiques légalement constitués.
Pour rendre son arrêt, la Cour se fonde sur des hypothèses qui lui ont été transmises par le Parti «Union sociale et libérale» (voir Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/10/21). Parmi ces hypothèses, deux ont retenu notre attention. Dans son article L115, le Code électoral de l’année 2018 définissait les conditions de recevabilité d’une candidature à l’élection présidentielle. Tous les six critères sont de caractères exclusif et discriminatoire sinon on ne les aurait pas mis dans le code. Il faut impérativement remplir ces conditions pour être candidat.
En ce qui concerne le parrainage, le texte fourni par la requérante et repris par la Cour dit ceci : «Pour être recevable, toute candidature doit être accompagnée de la signature d’électeurs représentant au minimum 0,8% et, au maximum 1% du fichier électoral général. Ces électeurs doivent être domiciliés dans au moins sept régions.» (p. 20 de l’Arrêt). Il faut rappeler qu’en 2019, le Sénégal comptait 14 régions. Le texte obligeait chaque candidat à être parrainé par 2000 électeurs domiciliés dans au moins sept (07) régions sur les quatorze que comptait le Sénégal.
Au paragraphe 76 du texte, la Cour considère que le nombre de partis politiques légalement constitués étant supérieur au nombre de candidatures possibles, le parrainage instaure une discrimination systématique du nombre de participants en privant les deux tiers des partis politiques sénégalais de leurs droits et leurs rôles dans l’expression du suffrage sans que cela soit fondé sur un critère objectif déterminable. Loin du système électoral sénégalais, la Cour a essayé de déterminer le nombre envisageable de candidats en se basant sur le nombre de partis politiques légalement constitués.
La Cour n’a pas tenu compte de beaucoup de facteurs : le nombre de partis dans les coalitions ; le nombre de candidatures indépendantes qui, théoriquement, peut atteindre le nombre d’électeurs contenus dans le fichier électoral vu que tout électeur est un candidat probable ; le nombre d’électeurs qui vont refuser de parrainer un candidat ; le nombre de partis dissous ou qui n’existent plus sur le terrain politique.
Force est de constater qu’il est absolument difficile, voire impossible, de déterminer au préalable le nombre exact de parrains par candidature, le nombre de candidats et le nombre de partis par coalition. La deuxième hypothèse de la Cour revient à dire que le Sénégal comptait sept (07) régions administratives pendant les faits. Au paragraphe 96 de l’Arrêt, la Cour a écrit : «Exiger qu’un candidat aux élections présidentielles obtienne 0.8% au minimum et 1% au maximum de parrains revient à lui demander de recueillir au minimum 53 467 parrains et au maximum 66 820 parrains repartis sur l’ensemble des sept (07) régions que compte le Sénégal, à raison de deux mille (2000) signatures par région.»
Cette hypothèse est évidemment fausse car le Sénégal ne comptait pas sept (07) régions en 2019 mais plutôt quatorze (14). On voit qu’il ne s’agit pas de rassembler 66 820 signatures dans sept (07) régions que compte le Sénégal en raison de 2000 par région. Le candidat se retrouverait avec quatorze mille (14 000) signatures au lieu de 66 820 comme indiqué.
L’objectif du système de parrainage au Sénégal, comme partout ailleurs, vise à limiter les candidatures aux seuls candidats qui jouissent d’une représentativité presque nationale. C’est pour cette raison qu’il est demandé deux mille parrains dans au moins sept régions sur les quatorze que compte le Sénégal (important : la moitié).
Cet objectif est loin d’être discriminatoire ; sinon le cautionnement est aussi discriminatoire quand on sait que tous les candidats potentiels n’ont pas les mêmes capacités financières pour disposer des sommes souvent exigées. Dans une contribution parue en janvier 2019, j’avais évoqué la généralisation du système de parrainage dans le processus électoral. J’avais évoqué dans mon texte que les critères basés sur l’élimination des «candidatures farfelues» existaient dans plusieurs pays, notamment aux Etats-Unis avec ses primaires, permettant de retenir un seul candidat pour chacun des deux grands partis : les Démocrates et les Républicains.
En France, un candidat à l’élection présidentielle doit réunir 500 signatures d’élus provenant d’au moins trente (30) départements sur les cent un (101) que compte le pays. Concernant les élections législatives de juillet 2022, le système de parrainage a bien servi de filtre contrairement aux élections de juillet 2017 où quarante-sept (47) listes étaient en compétition. L’Etat qui organise les élections avait jugé juste de faire prendre un décret par Monsieur le Président de la République pour limiter à cinq (05) le nombre de bulletins à choisir par l’électeur.
Cette mythologie avait posé énormément de difficultés à nos parents qui ne savaient pas lire et qui se perdaient dans une forêt de couleurs. A l’issue de ces élections législatives de juillet 2017, cinq (05) listes avaient obtenu entre deux (02) et cent vingt-cinq (125) députés et neuf (09) listes étaient scorées d’un (01) parlementaire, les trente-trois (33) autres listes n’ayant pas atteint le quotient unitaire. C’est pourquoi cette année, avec l’introduction du système de parrainage, seules huit (08) listes ont pu respecter ce critère de représentativité nationale en attendant la vérification des autres critères.
Ainsi, le parrainage se justifie et doit même être généralisé dans les autres pays africains qui ne le pratiquent pas pour l’instant et qui aspirent à organiser des élections transparentes. La filtration des candidatures permet d’exclure les plus farfelues, de réduire les dépenses et améliorer la qualité de l’organisation par les pouvoirs publics. Nous sommes tous d’accord que le système de parrainage tel que nous l’avons conçu doit être amélioré, surtout avec l’avènement de plus en plus pointu des Technologies de l’information et de la communication (Tic). Aujourd’hui, au Sénégal, pratiquement chaque citoyen détient un appareil téléphonique collé à l’oreille et le plus souvent de type smartphone.
Ainsi, il est fort possible de renvoyer directement, à partir du lieu de résidence de l’électeur, les parrainages dans un serveur de la Direction générale des élections (Dge). Les collecteurs principaux seront dotés de tablettes ou de téléphones pouvant prendre une application de collecte pour envoyer directement les identifications des parrains. Cette nouvelle formule révolutionnaire a besoin de l’engagement de la classe politique qui, au lieu de crier partout pour demander la suppression du parrainage, doit essayer de s’approprier ce système et d’œuvrer pour son amélioration afin que ceux qui ambitionnent de briguer les suffrages des Sénégalais puissent remplir ce critère de représentativité.
Malick FALL
Ngohé Mbayar (Diourbel)