Ma plus grande peur est de vous laisser dans ce pays et dans ce monde d’hommes. Mes filles, pour dire vrai, je vous regarde le cœur lourd et les pensées troubles, non pas en doutant de vos capacités à vous distinguer dans ce monde de compétition et montrer toutes les compétences qui sont les vôtres, mais en vous abandonnant entre les mains de vils prédateurs. Vous résidez dans un pays où la femme est un ornement, un sujet de désirs d’une société perverse, d’une société d’exaltation et d’exhumation de ces trophées féminins. Et «ce qu’il y a de plus scandaleux, c’est que l’on s’y habitue».
Mes filles chéries, vous vivez dans un pays ou les mosquées sont plus nombreuses que les unités industrielles, on compte par milliers des gens qui mémorisent le Coran et par millions des gens croient en un Dieu unique. Un pays de sunnah prophétique qui nous enseigne la prééminence de la femme sur les hommes, un pays où dit-on, on vénère le Seigneur, celui qui nous prescrit le respect de la femme en lui dédiant une sourate entière et qui l’a libéré de toutes les chaînes d’aliénation. Oui, mes chères filles, c’est ce même pays qui nie votre parole, ce même pays qui ne donne aucune valeur à vos complaintes, ce pays d’hommes de dieu et de saints qui vous refuse votre voix dans la place publique.
Vous êtes nées dans une société d’obscénités, dans un cinéma d’indignités. Vos images dans la toile sont le dessert d’une race de personnes qui se nourrit du malheur des gens. Mes filles, les réseaux sociaux sont devenus un lieu de troc où des individus sans aucune éducation publient, à longueur de journée, des images dont l’unique but est de vous dénigrer ou de mettre dans la place publique ce qu’il y a de plus sacré chez vous. Des personnes d’une autre planète qui se nourrissent de la détresse de jeunes filles dont le seul tort est d’avoir, dans un cadre privé, laissé libre cours à leurs sentiments et insouciances. Le summum de la bêtise humaine est atteint lorsque ces personnes font le procès de jeunes filles en détenant leurs images. Ces nouveaux Tarzan des mœurs complètent «l’abrutissement de ceux et celles qui y naviguent sans boussole», par milliers, en se délectant d’une déshumanisation en masse de notre société.
Mes filles, ne vous aventurez pas à parler de vos blessures dans l’espace public. Vous aurez vos sœurs qui se dresseront contre vous, vos mères qui s’en prendront à vous sans vous accorder la chance de narrer votre histoire et vous donner la possibilité de comprendre votre souffrance. Vous ne trouverez pas le réconfort que vous attendez dans votre propre communauté, dans votre plus proche entourage. Le reproche vous sera fait, d’être les responsables de vos malheurs et d’être des victimes coupables, par votre accoutrement et le travail que vous exercez. Le comble c’est qu’on vous traitera de tous les noms d’oiseaux uniquement parce que vous osez dénoncer une société machiste.
Mes filles chéries, ne vous aventurez pas à accuser les hommes politiques, religieux ou ceux qui sont nés avec une cuillère d’argent. Vous serez la risée de tout un pays, car vos bourreaux seront élus maires, députés et deviendront peut-être un jour président de la République. Nous sommes dans un pays où le statut social donne tous les droits, où les privilèges sociaux peuvent acheter tous les silences.
Dans ce pays, les hommes politiques et religieux peuvent se permettre tous les écarts et au nom d’une représentativité politique ou confessionnelle, défier la Justice et chercher par tous les moyens à s’y soustraire. Vous êtes dans un pays où les positions sociales sont une monnaie d’échange de faveurs, où la promotion canapé est connue et sue de tout le monde. Ces positions sociales, qu’elles soient religieuses ou politiques, confèrent un statut d’incitation à la débauche.
Mes filles, vous hériterez d’un pays de religieux qui font l’apologie du viol et de l’adultère dans des plateaux de télévision, sans que cela n’émeuve personne. Une société de «tontons saï saï» dans nos maisons, qui échappent à la Justice par la complicité d’une société du silence et de la négation de vos droits. Lorsque les «tontons saï saï» abusent de petites filles, ce sont nos religieux et notabilités qui sont les premiers à convoquer des liens de parenté ou de je ne sais quoi pour étouffer les abus dont vous êtes victimes.
Vos traumatismes, vos douleurs de femmes victimes de viols, de harcèlements sexuels et de chantages sont le fruit d’une société en décadence, qui prend la femme comme un objet de désir.
Mes filles, vous n’avez ni à subir les injustices d’une société dont l’hypocrisie est le socle ni à cacher les souffrances qu’elle vous inflige au quotidien. Vous ne devez pas accepter d’être regardées comme des objets d’amusement. Si la société vous refuse les droits élémentaires de protection, levez-vous et exigez la reconnaissance due à votre rang. Je ne veux pas vous savoir dominées par des hommes qui n’ont de vertus que de noms. Mes filles, soyez fières de ce que vous représentez et montrez à la face du monde que vous savez mieux gérer, que vous avez l’expertise et la science nécessaires pour être au-dessus du mensonge et des calomnies.
Soyez la «moitié du ciel et même un peu plus (…) la moitié de tout. Et surtout, surtout la moitié partout où se prennent les décisions». Montrez à tous que le monde de demain devra «s’habituer (…) (à votre) présence partout, la présence de nos filles, de vos filles».
Alassane DIALLO
azoudl@yahoo.fr